Terralaboris asbl

Etendue en cas de fraude de la récupération d’allocations familiales indûment payées

Commentaire de C. trav. Mons, 15 février 2024, R.G. 2022/AM/125

Mis en ligne le jeudi 16 janvier 2025


Cour du travail de Mons, 15 février 2024, R.G. 2022/AM/125

Terra Laboris

Résumé introductif

En cas de fraude, la caisse d’allocations familiales est fondée à récupérer les prestations versées dans les cinq ans de la prise de connaissance de celle-ci, les prestations payées avant cette date devant être déclarées prescrites.

L’article 120bis, alinéa 3 de la loi générale et l’article 97, alinéa 3, du décret wallon fixant expressément le point de départ de la prescription, l’application de l’article 26 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale doit être écartée.

Dispositions légales

  • Décret wallon du 8 février 2018 relatif à la gestion et au paiement des prestations familiales - article 97, alinéas 1er, p3 et 4
  • Loi générale du 19 décembre 1939 relative aux allocations familiales - article 120bis
  • Code de procédure pénale – article 26
  • Code civil – article 2277
  • Code pénal social - article 233

Analyse

Faits de la cause

Une maman de trois enfants, ayant déclaré les élever seule, a perçu, en conséquence, des suppléments d’allocations familiales pour famille monoparentale.

Un litige survint pour plusieurs périodes, pour lesquelles elle fut invitée par FAMIWAL à rembourser un indu de 5 937,63 €.

Suite au recours introduit devant le Tribunal du travail du Hainaut, division de Charleroi, un jugement fut rendu confirmant l’existence d’un ménage de fait avec son compagnon depuis la naissance du premier enfant.

Le tribunal appliqua un délai de prescription de trois ans, conformément à l’article 97, alinéa 1er du Décret wallon du 8 février 2018 relatif à la gestion et au paiement des prestations familiales.

Il ordonna la réouverture des débats pour le surplus.

Appel fut interjeté par FAMIWAL.

L’arrêt de la cour du travail du 2 mai 2023

La cour réforme le délai de prescription, jugeant que doit être appliqué le délai de cinq ans de l’article 97, alinéa 3 du texte.

Elle ordonne la réouverture des débats sur deux questions précises, la première relative au point de départ de la prise de cours du délai de cinq ans, à savoir s’il s’agit de l’audition de la mère par l’AVIQ ou si une autre date doit être retenue, la seconde sur les décomptes, à produire par FAMIWAL.

Position des parties après l’arrêt du 2 mai 2023

La mère demande que la date de départ de la prescription soit fixée au 26 janvier 2020.

Elle sollicite également que l’article 120bis de la loi générale soit interprété en ce sens que la récupération des prestations indues est limitée à une période de cinq ans précédant la constatation de la fraude, du dol ou des manœuvres frauduleuses, ce qui, en l’espèce, aboutit à un délai de récupération du 1er janvier 2015 au 31 mars 2020.

Pour FAMIWAL, la décision administrative doit être confirmée. L’institution demande également d’acter le bien-fondé des retenues effectuées et, sur l’indemnité de procédure, sollicite que celle-ci soit fixée au montant de base.

L’arrêt de la cour du 15 février 2024

La cour note que les parties s’accordent pour fixer le point de départ du délai à la date de la connaissance de la fraude par FAMIWAL, qui est le 26 janvier 2020, lorsque l’institution a reçu un rapport de l’AVIQ constatant la situation de cohabitation. La récupération pouvait être décidée dans un délai de cinq ans à partir de cette date. La prescription a été interrompue par une lettre recommandée du 17 avril 2020.

La cour en vient ainsi à la question de l’étendue de la récupération.

Le point de départ de son raisonnement est l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 22 septembre 2022 (C. Const., 22 septembre 2022, n° 115/2022). La Cour avait été interrogée sur la compatibilité de l’article 120bis de la loi générale du 19 décembre 1939 relative aux allocations familiales avec les articles 10 et 11 de la Constitution (lus en combinaison ou non avec l’article 23), s’agissant de savoir si, en cas de fraude, les prestations pouvaient être réclamées sans limitation dans le temps pour autant que l’organisme compétent prenne une décision de récupération dans un délai de cinq ans à compter du moment où il avait eu connaissance de celle-ci. La différence de traitement concernait les débiteurs de prestations familiales et ceux de dettes périodiques (pour qui existe une prescription quinquennale, étant l’article 2277 du Code civil).

