Commentaire de C. trav. Mons, 21 février 2024, R.G. 2023/AM/89
Mis en ligne le jeudi 16 janvier 2025
Cour du travail de Mons, 21 février 2024, R.G. 2023/AM/89
Terra Laboris
Résumé introductif
Une activité illicite est incompatible avec la perception d’indemnités de mutuelle, la législation visant l’interdiction d’exercice d’une activité sans égard à son caractère occasionnel, déficitaire ou illégale.
La récupération n’est pas une sanction mais une mesure civile dépourvue de caractère pénal. Le principe non bis in idem ne trouve dès lors pas à s’appliquer.
Constitue des manœuvres frauduleuses entraînant l’application d’un délai de prescription de cinq ans le fait de taire sciemment et à deux reprises une reprise d’activité afin d’obtenir un avantage auquel le bénéficiaire savait ne pas avoir droit.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Un assuré social a bénéficié d’indemnités AMI à charge de son organisme assureur pendant plusieurs périodes couvrant chacune quelques mois dans les années 2015 – 2016.
Il a déclaré dans la « feuille de renseignements indemnités » ne pas exercer d’activité et s’engager à signaler immédiatement toute modification qui interviendrait eu égard à ses droits sociaux.
Le 30 octobre 2019, il a été condamné au pénal pour vente ou livraison de produits stupéfiants (quantité importante), les faits se situant entre octobre 2015 et janvier 2017.
Un ProJustitia a été dressé par le service d’inspection de l’INAMI le 7 mai 2020, au motif de la reprise d’une activité sans autorisation du médecin conseil pendant une période d’indemnisation ainsi que sans information donnée à son organisme assureur, les revenus n’étant pas davantage déclarés à ce dernier.
Ce ProJustitia a été transmis à l’intéressé ainsi qu’à sa mutuelle.
Invité à présenter ses observations, l’intéressé n’a pas réagi.
Une décision administrative lui a été notifiée, contenant l’exclusion du droit aux indemnités pour 400 indemnités journalières dont 200 avec sursis (article 168 quinquies, § 2, 3°, a, b, c § 3, alinéa 1er, 3° et § 3/1 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités.
La décision du tribunal du travail du Hainaut
Suite au recours introduit par l’intéressé, le tribunal du travail du Hainaut, division Mons, a statué sur la contestation soulevée ainsi que sur la demande reconventionnelle formée par la mutuelle portant sur la récupération d’une somme de 9 111,52 €, étant 8 338,79 € au titre d’indemnités d’incapacité indûment versées et 772,73 € pour des soins de santé.
Il a débouté le demandeur de sa demande originaire et a fait droit à la demande reconventionnelle en totalité.
Appel a été interjeté par l’assuré social.
La position des parties devant la cour
L’appelant ne conteste pas s’être livré à un trafic de stupéfiants.
Il fait cependant valoir le principe non bis in idem, les faits à l’origine des décisions prises à son égard étant les mêmes que ceux qui ont abouti à sa condamnation au pénal. Les sanctions font dès lors double emploi avec la mesure de confiscation (23 300 €) qui a été prononcée.
Il admet ne pouvoir cumuler les revenus perçus au titre de prestations sociales et le produit d’une activité irrégulière mais constate qu’en fin de compte il est privé de tout revenu pendant la période elle-même, ce qui est contraire à son droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.
Il soulève également un argument tiré de la prescription de la demande de récupération d’un indu, considérant que doit être retenu un délai de deux ans et non de 5, ce dernier applicable en cas de manœuvres frauduleuses. Il fait à cet égard valoir qu’il n’avait pas conscience que, se livrant au trafic en cause, il risquait de perdre des avantages indus.
La mutuelle et l’INAMI sollicitent la confirmation du jugement, au motif que la récupération n’est pas une sanction : il s’agit d’une mesure prise à l’encontre d’un assuré social qui ne remplit pas les conditions d’octroi des indemnités.
Par ailleurs ils considèrent qu’il y a des manœuvres frauduleuses justifiant l’application du délai de prescription quinquennale.
La décision de la cour
La cour reprend d’abord les dispositions légales relatives aux conditions d’octroi des indemnités d’incapacité (article 100, § 1er, alinéa 1er, de la loi du 14 juillet 1994) ainsi que celles permettant l’intervention dans les soins de santé (article 123 de la loi).
Pour ce qui est des conditions d’octroi des indemnités, la cour rappelle la condition première, étant la cessation de toute activité, s’agissant par là de viser toute activité procurant un enrichissement du patrimoine, et ce sans considération du caractère légal ou non de celle-ci.
Elle rappelle un arrêt de sa jurisprudence (C. trav. Mons, 14 mai 2009, R.G. 19.839), qui a jugé que l’article 100 de la loi vise toute occupation orientée vers la production de biens ou de services, peu importe qu’elle soit occasionnelle ou même exceptionnelle et qu’elle soit accomplie sans rémunération.
Il y a, en l’espèce, une activité, rendant indues les indemnités payées pendant la période correspondante.
Pour la cour, dès lors que l’intéressé ne peut prétendre à l’application de l’article 101 de la loi, il ne peut non plus bénéficier du remboursement des soins de santé.
Elle rappelle ensuite, à propos du principe « non bis in idem », que la récupération n’est pas une sanction mais une mesure civile dépourvue de caractère pénal. Le principe ne trouve dès lors pas à s’appliquer. Renvoi est fait à une importante doctrine, ainsi qu’à d’autres arrêts de la jurisprudence de la cour (dont C. trav. Mons, 24 septembre 2022, R.G. 2019/AM/449).
Il en découle que c’est à bon droit que la récupération est a été décidée.
La cour examine alors l’existence de manœuvres frauduleuses entraînant l’application du délai de prescription de cinq ans. La fraude ne se présumant pas, la charge de la preuve de celle-ci incombe à l’organisme de sécurité sociale.
Si - en dehors de circonstances particulières - l’on ne peut retenir comme intention frauduleuse une omission de déclaration ou de demande d’autorisation, rappelant ici l’arrêt de la Cour de cassation du 4 janvier 1993 (Cass., 4 janvier 1993, n° 8091), la cour considère cependant, vu l’absence à deux reprises de toute mention d’activité ou de revenus sur les formulaires complétés par l’intéressé, que celui-ci a sciemment et à deux reprises au moins caché sa reprise d’activité afin d’obtenir un avantage auquel il savait ne pas avoir droit. La cour renvoie ici à l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 7 juin 2023 (C. trav., Bruxelles 7 juin 2023, R.G. 2020/AB/38).
Enfin, elle en vient à la sanction elle-même, constatant que l’INAMI a opté pour la sanction d’exclusion maximale. Pour l’INAMI, l’activité était déjà exercée avant la date du premier formulaire mais, s’agissant de la première infraction, un sursis partiel a été accordé. Il estime que la hauteur de la sanction est en rapport avec la gravité et la durée des infractions constatées.
La cour, rappelant encore que la décision administrative et le jugement du tribunal correctionnel ne visent pas les mêmes comportements (le tribunal correctionnel ayant examiné et sanctionné les faits de vente de stupéfiants mais non le comportement de l’intéressé quant à ses fausses déclarations), conclut que la sanction administrative est justifiée.
Elle examine encore une demande de termes et délais, le premier juge ayant octroyé des mensualités de 800 €. Elle confirme ce montant.