Terralaboris asbl

Petit rappel des obligations du travailleur indépendant en cas de modification de la situation exposée dans sa déclaration d’affiliation

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 12 avril 2024, R.G. 2022/AB/385

Mis en ligne le vendredi 13 décembre 2024


Cour du travail de Bruxelles, 12 avril 2024, R.G. 2022/AB/385

Terra Laboris

Résumé introductif

L’article 37 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967 portant exécution de l’arrêté royal n° 38 permet à certains travailleurs indépendants exerçant à titre principal l’assimilation avec ceux exerçant à titre complémentaire, et ce aux fins d’alléger le montant des cotisations sociales à payer, celles-ci pouvant être réduites ou supprimées. Tel est le cas pour les personnes au profit desquels sont garanties pour l’année faisant l’objet de la demande des droits à des prestations dans un régime obligatoire de pension et d’allocations familiales et d’assurance contre la maladie et l’invalidité, secteur des soins de santé, au moins égales à celles du statut social des travailleurs indépendants. Un travailleur indépendant peut dès lors bénéficier de la disposition en cas de mariage ouvrant de tels droits.

La cour du travail rappelle que le travailleur indépendant est tenu d’informer sa caisse de tout changement par rapport aux informations données dans sa déclaration d’affiliation et que si ces informations sont disponibles via la banque Carrefour, la caisse n’est pas tenue de procéder à une vérification systématique, à défaut de laquelle il y aurait une faute dans son chef

Dispositions légales

  • Arrêté royal du 19 septembre 1967 portant règlement général en exécution de l’arrêté royal numéro 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants – articles 7, 37, 46 et 47

Les faits

Une employée prestant à temps très partiel dans une ASBL décide d’entreprendre en 2004 cette même activité en dehors d’un cadre institutionnel.

Elle s’affilie auprès d’une caisse d’assurances sociales pour une activité d’indépendante (psychothérapeute psychanalyste), indiquant comme date de début le 1er avril 2002. EIle mentionne son activité salariée.

Dans un premier temps, elle bénéficie de l’assimilation de l’article 37 de l’arrêté royal du 19 septembre 1967 (qui permet à certains travailleurs indépendants exerçant à titre principal d’être assimilés à ceux exerçant à titre complémentaire et de ne pas payer les cotisations ou de ne payer que des cotisations réduites).

Elle est dûment informée par la caisse des conditions permettant l’exonération de la réduction des cotisations et renvoie le formulaire habituel mentionnant qu’elle s’engage à informer la caisse de tout changement d’état civil.

Deux questionnaires lui seront encore renvoyés par la suite, auxquels elle répond qu’elle est à charge de son époux.

En 2005 ou 2006, suite à la séparation d’avec son époux, elle demande à bénéficier du supplément d’allocations familiales pour famille monoparentale auprès la caisse d’allocations appartenant au même groupe que la caisse d’assurances sociales à laquelle elle est affiliée. Plusieurs formulaires lui seront envoyés entre 2008 et 2010. Elle y informe notamment de la séparation.

Plus aucun questionnaire ne sera, par contre, envoyé par la suite par la caisse d’assurances sociales, ce qui sera expliqué par celle-ci au motif qu’un nouveau système informatique a été instauré et que des flux avec l’INASTI permettent de contrôler la carrière des affiliés.

L’intéressée a entre-temps divorcé en 2008 et n’a pas informé cette caisse, ce qui n’a pas non plus été communiqué via un flux informatique.

En 2012, vu le dépassement du plafond de revenus, une demande de paiement de cotisations lui est adressée. Elle répond alors en introduisant une déclaration de cessation d’activité.

Par la suite, la caisse ayant été avisée de l’existence du divorce en juin 2008, elle lui adresse un avis de régularisation pour un montant de près de 14 000 €.

Des contacts sont pris avec la caisse, l’intéressée demandant la révision de la décision et signalant qu’elle n’a été informée qu’en 2012 que le divorce ferait obstacle au bénéfice de l’article 37.

Une demande de dispense de cotisations est introduite le 2 novembre 2012 mais est jugée irrecevable pour plusieurs trimestres, étant hors délai. Par contre l’état de besoin actuel est reconnu pour le dernier trimestre de l’année 2011.