La cour Constitutionnelle a répondu en renvoyant à son précédent arrêt du 21 janvier 2021 (C. Const. 21 janvier 2021, n° 9/2021), où elle a conclu à la constitutionnalité de la disposition en cause en tenant compte du fait que le délai de prescription qu’elle prévoit est identique à celui de l’article 2277 du Code civil, de sorte que les assurés sociaux sont comme les débiteurs de dettes périodiques protégés contre la récupération d’une accumulation d’allocations indues qui, dans la durée, pourrait se transformer en une dette de capital importante. Elle précise dans son arrêt du 22 septembre 2022 qu’il faut en déduire que même en cas de fraude et même si l’organisme compétent agit dans les cinq ans, il ne peut pas réclamer l’indu sans limitation dans le temps. Ceci serait manifestement disproportionné, eu égard à l’objectif du législateur, qui est de lutter contre la fraude sociale. Pour la Cour constitutionnelle, dans cet arrêt, la question posée n’appelle pas de réponse, dès lors qu’elle repose sur une interprétation manifestement erronée de la disposition en cause.

La cour du travail renvoie ensuite à un précédent arrêt du 3 octobre 2023 (C. trav. Mons, 3 octobre 2023, R.G. 2022/AM/23 et 2022/AM/24), qui pose la question de la constitutionnalité de l’article 120bis, alinéa 3, 2e phrase ainsi que celle de l’article 97, alinéa 4, du Décret wallon du 8 février 2018 non en ce qu’ils fixent un nouveau point de départ du délai mais en ce que cela aurait pour conséquence une accumulation de dettes périodiques qui, dans la durée, peut se transformer en une dette de capital importante. Se pose ainsi la question des effets disproportionnés que provoque l’application de ces articles dans cette interprétation.

Elle cite également la position de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège (div. Liège), 21 juin 2023, R.G. 2022/AL/228 et 238) pour qui les débiteurs doivent dans une telle hypothèse bénéficier d’un délai de prescription abrégé et non du délai de droit commun de 10 ans mais qui peuvent être traités différemment tant en ce qui concerne le délai de prescription que son point de départ vu l’origine frauduleuse de la dette.

La cour constate cependant que la Cour constitutionnelle n’a pas précisé l’interprétation conforme de l’article 120bis, alinéa 3, de la loi générale ni la limitation dans le temps applicable à la récupération de l’indu. Il y a dès lors un vide législatif qui n’a pas été entièrement comblé par celle-ci.

Elle rejoint ensuite l’avis de l’Avocat général, qui a exposé que la volonté du législateur ne peut être décelée à partir des travaux préparatoires, ceux de la loi-programme du 28 juin 2013 (qui a introduit l’article 120bis dans sa mouture actuelle) ayant eu un seul objet, étant de neutraliser la période entre le paiement indu et la découverte de la fraude.

La position du ministère public est également que la récupération des prestations indûment payées plus de cinq ans avant la prise de connaissance de la fraude ne devrait plus intervenir.

C’est cette dernière interprétation que la cour retient.

Elle puise encore dans un autre arrêt de la Cour constitutionnelle (C. Const., 9 février 2023, n° 22/2023), rendu en matière de GRAPA, où celle-ci a donné son interprétation de l’article 21, § 3, alinéas 2 et 3 de la loi du 13 juin 1966, interprétation qui va dans le sens que la récupération ne doit pas produire des effets disproportionnés.

Raisonnant par analogie avec cette conclusion de la Cour constitutionnelle, la cour conclut que FAMIWAL est fondée à récupérer les prestations versées dans les cinq ans de la prise de connaissance de la fraude, les prestations payées avant cette date devant être déclarées prescrites.

Elle en vient ensuite à un autre fondement invoqué, étant l’infraction continuée, l’article 233 du Code pénal social punissant d’une sanction de niveau quatre les déclarations inexactes ou incomplètes concernant les avantages sociaux. Rappelant la doctrine (J-F NEVEN, « Fausse déclaration d’un assuré social et délai de prescription », B.J.S., 2013/489 page 14), elle retient que ce principe n’est pas applicable lorsque la disposition légale relative à la prestation sociale précise expressément le point de départ de la prescription.

Les dispositions visées en l’espèce (article 120bis, alinéa 3 de, la loi générale et article 97, alinéa 3, du décret) fixant expressément le point de départ de la prescription, l’application de l’article 26 du titre préliminaire du Code de procédure pénale est écartée.


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