Commentaire de C. trav. Mons, 16 novembre 2023, R.G.2022/AM/92
Mis en ligne le mercredi 27 novembre 2024
Cour du travail de Mons, 16 novembre 2023, R.G.2022/AM/92
Terra Laboris
La Cour du travail de Mons reprend, à l’occasion d’une affaire relative à une absence de déclaration, les règles en matière de récupération d’indu en chômage, dont celle qui prévoit que l’introduction de l’action en justice par l’assuré social suspend également la prescription de la demande en récupération de l’ONEm.
Faits de la cause
Mme L.V. a obtenu les allocations de chômage au taux travailleur ayant charge de famille à partir du 22 février 2017, suite à sa déclaration qu’elle formait depuis cette date un ménage de fait avec M. C.N., qui ne disposait ni de revenus professionnels ni de revenus de remplacement, déclaration confirmée les 6 avril et 6 juillet 2017.
La consultation des banques de données a permis à l’ONEm de constater que M. C.N. avait été occupé comme intérimaire pour divers employeurs, avec des interruptions à partir du 6 mai 2017 et l’était toujours.
Par décision du 9 août 2018, l’ONEm l’a exclu du bénéfice des allocations pour la différence de taux du 8 mai 2017 au 30 juin 2018, a ordonné la récupération des allocations indûment perçues et lui a infligé un avertissement.
Cette décision a fait l’objet d’un premier recours devant le Tribunal du travail du Hainaut, division de La Louvière.
Le 13 septembre 2018, la chômeuse déclare que son partenaire perçoit des revenus variables depuis le 1er juin 2018. Cette déclaration tardive a pour conséquence la prise par l’ONEm d’une seconde décision du 23 janvier 2019, qui exclut Mme L.V. du bénéfice des allocations pour la différence entre les taux travailleur ayant charge de famille et cohabitant du 1er juin 2018 au 31 août 2018 et ordonne la récupération de l’indu. Cette décision a fait l’objet d’un second recours.
L’ONEm a introduit des demandes reconventionnelles visant à la récupération des allocations indûment perçues.
Un jugement du tribunal du travail du Hainaut, division La Louvière, du 27 janvier 2022, après avoir joint les causes, annule la décision de l’ONEm du 9 août 2018 uniquement en ce qu’elle exclut la chômeuse pour le mois de juillet 2017, confirme pour le surplus les deux décisions litigieuses et dit les demandes reconventionnelles fondées.
Mme L. a formé contre ce jugement un appel recevable.
L’arrêt commenté
L’arrêt rappelle les principes applicables au taux des allocations d’un chômeur dont le conjoint perçoit des revenus tels qu’ils se dégagent des articles 110 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991 (ci-après AR) et 60 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 (ci-après AM) ainsi que les dispositions s’appliquant à la prise en compte d’un événement modificatif (articles 134, § 1, 2°, de l’AR et 92, § 3, et 96 § 2, de l’AM).
Il souligne qu’il ne peut être fait application de l’article 60, al. 2, de l’AM, qui permet de déroger à la règle de la prise en compte des revenus du conjoint à certaines conditions dont celle, non remplie en l’espèce, de leur déclaration préalable.
Les décisions de récupération sont donc fondées, sous la seule réserve qu’un même mois a été pris en compte dans les deux décisions.
L’arrêt examine ensuite le moyen de la chômeuse soutenant que, en ce qui concerne la période du 8 mai 2017 au 11 mai 2018, la demande reconventionnelle de l’ONEm serait prescrite : les décisions n’ayant pas été notifiées par recommandé, la prescription n’aurait été valablement interrompue que par le dépôt au greffe du tribunal du travail des conclusions portant demande reconventionnelle le 12 mai 2021. Cette thèse se fonde sur l’article 30, § 2, de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale, qui dispose que : « (la) décision de répétition est, sous peine de nullité, portée à la connaissance des débiteurs par lettre recommandée à la poste ».
Il relève que, en vertu de l’article 41 de ladite loi, « sauf réglementation légale contraire, une disposition de ladite loi ne peut entrer en vigueur avant que le Roi ne prévoie la date de son entrée en vigueur », renvoyant à un arrêt de la Cour de cassation du 9 mars 2015 (J.T.T., 2015, p. 259). Or, aucun arrêté royal n’a prévu l’entrée en vigueur de cette disposition. L’arrêt cite M. SIMON, « Récupération des allocations de chômage » in M. SIMON (coord.), Chômage, R.P.D.B., Larcier 2021, p.444, note 1542.
Ce sont donc les articles 16 de la Charte de l’assuré social et 146 de l’arrêté royal portant réglementation du chômage qui s’appliquent.
Le premier prévoit qu’en règle la notification d’une décision se fait par lettre ordinaire ou par la remise d’un écrit à l’intéressé tandis que le second précise que les décisions de refus, exclusion ou limitation sont notifiées par lettre ordinaire. L’arrêt se réfère également à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 octobre 2021 (n° 129/2021), qui explique cette dispense d’obligation par le privilège du préalable dont dispose l’ONEm, comme le SPF et l’INASTI.
L’action en récupération de l’indu de l’ONEm est soumise au délai de prescription de 10 ans (article 2262bis du Code civil) et, en vertu de l’article 30/1 de la loi du 29 juin 1981 précitée, qui est - lui - entré en vigueur, l’instance introduite par Mme L. a suspendu cette prescription.
En l’espèce, la décision du 9 août 2018 a été prise dans le délai ordinaire de trois ans et l’instance en justice de Mme L. a suspendu le cours de la prescription. La demande reconventionnelle formée par l’ONEm le 12 mai 2021 n’est donc pas prescrite.
Quant à la demande de Mme L. de voir limiter la récupération aux 150 derniers jours d’indemnisation, l’arrêt relève qu’elle nécessite la bonne foi.
La cour fait sienne l’argumentation du tribunal ayant relevé que, eu égard au nombre important de jours de travail du compagnon de la chômeuse et à la régularité de ses revenus, Mme L. ne pouvait ignorer que ceux-ci constituaient des revenus professionnels susceptibles d’avoir une incidence sur le montant de ses allocations de chômage.
Intérêt de la décision
Cet arrêt est l’occasion de souligner une fois de plus la nécessité de vérifier article par article l’entrée en vigueur de la loi établissant les principes généraux de la sécurité sociale, ce qui peut surprendre vu son intitulé.
Il rappelle en outre que l’instance en justice introduite par l’assuré social suspend le cours de la prescription non seulement pour sa demande, mais également pour celle de l’ONEm.
Enfin, il reprend également la règle selon laquelle l’action en récupération de l’indu de l’ONEm est soumise au délai de prescription de l’article 2262bis du Code civil (10 ans).