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Principe non bis in idem et sanctions en matière de chômage

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 17 septembre 2024, R.G. 2023/AN/98

Mis en ligne le jeudi 28 novembre 2024


Cour du travail de Liège (division Namur), 17 septembre 2024, R.G. 2023/AN/98

Terra Laboris

Résumé introductif

L’application du principe non bis in idem suppose une procédure pénale définitivement clôturée.
La notion de même infraction exige que les faits matériels qui sont successivement soumis au juge constituent un ensemble de circonstances de fait concrets indissociables en raison de leur connexité dans le temps, dans l’espace et de leur objet.
Les sanctions en matière de chômage ont un objectif dissuasif et répressif (pouvant être individualisées et modalisées) à la différence de mesures telles que le refus du droit aux allocations en raison de l’indisponibilité sur le marché général de l’emploi, lorsque le travailleur ne remplit pas les conditions d’octroi : celles-ci ne permettent pas l’application de la règle.

Source

Dispositions légales

  • Arrêté royal du 25 novembre 1991 – articles 44, 45, 48, 71, 153, 154, 155, 157bis et 169

Faits de la cause

Une assurée sociale demande le bénéfice des allocations de chômage à partir du 1er février 2017. Elle déclare vivre seule et exercer comme personne physique depuis une dizaine de mois une activité accessoire de massage bien-être et de soins, qu’elle annonce continuer à exercer régulièrement (soit à la demande) pendant son chômage du mardi au vendredi (entre 7 et 18 heures ainsi qu’après 18 heures) et les samedis et dimanches.

Un C1A rectificatif est rédigé quelques semaines plus tard, réduisant la plage horaire du mardi au vendredi à « après 18 heures ».

Elle est entendue au bureau de chômage sur la question le 5 avril. Elle est alors exclue à partir du 1er février 2017 par décision du 12 avril, s’agissant d’une activité accessoire qui ne répond pas aux conditions de l’article 48 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

La décision contient l’information supplémentaire que l’activité est autorisée pour l’avenir du lundi au vendredi avant 7 heures et après 18 heures ainsi que le samedi et/ou le dimanche, jours pour lesquels elle est tenue de noircir la case correspondante du jour de travail et de même en cas de travail occasionnel pendant la semaine.

L’intéressée perçoit dès lors les allocations de chômage à partir du 21 mars 2017.

En septembre 2021, une enquête est effectuée afin de vérifier la conformité des conditions d’exercice de l’activité avec l’octroi des allocations.

L’intéressée est auditionnée.

Il s’avère que la réglementation n’est pas respectée : un Pro Justitia est dressé en date du 3 février 2022, retenant des déclarations volontairement inexactes ou incomplètes.

Une information répressive est ouverte à la suite de ce Pro Justitia, suite à laquelle l’intéressée bénéficie le 15 septembre 2022 d’une médiation pénale. Celle-ci reprend les infractions pour lesquelles elle est poursuivie.

Dans le cadre de cette médiation, elle effectuera un travail d’intérêt général (TIG) de 60 heures.

Une décision est prise par l’ONEM le 30 septembre 2022, (i) l’excluant du bénéfice des allocations à partir du 27 mars 2017 (articles 44, 45 et 71 de l’arrêté royal organique), (ii) récupérant les allocations indues (article 169) et (iii) l’excluant pendant une période de 26 semaines à partir du 27 février 2023 (article 154) et de 52 semaines à partir du 28 août 2023 (article 155).

La durée de l’exclusion de 26 semaines (étant le maximum de la fourchette) est due à l’absence d’indication des prestations sur les cartes de contrôle (l’activité indépendante ayant été essentiellement exercée en journée en semaine et le week-end). Celle sur pied de l’article 155 fait suite à un usage intentionnel de documents inexacts afin d’obtenir les allocations auxquelles l’intéressée n’avait pas droit. Il s’agit ici également du maximum de la fourchette, vu les déclarations intervenues à plusieurs reprises (documents C1A), étant reproché l’exercice d’une activité accessoire alors que celle-ci peut être considérée comme principale, ajouté à l’omission de biffure des cartes de contrôle ainsi qu’à la falsification d’un agenda à destination du service de contrôle. L’indu est de 46 550,41 € (période du 1er juin 2017 au 30 juin 2022).

Parallèlement, deux autres décisions sont prises par l’ONEM le 30 septembre 2022, la première contenant une sanction d’exclusion de 13 semaines (article 153 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991) et l’autre une exclusion pour le passé pour deux périodes (périodes de vacances où elle n’a pas indiqué " V » sur ses cartes de contrôle), avec sanction de 8 semaines sur pied de l’article 154 de l’arrêté royal.

L’assurée ayant satisfait aux conditions de la médiation pénale, le dossier répressif a été clôturé.

Le jugement du tribunal du travail

Par jugement du 16 mai 2023, le tribunal a confirmé la décision de l’ONEM et a condamné l’intéressée à rembourser la somme de 46 550,41 € à majorer des intérêts judiciaires. L’affaire a fait l’objet d’une réouverture des débats pour le surplus.

La demanderesse interjette appel.

Position des parties devant la cour

Pour l’appelante, l’activité exercée était une activité accessoire qui avait lieu principalement en soirée et le week-end (et n’avait pas été exercée pendant la période de COVID). A titre subsidiaire, elle demande la limitation de la récupération, développant plusieurs hypothèses. Pour ce qui est de la sanction, elle fait valoir que les faits ont fait l’objet d’une transaction pénale et qu’ils sont matériellement identiques à ceux réprimés par les articles 154 et 155 de l’arrêté royal organique, le principe non bis in idem devant dès lors s’appliquer.

