Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 avril 2024, R.G. 2020/AB/726
Mis en ligne le jeudi 16 janvier 2025
Cour du travail de Bruxelles, 25 avril 2024, R.G. 2020/AB/726
Terra Laboris
Résumé introductif
Aux conditions que la loi énumère, le Comité de gestion de l’O.N.S.S. peut renoncer totalement ou partiellement aux majorations et intérêts sur les cotisations dues.
Cette décision peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire, mais étant une compétence discrétionnaire de l’administration, le juge ne peut exercer qu’un contrôle de légalité sans pouvoir de substitution, le juge ne pouvant qu’annuler la décision, s’il échet.
L’existence de circonstances exceptionnelles ou de difficultés d’ordre économique ne peut être retenue si celles-ci sont postérieures aux dates d’exigibilité des cotisations.
Dispositions légales
Analyse
Rétroactes
Une société active dans le secteur du nettoyage fit l’objet d’un contrôle effectué par l’inspection sociale, dont il ressort qu’elle n’avait pas payé de cotisations de sécurité sociale dans le secteur des travailleurs salariés pour des personnes qu’elle occupait et à qui elle avait donné le statut de travailleurs indépendants.
L’O.N.S.S. a en conséquence décidé d’assujettir 33 ouvriers et un employé.
L’avis rectificatif de cotisations date du 10 juillet 1995.
Des poursuites furent entamées à l’encontre de l’administrateur délégué, qui fut placé sous mandat d’arrêt, sa mise en liberté ayant été ultérieurement décidée.
Des mesures furent prises dans le cadre de l’instruction pénale, dont la saisie du compte bancaire de la société, qui présentait alors un solde créditeur de plus de 222 000 €.
La société demanda – en vain - que ce compte soit débloqué, aux fins notamment de payer l’O.N.S.S. et d’éviter une décision de radiation de son enregistrement. Elle parvint cependant à payer autrement les arriérés de cotisations.
L’administrateur-délégué fut condamné pour divers chefs (dont faux ou usage de faux, fausses factures,…).
La cour d’appel confirma cette condamnation par arrêt du 22 mai 2006.
Parallèlement, devant les juridictions du travail, diverses actions furent introduites par l’O.N.S.S. Le principal des cotisations étant réglé, celles-ci ne concernent finalement plus que les majorations et intérêts.
Une demande d’exonération de ceux-ci avait été introduite devant le Comité de gestion de l’O.N.S.S., qui la rejeta par décision du 18 novembre 1996. Cette décision ayant été annulée par le Conseil d’État, une nouvelle fut prise, rejetant une nouvelle fois la demande. Cette décision du Comité de gestion fut également annulée, au motif de la méconnaissance de la chose jugée.
Le tribunal du travail accueillit, par jugement du 18 juin 2010, la demande de paiement de majorations (fixées par l’O.N.S.S. à 22 619 €). Il réserva à statuer sur les intérêts.
Appel ayant été interjeté, un arrêt fut rendu par la Cour du travail de Bruxelles le 22 mai 2014, qui rejeta celui-ci. Il sursit à statuer en attendant la décision du Comité de gestion de l’O.N.S.S.
Celle-ci intervint le 6 mars 2018. Elle rejette encore la demande. Cette décision est longuement motivée.
La société a alors contesté en introduisant une action devant le Tribunal du travail de Bruxelles.
Objet de la demande devant le tribunal du travail
La société sollicite, outre l’annulation de la décision du Comité de gestion, la condamnation de l’Office à lui rembourser une somme de l’ordre de 110 000 € à majorer des intérêts judiciaires.
La décision du tribunal
Le tribunal a statué par jugement du 17 juillet 2019, rejetant la demande et confirmant dans sa totalité la décision de l’O.N.S.S.
Appel est interjeté.
Position des parties devant la cour
La société sollicite à titre principal l’annulation de la décision du Comité de gestion et persiste dans sa demande de condamnation à lui rembourser le montant ci-dessus. Subsidiairement, à supposer que la décision soit confirmée, elle demande la réduction des majorations et intérêts et à titre infiniment subsidiaire demande à la cour d’ordonner à l’O.N.S.S. de prendre une nouvelle décision dans les trois mois de la notification de l’arrêt en tenant compte des considérations sur la base desquelles la décision aura été annulée.
Quant à l’ONSS, il sollicite que la cour déclare l’appel non fondé. Il taxe l’indemnité procédure à 6 500 € (l’appelante retenant un montant de 6 000 €) par instance.
La décision de la cour
La cour reprend les principales dispositions applicables étant (i) l’article 28, § 1er, de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs et (ii) les articles 28, § 1er, 54 et 55 de l’arrêté royal d’exécution du 28 novembre 1969.
Ces dispositions concernent les majorations et intérêts de retard, ainsi que les conditions dans lesquelles O.N.S.S. peut renoncer totalement ou partiellement à ceux-ci. Il s’agit de cas de force majeure dûment justifiés, de circonstances exceptionnelles justificatives, de l’existence d’une créance certaine exigible à charge de l’État ou de certaines autorités publiques ou encore de raisons impérieuses d’équité ou d’intérêt économique.
La cour reprend ensuite une règle importante, étant que dans l’exercice de son pouvoir de renonciation, le Comité de gestion exerce une compétence discrétionnaire. Elle rappelle ici la jurisprudence constante de la Cour de cassation (dont Cass., 30 mai 2011, C.10.0625. F et la doctrine de H. MORMONT, « Le contrôle judiciaire des décisions de l’ONSS en matière de renonciation aux sanctions civiles », La sécurité sociale des travailleurs salariés. L’assujettissement, cotisations, sanctions., Larcier Bruxelles 2010, page 449 et suivantes).
En conséquence, le contrôle judiciaire est un contrôle de légalité sans pouvoir de substitution, le juge ne pouvant qu’annuler la décision.
Eu égard à l’articulation des motifs de la décision en cause, la cour note que le contrôle de légalité va nécessairement porter sur le fondement de la décision et y procède, par voie de conséquence.
La société ayant invoqué comme cas de force majeure la détention de l’administrateur- délégué, le Comité a retenu que celle-ci ne constitue pas une force majeure, ce que la cour confirme. Quant aux difficultés d’ordre économique, elles sont postérieures aux périodes visées.
La décision est dès lors conforme à la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs (article trois).
La cour rejette encore, comme l’avait fait le Comité, l’existence de circonstances exceptionnelles (étant la chute du chiffre d’affaires ainsi que le licenciement de 51 travailleurs en janvier 1996), ceci ayant été dûment examiné par le Comité et étant également postérieur par rapport aux dates d’exigibilité des cotisations.
Vu l’absence d’erreur manifeste, la cour confirme que le Comité a exercé son pouvoir d’appréciation conformément à la loi. Par ailleurs il a satisfait également à l’exigence de minutie requise, les circonstances invoquées ayant été examinées avec sérieux.
Les autres hypothèses de force majeure sont également écartées.
Enfin, pour ce qui est de l’étendue et de l’exigibilité de la créance de l’O.N.S.S. concernant les majorations et intérêts litigieux, elle renvoie à l’arrêt du 22 mai 2014, qui a déjà tranché et elle reporte l’examen du remboursement de cotisations de sécurité sociale, point qui, à son estime, a été insuffisamment instruit.