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Un licenciement survenant pendant une période d’incapacité de travail n’est pas nécessairement discriminatoire

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 juin 2024, R.G. 2021/AB/547

Mis en ligne le mardi 14 janvier 2025


Cour du travail de Bruxelles, 24 juin 2024, R.G. 2021/AB/547

Terra Laboris

Résumé introductif

Si l’employeur peut licencier pendant une période d’incapacité de travail, il ne peut cependant le décider pour des motifs en lien avec l’état de santé actuel ou futur du travailleur.

Une fois la présomption légale activée, l’employeur peut la renverser et établir que ce n’était pas l’état de santé qui était le motif de licenciement.

Le fait pour l’employeur de poser un choix de gestion cohérent en vue d’atteindre un but légitime et ce par le biais d’une mesure appropriée et nécessaire ôte au licenciement tout caractère discriminatoire. Il n’y a dans une telle hypothèse ni discrimination directe fondée sur l’état de santé actuel ou futur ni discrimination indirecte.

Dispositions légales

  • Loi du 3 juillet 1978 - article 38, § § 1, et 2,
  • Loi du 10 mai 2007 tendant à lutter certaines formes de discrimination – articles 4, 5, 14 et 28.

Analyse

Faits de la cause

Un service de centre informatique, constitué sous forme d’ASBL, lié à une commune de la Région bruxelloise assure, pour celle-ci, toute la gestion et l’exploitation de l’informatique et des télécommunications d’intérêt public.

Sa directrice des ressources humaines, chargée du fait de ses fonctions de tâches stratégiques et qui est, en outre, membre du comité exécutif et vice-présidente du comité pour la prévention et la protection au travail, est en incapacité de travail depuis mars 2018.

L’ASBL a connu des difficultés à cette époque, un audit ayant fait apparaître des violations de la législation en matière de marchés publics (notamment en ce qui concerne les ressources humaines) et l’association ayant fait l’objet d’un vaste contrôle de l’O.N.S.S. (frais professionnels forfaitaires et remboursement de frais à domicile).

L’intéressée a été en incapacité de travail pour trois semaines au départ, cette incapacité s’étant ensuite poursuivie pendant six mois environ. Le motif est un burnout.

Il y a eu reprise dans le cadre d’un temps partiel médical le 17 septembre 2018. Après un mois et demi de prestations, l’intéressée est retombée en incapacité de travail pour deux mois.

Pendant son absence, un contrat de consultance avait été conclu avec une société externe eu égard à une charge de travail accrue escomptée dans le département RH, charge de travail accentuée par l’absence de la directrice.

Parmi les missions confiées à celle-ci figuraient un soutien à la direction dans le dossier O.N.S.S., le règlement d’ordre intérieur du C.E. et du CPPT, ainsi que toute tâche relevant de la direction des ressources humaines.

Ce contrat ayant été conclu en avril 2018, une prolongation intervint sans date de fin précise, étant mentionné que celui-ci serait prolongé jusqu’à la date du retour du directeur du département RH ou jusqu’au recrutement d’un successeur.

En décembre 2018, pendant son incapacité de travail, la directrice fut licenciée moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. La lettre de congé, longuement motivée, reprend l’historique ci-dessus et expose que le congé a été donné en raison des perturbations occasionnées par la répétition des absences sur le fonctionnement du service RH et plus largement sur l’ASBL elle-même.

L’employeur précise qu’il est chargé de la transformation de l’IT de la Ville, tâche de grande ampleur, et que dans ce contexte de développement, l’association doit disposer d’un service RH présent, fiable, efficace et rigoureux. La charge de travail ayant été en partie reportée sur d’autres membres du service et un recrutement ad interim étant intervenu pendant l’absence de l’intéressée, ces mesures n’ont toutefois pas permis d’atteindre les objectifs et l’association ne peut plus remplir les missions qui lui sont confiées.

L’intéressée est ainsi licenciée moyennant paiement d’une indemnité de 13 semaines.

Une proposition de transaction avec paiement d’une indemnité compensatoire de cinq mois de rémunération lui est également faite.