L’ONEM considère que l’activité dépassait largement le cadre d’une activité accessoire. Il conteste les demandes relatives à la limitation de la récupération, soit aux journées durant lesquelles elle a exercé son activité (et ce au motif qu’elle n’a pas complété sa carte de contrôle et a reconnu avoir envoyé un agenda falsifié) soit au motif de bonne foi.

Pour ce qui est de la transaction pénale, il considère que celle-ci n’empêche pas l’application d’une sanction administrative, une seule sanction cependant pouvant être prononcée à savoir la plus lourde, soit en l’espèce la sanction de 52 semaines d’exclusion.

Quant à la demande de sursis, celui-ci a été supprimé en 2015 pour les sanctions administratives de telle sorte qu’il ne peut être prononcé ni par l’autorité administrative ni par le juge.

L’avis du ministère public

Le ministère public conclut à la confirmation du jugement sous réserve de quelques émendations. La période avant le 1er juillet 2019 est selon lui prescrite et la récupération doit être limitée aux 150 derniers jours d’indemnisation (l’Avocat général retenant la bonne foi). Quant à la sanction, il propose de la limiter à 13 semaines.

En conséquence, la récupération des allocations payées indûment se prescrit par trois et non cinq ans.

Enfin, il considère que, l’extinction des poursuites étant postérieure à la décision administrative, il n’y a pas violation du principe non bis in idem.

La sanction sur pied de l’article 154 doit dès lors être ramenée à 13 semaines (vu la bonne foi et l’absence d’antécédents), celle sur pied de l’article 155 devant être annulée vu la bonne foi.

Les parties ont répondu à cet avis.

La décision de la cour

Après le rappel des articles 44, 45 et 48 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, qui délimitent le cadre de l’activité accessoire, la cour en reprend l’article 71, relatif à l’obligation pour le chômeur d’être en possession de sa carte de contrôle dès le premier jour de chômage et de faire mention sur celle-ci à l’encre indélébile d’une activité exercée (et ce avant le début de celle-ci).

La cour en vient à la question de la fraude ou du dol - éléments qui doivent être établis par l’ONEM - et à l’article 169 de l’arrêté royal, qui prévoit en ses alinéa 2, 3 et 5 des hypothèses de limitation de la récupération.

Elle en vient après ceci à la sanction, étant les articles 154, 155 et 157bis de l’arrêté royal ainsi qu’à la règle non bis in idem, dont elle rappelle qu’elle est un principe général du droit.

Elle en reprend les contours, avec force renvois à la jurisprudence, en ce compris celle des cours internationales ainsi qu’à la doctrine. Elle relève notamment que le bénéfice de ce principe suppose une procédure pénale définitivement clôturée, c’est-à-dire que la décision invoquée à l’appui de ce principe soit définitive.

L’arrêt développe longuement la question des doubles poursuites, précisant que pour que celles-ci soient prohibées, elles doivent être de même nature et avoir un caractère pénal, la Cour européenne des droits de l’homme ayant jugé le 10 février 2009 dans son arrêt ZOLOTOUKHINE c/ RUSSIE (Cr.E.D.H. (Grande Chambre), 10 février 2009, req. n° 14.939/03 (ZOLOTOUKHINE c/ RUSSIE) que le caractère pénal d’une accusation ou de poursuites ne dépend pas exclusivement de sa qualification mais doit s’apprécier sur la base de trois critères, étant (i) la qualification juridique de l’infraction, (ii) la nature même de celle-ci et (iii) le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé (les deuxième et troisième critères étant alternatifs et non nécessairement cumulatifs).

Le principe est régulièrement invoqué en matière de chômage, la cour précisant que les sanctions en la matière ont un objectif dissuasif et répressif (pouvant être individualisées et modalisées), et ce au contraire de mesures pouvant être prises, telles que le refus du droit aux allocations en raison de l’indisponibilité sur le marché général de l’emploi, lorsque le travailleur ne remplit pas les conditions d’octroi, ne permettant pas l’application de la règle non bis in idem.

La cour clôture cet examen en renvoyant à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 17 février 2015, P.14.1509.N et Cass., 25 mars 2014, P.12.1884.N), qui enseigne que la notion de même infraction exige que les faits matériels qui sont successivement soumis au juge constituent un ensemble de circonstances de fait concrets indissociables en raison de leur connexité dans le temps, dans l’espace et de leur objet, ce que le juge apprécie souverainement.

En l’espèce, eu égard aux éléments de fait démontrés, c’est à juste titre que l’ONEm a considéré que l’intéressée ne remplissait pas les conditions d’octroi pour bénéficier des allocations et qu’elle a été exclue.

La cour confirme également l’intention frauduleuse, visant particulièrement l’envoi d’un agenda électronique où les rendez-vous correspondaient aux activités déclarées sur les cartes de contrôle, agenda dont il a été établi ultérieurement qu’il était falsifié.

La cour confirme dès lors le jugement, rejetant la bonne foi. Par ailleurs, pour ce qui est de la demande de limitation à certaines journées durant lesquelles l’assurée sociale reconnaît avoir travaillé, celle-ci n’est pas possible, l’exclusion étant également fondée sur l’article 71 de l’arrêté royal.

En conclusion, l’appel n’est pas fondé.

La cour précise encore que les poursuites pénales ainsi que la décision de l’ONEm portent sur les mêmes infractions et visent les mêmes faits et que les deux procédures sont les suites d’un même comportement. Toutes les conditions d’application de la règle non bis in idem sont dès lors réunies. Les deux décisions prises sur pied des articles 154 et 155 n’étant pas définitives avant le prononcé de l’arrêt – contrairement à l’extinction des poursuites intervenues à la suite de la médiation pénale– la décision litigieuse, en ce qu’elle contient les deux sanctions de 26 et 52 semaines doit être annulée. Statuant par voie d’évocation, la cour annule ces sanctions.


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