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Peut-on renoncer à la rémunération à laquelle on a droit ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 13 mars 2024, R.G. 2020/AB/497

Mis en ligne le jeudi 16 janvier 2025


Cour du travail de Bruxelles, 13 mars 2024, R.G. 2020/AB/497

Terra Laboris

Résumé introductif

En vertu de l’article 51 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives et les commissions paritaires, les dispositions impératives en faveur du travailleur figurant dans une convention collective priment le contrat de travail.

Une renonciation ne peut porter sur un droit futur. Elle doit être non équivoque et certaine, c’est-à-dire non susceptible d’une autre interprétation.

Le travailleur qui réclame des arriérés de salaire, se basant sur une classification professionnelle déterminée, doit établir qu’il remplit les conditions de celle-ci, preuve qu’il appartient au juge d’apprécier, dans les limites du principe dispositif.

Dispositions légales

  • Convention collective de travail du 6 septembre 2010 conclue au sein de la commission paritaire n° 226 concernant la description des fonctions-modèles pour la classification des fonctions des employés (A.R. 12 janvier 2011)
  • Loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives et les commissions paritaires - article 51
  • Code judiciaire - article 870
  • Code civil - article 8.4

Analyse

Faits de la cause

Une société relevant de la commission paritaire n° 226 (employés du commerce international, du transport et de la logistique) a engagé une employée le 1er juin 2016, lui appliquant le barème de la classe 1 de la convention collective du secteur.

Celle-ci a été licenciée moyennant préavis à prester en date du 3 avril 2018.

Un solde du décompte de sortie est resté impayé, et ce malgré des mises en demeure.

Un paiement partiel est intervenu le 4 décembre 2018.

Le 17 du même mois, la société a été déclarée en faillite par le Tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles.

Une première déclaration de créance a été introduite par l’employée en vue d’obtenir la régularisation de sa rémunération, celle-ci revendiquant le salaire applicable à la classe 4, les montants réclamés représentant une somme de 12 381,05 euros nets.

Le curateur a contesté la créance, vu les mentions du contrat de travail.

Une deuxième déclaration de créance a alors été introduite réclamant, cette fois, la classe 5 de la catégorie professionnelle, les arriérés se chiffrant alors à 18 505,57 € bruts.

La procédure

L’affaire a été portée devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, qui par jugement du 10 juin 2022, a accueilli partiellement la demande, accordant le solde du décompte de sortie ainsi que les éco-chèques. Le tribunal maintint le classement en catégorie 1.

L’employée a interjeté appel.

L’arrêt de la cour

La cour entreprend l’examen de la catégorie salariale aux fins de vérifier le bien-fondé de la demande relative aux arriérés de rémunération, de la prime de fin d’année et du pécule de vacances.

Les montants réclamés sont alignés sur la catégorie 5 uniquement.

La cour note que, la fonction contractuelle étant celle de « développeur de projets », le curateur considère que l’intéressée n’apporte pas la preuve qu’elle appartiendrait à la catégorie dont le barème est réclamé.

L’appartenance à la commission paritaire 226 elle-même n’est pas contestée.

La cour examine dès lors la convention collective de travail du 6 septembre 2010 concernant la description des fonctions modèles pour la classification des fonctions des employés conclue au sein de celle-ci. Il s’agit d’une convention collective rendue obligatoire par arrêté royal du 12 janvier 2011.

En vertu de l’article 51 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives et les commissions paritaires, celle-ci va dès lors primer le contrat de travail, la cour rappelant que les dispositions sectorielles sont impératives en faveur du travailleur.

En outre, renvoyant à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 7 décembre 1992, n° 9546), la cour du travail rappelle qu’en matière de rémunération, vu le caractère impératif du droit, il ne peut y avoir abandon d’un droit futur. Aussi longtemps que subsiste la raison d’être d’une disposition protectrice, le travailleur ne peut pas renoncer. Cette renonciation ne peut survenir qu’après la naissance du droit.

Ainsi, il peut être renoncé à un droit impératif mais cette renonciation doit être non équivoque. Elle doit être de stricte interprétation, étant, toujours selon la Cour de cassation (Cass., 25 avril 2005, S.03.0101.N), que si la renonciation n’est pas formulée de manière explicite après la naissance du droit, elle ne peut être déduite que de faits non susceptibles d’une autre interprétation.

Sur la question, la cour rappelle encore la jurisprudence des cours du travail (C. trav. Liège 7 mai 2010, R.G. 36 367/09 et jurisprudence citée), selon laquelle ni l’acceptation expresse d’une rémunération inférieure ni l’absence de protestation en cours de contrat ni même la tardiveté de la contestation ne peuvent constituer une renonciation implicite.

En l’espèce, il n’y a pas de renonciation, de telle sorte que la cour en vient à l’examen de la classification sectorielle.

L’employée a été engagée comme « développeur de projets », ce qui n’est pas contesté.

Cette fonction n’apparaît cependant pas dans la convention collective et ne permet dès lors pas d’identifier aisément la classe professionnelle correspondante.

La cour rappelle que, en règle, le critère est celui de la fonction exercée et non le diplôme, non plus que la circonstance que l’employé possède les capacités requises pour exercer une fonction supérieure. Il s’agit d’occuper effectivement celle-ci.

La cour écarte dès lors le diplôme d’infographiste dont l’intéressée est titulaire, ainsi que l’éventuelle expérience professionnelle antérieure.

Par ailleurs, elle souligne que l’objet de la demande porte sur des arriérés de rémunération sur la base de la classe 5 - et non une autre - de telle sorte que, en vertu du principe dispositif, elle est tenue de procéder à l’examen des éléments du dossier dans cette seule perspective, ne devant pas vérifier si d’autres classes professionnelles seraient éventuellement plus adéquates.

Elle reprend dès lors l’ensemble des fonctions listées dans la catégorie professionnelle en cause.

L’intéressée s’appuyant sur une fonction reprise dans la classification (« préposé à la publicité »), la cour aborde la question de la preuve, rappelant les articles 870 du Code judiciaire et 8.4 du Code civil. En vertu de ceux-ci, l’employée a la charge de la preuve des actes juridiques ou des faits qui fondent sa prétention.

À supposer qu’elle rapporte celle-ci, il incombera, pour la cour, à la partie adverse, qui se prétendrait libérée, de prouver les actes juridiques ou les faits qui soutiennent ses prétentions.

La cour vérifie dès lors eu égard aux mentions de la convention collective le contenu de la fonction de préposé à la publicité, fonction qui implique la responsabilité de toute la communication publicitaire et audiovisuelle de l’entreprise en tenant compte des délais et d’un budget fixé.

Les éléments de fait ne permettent cependant pas de constater que le contenu de la fonction exercée était celui-là. La demanderesse échouant, pour la cour, à rapporter la preuve légale requise, sa prétention n’est pas fondée.

C’est dès lors le contrat de travail qui fera la loi des parties quant à la fixation de la rémunération, pour autant, comme la cour le souligne, que cette rémunération corresponde au moins au minimum applicable au sein de la commission paritaire concernée, ce qui est le cas.

Elle aborde encore des points plus factuels, dont la demande du curateur de renvoyer la cause devant le tribunal de l’entreprise, compétent vu l’ouverture de la faillite, en vue de l’admission de la créance au passif de la masse.


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