Le document C4 de chômage mentionne comme motif des absences non fautives répétées et prolongées entraînant la perturbation du service.

Une procédure est introduite devant le tribunal du travail de Bruxelles par l’employée.

Les jugements du tribunal du travail

Après avoir ordonné dans un premier jugement avant-dire droit du 13 novembre 2020 la production de documents, le tribunal a statué par jugement du 2 avril 2021, faisant droit à la demande, qui porte sur le paiement d’une indemnité pour discrimination (ainsi que sur le paiement d’une somme relativement minime, correspondant à une retenue sur salaire).

La décision de la cour

La cour fait un rappel de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter certaines formes de discrimination. Si les principes en sont connus - et ne seront pas repris ici –, il faut relever que la cour s’attache à rappeler la jurisprudence de la cour du travail, répondant à l’avis de M. l’Avocat général, selon lequel l’état de santé actuel ou futur, tel que visé par cette loi, porterait uniquement sur l’interdiction de tests génétiques prévisionnels et autres examens médicaux susceptibles d’affecter l’état de santé futur. Selon M. l’Avocat général, la loi ne trouverait dès lors pas à s’appliquer en cas de licenciement justifié par des absences pour incapacité de travail.

La position de la cour à cet égard est tout autre, étant que si l’article 38, § § 1, et 2, de la loi du 3 juillet 1978 autorise l’employeur à licencier pendant la suspension du contrat de travail visée à l’article 31 § 1er, (qui vise l’impossibilité pour le travailleur de fournir son travail à la suite de maladie ou d’accident), il ne l’autorise pas pour autant à licencier le travailleur en raison de son état de santé actuel ou futur en contravention avec les articles 4 et 14 de la loi du 10 mai 2007. La cour confirme dès lors qu’elle ne peut suivre M. l’Avocat général sur cette interprétation.

Elle souligne ensuite que le licenciement décidé à la suite de nombreuses absences pour maladie et de la désorganisation du service qui en découle n’est pas automatiquement discriminatoire. Il appartient au travailleur d’apporter la preuve de l’existence d’un ensemble de faits qui permet de présumer l’existence d’une discrimination fondée sur l’un des critères protégés, en l’espèce l’état de santé actuel ou futur.

La cour relève, vu les termes de la lettre de licenciement, que ce n’est pas uniquement les absences qui sont visées ici mais que la nature de celles-ci est également pointée. Ceci suffit à activer la présomption.

Elle passe ainsi à l’analyse des justifications avancées par l’employeur.

Le premier point est de vérifier si le licenciement poursuivait un but légitime. La désorganisation et les conséquences négatives de l’absence de la DRH sur le bon fonctionnement de son service sont établies à suffisance, celle-ci occupant une fonction dirigeante stratégique et étant membre du comité exécutif. En outre, des difficultés ont été rapidement rapportées à plusieurs reprises par les représentants du personnel au sein des organes de concertation. De nombreuses pièces sont déposées à cet égard et font apparaître des difficultés qualifiées de majeures, celles-ci relevant manifestement des fonctions stratégiques de la DRH et n’ayant pu être traitées correctement durant son absence. Le but légitime poursuivi était la volonté de mettre fin à une désorganisation objectivement prouvée.

La cour vérifie également si le licenciement était une mesure appropriée et nécessaire. Vu les mesures qui ont été prises par l’employeur, mesures nécessairement temporaires, qui avaient une limite légale et une limite temporelle, la seule solution pour assurer l’exercice de la fonction de manière pérenne, permettant d’inclure la dimension stratégique de celle-ci, était dès lors que le poste soit déclaré vacant.

Pour la cour, le fait pour l’employeur de chercher à remplacer de façon pérenne et stable la DRH, membre du comité exécutif, après huit mois d’absence et alors que les missions stratégiques n’étaient manifestement plus assurées de façon optimale depuis plusieurs mois constitue un choix de gestion cohérent posé en vue d’atteindre le but légitime ci-dessus, le licenciement n’était ni une discrimination directe fondée sur l’état de santé actuel ou futur ni une discrimination indirecte. Le jugement est dès lors réformé et l’employée condamnée aux dépens.


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