Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 juin 2024, R.G. 2020/AB/790
Mis en ligne le jeudi 16 janvier 2025
Cour du travail de Bruxelles, 20 juin 2024, R.G. 2020/AB/790
Terra Laboris
Résumé introductif
L’article 16 de la Charte de l’assuré social prévoit qu’en règle les décisions sont notifiées par lettre ordinaire ou par la remise d’un écrit. Le fait que l’ONEm n’ait pas notifié sa décision par recommandé n’est dès lors pas une faute. Par contre, en agissant tardivement en récupération, l’ONEm a commis une faute qui a contribué à l’accroissement de la dette et a privé le chômeur de l’opportunité de solliciter l’aide du CPAS.
Sur le plan procédural, est recevable l’appel incident formé dans les premières conclusions, déposées avec retard après le premier délai mais avant le délai ultérieur et sans la moindre déloyauté procédurale. Une partie non intimée doit interjeter appel principal dans le mois de la notification du jugement et un appel incident est irrecevable.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Le litige oppose M. H. à l’ONEm, Actiris et la CAPAC.
M. H., qui bénéficiait des allocations d’insertion, a suivi plusieurs formations avec l’accord d’Actiris.
Le 16 juillet 2018, il a introduit, par l’intermédiaire de la CAPAC, une nouvelle demande de dispense pour suivre des études de plein exercice dans l’enseignement supérieur, ce qu’Actiris a refusé dans une décision du 19 juillet 2018 adressée à la CAPAC.
Celle-ci soutient avoir communiqué cette décision au chômeur par courrier simple et a continué à payer les allocations.
M. H. a entamé ces études le 14 septembre 2018.
Le service contrôle de l’ONEm a, le 15 janvier 2019, interrogé l’établissement scolaire sur les études suivies par M. H. et a obtenu la réponse le 25 janvier 2019, étant que les études suivies étaient de plein exercice.
Le service indemnisation n’en aurait été informé que le 2 mai 2019.
Par décision du 21 juin 2019, l’ONEm retire à M. H. le droit aux allocations de chômage à partir du 14 septembre 2019, décide de récupérer les allocations indûment payées et prononce une sanction administrative de 8 semaines.
Le recours judiciaire
Le recours de M. H. tendait à l’annulation de la décision de l’ONEm et, subsidiairement, à la condamnation des trois organismes à lui verser des dommages et intérêts équivalant au montant de la récupération.
L’ONEm demandait la condamnation de M. H. au remboursement des allocations indûment perçues.
Le jugement du tribunal
Le tribunal, statuant par jugement du 24 novembre 2020, a débouté M. H. de son action contre Actiris, a annulé la décision de l’ONEm et a condamné celui-ci et la CAPAC au paiement de dommages et intérêts correspondant au montant de l’indu, à concurrence de ¼ pour le premier et ¾ pour la seconde.
L’ONEm a formé un appel principal contre M. H. mais il se déduit des termes de la requête qu’il entendait également appeler à la cause Actiris et la CAPAC.
L’arrêt de la cour
L’arrêt décide que ces parties sont en cause devant le juge d’appel et que l’appel incident du chômeur contre ces parties est recevable. Il a été formé dans ses premières conclusions, déposées avec un retard de deux jours après le premier délai mais avant le délai ultérieur et sans la moindre déloyauté procédurale. Il cite à cet égard notamment l’arrêt de la Cour de cassation du 17 novembre 2023 (Cass., 17 novembre 2023, C.23.0084.F) et les conclusions de l’avocat général MORMONT (sur Juportal).
L’appel de la CAPAC est par contre irrecevable. Cet organisme n’a pas interjeté appel principal dans le mois de la notification du jugement et ne peut être qualifié de partie intimée puisqu’aucune partie en cause ne formule en degré d’appel de prétentions contre lui. L’arrêt rappelle que la sanction de la déchéance prévue à l’article 860 du Code judiciaire est d’ordre public (avec renvoi à Cass., 12 février 2021, C.20.0086.N ; Cass., 19 mai 2016, C.14.0301.N).
L’appel incident du chômeur contre Actiris est déclaré non fondé.
Ayant déjà obtenu une dispense pour suivre des études supérieures, il ne pouvait plus en obtenir. Le fait que cet organisme n’ait pas notifié sa décision par recommandé n’est pas une faute, l’article 16 de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer la Charte de l’assuré social prévoyant qu’en règle les décisions sont notifiées par lettre ordinaire ou par la remise d’un écrit. A supposer que M. H. ne l’ait pas reçue, il lui appartenait de se renseigner sur le sort réservé à sa demande de dispense.
La cour du travail examine ensuite l’appel de l’ONEm contre M. H. et l’appel de ce dernier contre cet organisme.
Elle décide que l’article 17 de la loi du 11 avril 1995 n’est pas applicable, la cause ne visant pas à la rectification d’une décision erronée en raison d’une erreur de droit ou matérielle de l’ONEm. L’arrêt cite la décision de la Cour de cassation du 29 mai 2017 (Cass., 29 mai 2017, S.15.0131.F).
La thèse de M. H. est en effet que le contrôle de l’ONEm est tardif, ce qui peut seulement engager la responsabilité civile de cet organisme. Sa décision ne doit donc pas être annulée.
Concernant cette responsabilité, l’arrêt retient que dès fin janvier 2019 l’ONEm savait que le chômeur poursuivait des études malgré le refus de dispense.
En agissant tardivement en récupération, l’ONEm a commis une faute qui a contribué à l’accroissement de la dette et le chômeur a perdu l’opportunité de solliciter l’aide du CPAS, ce dont le tribunal a tenu compte dans l’évaluation du dommage.
M. H. a aussi commis une faute car il était clairement indiqué sur le formulaire DV13 de demande de dispense qu’il devait attendre l’octroi de celle-ci avant de commencer ses études et ce n’était pas la première fois qu’il sollicitait une dispense.
Sur la détermination du dommage, la CAPAC a été définitivement condamnée par le tribunal à lui payer des dommages et intérêts correspondant à ¾ de l’indu. Le remboursement à l’ONEm s’élève donc à 1.715,98 €. Compte tenu des torts partagés l’arrêt condamne cet organisme à lui payer 1.000€ ex aequo et bono, à compenser avec l’indu à rembourser.
La sanction d’exclusion de 8 semaines est remplacée par un avertissement.
Intérêt de la décision
Cet arrêt illustre la place croissante qu’occupe le droit judiciaire dans les procédures en la matière vu les mises en cause d’autres parties que le chômeur et l’ONEm – et ce particulièrement pour ce qui est de la recevabilité des appels.