Suite à l’intervention de son conseil, l’intéressée conteste le paiement des cotisations au motif qu’elle n’aurait pas été informée par la caisse des conséquences de son changement d’état civil sur le bénéfice de l’article 37 de l’arrêté royal, précisant que si elle avait été dûment informée de la situation elle aurait mis un terme à son activité, dont le profit équivalait pratiquement aux cotisations sociales. La régularisation n’étant par ailleurs intervenue qu’en 2012, ceci ne lui avait pas permis d’introduire une dispense de cotisations en temps utile.

Elle voit donc une faute dans le chef de la caisse et demande réparation.

Le 17 avril 2014 une sommation avant contrainte est délivrée par huissier de justice et une nouvelle interviendra le 22 janvier 2015.

En fin de compte, le 9 juin 2015, est signifié un commandement de payer en vertu d’une contrainte décernée le 15 avril. Il couvre l’ensemble des trimestres (hors celui ayant fait l’objet de la dispense), ainsi que les majorations, intérêts et frais.

Les jugements du tribunal du travail

Dans un premier jugement, le Tribunal du travail du Brabant wallon, division Nivelles, a retenu une faute dans le chef de la caisse et une réouverture des débats a été ordonnée sur le dommage, le lien causal et l’indemnisation.

Dans un jugement ultérieur, il a cependant débouté la demanderesse de son recours et l’a condamnée à payer les montants réclamés, ainsi que les dépens.

Position des parties devant la cour

Pour l’appelante, il s’agit à titre principal d’obtenir la condamnation de la caisse à des dommages et intérêts équivalents aux montants réclamés hors le deuxième trimestre 2008 et à titre subsidiaire les mêmes dommages et intérêts, évalués à 80 % des montants en cause.

La caisse demande le rejet de l’appel principal tout en formant un appel incident contre le premier jugement, qui a retenu une faute dans son chef.

L’arrêt de la cour du travail

Le premier point tranché par la cour est celui de la régularité de la contrainte, question pour laquelle elle rappelle les articles 46 et 47 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967 portant règlement général en exécution de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants.

Ces dispositions prévoient que l’assujetti qui conteste la contrainte est tenu de respecter certaines obligations, étant d’envoyer par voie recommandée à la poste un courrier, et ce dans les conditions énoncées à l’article 46 dans le mois de la signification ou de la notification du rappel que la caisse est elle-même tenue d’adresser par lettre recommandée, mentionnant les sommes sur lesquelles portera le recouvrement.

L’absence de lettre recommandée dans le chef de l’assurée est constatée. La cour admet dès lors la régularité de la contrainte.

Elle en vient à la question de la responsabilité de la caisse, retenant que l’appelante fait grief à celle-ci de ne pas s’être acquittée correctement de ses obligations d’information et de conseil.

La cour relève que, après la séparation, le formulaire adressé en 2007 a été correctement rempli, l’intéressée n’étant à ce moment pas encore divorcée mais seulement séparée de fait.

Quant aux formulaires adressés par la caisse d’allocations familiales, ils ne contenaient – et pour cause – aucune référence à l’article 37 de l’arrêté royal du 17 décembre 1967, vu que leur objet était tout à fait différent.

L’intéressée reste en défaut d’apporter la preuve de l’information en temps voulu concernant le divorce intervenu en 2008 alors qu’elle a eu divers contacts avec sa caisse, et ce alors qu’elle avait été informée depuis le début de son affiliation de l’importance du statut d’épouse. La cour constate qu’à diverses reprises la question lui a été posée, alors que dans le secteur des allocations familiales elle a rempli correctement le formulaire lui permettant d’obtenir les suppléments d’allocations pour famille monoparentale.

L’appelante s’est engagée à informer la caisse de sa situation, ce qu’elle n’a pas fait, la cour rappelant encore l’article 7 de l’arrêté royal du 19 décembre 1967, selon lequel l’assuré est tenu de faire connaître à sa caisse dans les 15 jours tout changement dans les renseignements qui figurent à la déclaration d’affiliation, déclaration qui doit être faite sans attendre l’envoi de l’éventuel formulaire de contrôle annuel. L’information à la caisse d’allocations familiales ne suffisait dès lors pas.

La cour souligne encore que si les informations étaient disponibles via la Banque Carrefour ceci n’implique pas que la caisse ait eu l’obligation de procéder à une vérification systématique avant qu’elles ne lui aient été communiquées.

La cour conclut à l’absence de faute dans le chef de la caisse. En conséquence, elle déclare l’appel principal recevable mais non fondé, confirmant le second jugement du tribunal du travail et accueille l’appel de la caisse, réformant dès lors le premier jugement sur la question de la faute.


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