Commentaire de C. trav. Mons, 6 mars 2024, R.G. 2022/AM/271
Mis en ligne le jeudi 16 janvier 2025
Cour du travail de Mons, 6 mars 2024, R.G. 2022/AM/271
Terra Laboris
Résumé introductif
Les indemnités de maladie ne peuvent être cumulées avec une rémunération ou une indemnité due « à la suite de la rupture irrégulière du contrat de travail ».
Si des dommages et intérêts ont été alloués eu égard à la résolution fautive du contrat de travail, cette qualification ne dispense pas le juge, dans le cadre d’un autre litige, d’examiner si le cumul est autorisé avec les indemnités d’incapacité de travail.
Un paiement a un caractère rémunératoire dès lors qu’il s’agit d’un avantage évaluable en argent auquel l’employé.e a droit en raison de son engagement et dont le paiement est à charge de l’employeur. La circonstance qu’il n’y a pas de cotisations de sécurité sociale est indifférente.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Une employée communale a été en incapacité de travail en mars 2017, suite à une agression (collègue de travail).
Un an plus tard, elle a demandé à son employeur de pouvoir démarrer un trajet de réintégration, ce que celui-ci a refusé.
Quatorze mois plus tard, soit en mai 2019, elle a introduit une demande de résolution judiciaire du contrat de travail aux torts de la Ville.
Rétroactes de la première procédure
Le tribunal du travail du Hainaut, division de Binche, a statué par jugement du 24 juin 2019. Il a prononcé la résolution judiciaire du contrat de travail, condamnant l’employeur public à un montant provisionnel de 55 767,20 €, et ce au titre d’indemnité de rupture et couvrant le dommage matériel. Il a également alloué 15 000 € ex aequo et bono, au titre de réparation du dommage moral.
La Ville a interjeté appel.
La Cour du travail de Mons a statué par arrêt du 28 octobre 2020 sur la résolution judiciaire du contrat aux torts de l’employeur. Elle a confirmé celle-ci.
Pour ce qui est des montants, ceux-ci ont été corrigés. La condamnation a été ramenée à 53 046,84 € pour l’indemnité de rupture et la réparation du dommage matériel.
L’origine du présent litige
L’organisme assureur prend une décision en date du 21 mai 2021, et ce en vue d’obtenir le remboursement des indemnités d’incapacité de travail versées entre le 8 mai 2019 (lendemain de l’introduction de la procédure en résolution judiciaire) et le 22 janvier 2021.
Pour celui-ci, l’indemnité de rupture de contrat coïncide partiellement ou totalement avec une période de travail et le cumul est interdit par l’article 103 de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994.
La banque Carrefour note en effet dans un bon de rupture que la période est couverte par une telle indemnité.
Un recours est alors introduit par l’intéressée devant le Tribunal du travail du Hainaut, division de Binche, et ce en date du 12 août 2021.
Le tribunal conclut à l’obligation pour l’intéressée de rembourser la somme réclamée, étant 18 712,46 €.
Celle-ci interjette appel.
La décision de la cour
Après avoir très brièvement rappelé l’objet de la demande en appel et la position des parties, la cour en vient à la nature de l’indemnisation liée à la résolution judiciaire du contrat de travail.
Le texte de l’article 103, § 1er, de la loi coordonnée prévoit en effet l’interdiction de cumul des indemnités de maladie avec une rémunération (celle-ci étant entendue au sens de l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération des travailleurs) ainsi qu’avec une indemnité due « à la suite de la rupture irrégulière du contrat de travail ».
Cette dernière notion n’est pas définie dans la loi et, pour la cour, il faut en conséquence se tourner vers l’arrêté royal du 10 juin 2001 portant définition uniforme de notions relatives au temps de travail à l’usage de la sécurité sociale, en application de l’article 39 de la loi du 26 juin 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions. Cet arrêté s’applique, en effet, à toutes les branches de la sécurité sociale.
Renvoyant à un arrêt de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège (div. Liège), 9 octobre 2020, R.G. 2018/AL/642), la cour énonce qu’il faut entendre par là (article 66 de cet arrêté royal) que la rupture irrégulière signifie la fin du contrat de travail pour laquelle l’employeur doit une indemnité au travailleur en application des articles 39, § 1er, ou 40, § 1er, de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.
Sont donc visées l’indemnité compensatoire de préavis de l’article 39 ainsi que l’indemnité en cas de résiliation avant terme et sans motif grave d’un contrat à durée déterminée (ou pour un travail nettement défini) de l’article 40.
La cour en vient, ensuite, à la définition de la rémunération au sens de l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 (celui-ci précisant qu’il s’agit (i) du salaire en espèces auquel le travailleur a droit en raison de son engagement ou en vertu de l’usage, (ii) du pourboire ou du service dans les mêmes conditions ainsi que (iii) des avantages évaluables en argent dus suite à l’engagement. Cette notion peut être étendue par le Roi.
La cour renvoie ensuite à l’article 103, § 1er, 1° de la loi coordonnée (dans sa version applicable aux faits), qui confie au Roi le même pouvoir (celui-ci étant ici non seulement d’étendre mais également de restreindre la notion).
Elle a ainsi été étendue à plusieurs types de paiements et d’indemnités (article 228 de l’arrêté royal du 3 juillet 1996 portant exécution de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994. Cependant, la résolution judiciaire du contrat n’est pas visée.
Tout en soulignant encore que le système est complexe, dans la mesure où existe une pluralité de définitions de la rémunération, et ce selon qu’il s’agisse de la protection de la rémunération ou de la base des cotisations de sécurité sociale.
Dans cette dernière matière, sont en effet exclues les indemnités dues au travailleur lorsque l’employeur ne respecte pas ses obligations légales, contractuelles ou statutaires (article 19, § 2, 2° de l’arrêté royal du 28 novembre 1969 pris en exécution de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs). Or un tel texte, dérogatoire, n’existe pas dans le régime de l’assurance soins de santé et indemnités.
La cour note que, pour l’appelante, le montant alloué eu égard à la résolution fautive du contrat de travail constitue des dommages et intérêts. Elle rencontre cette argumentation en précisant que, même si dans son arrêt du 28 octobre 2020 elle a effectivement condamné la Ville à des dommages et intérêts, cette qualification ne la dispense pas, dans le cadre d’un autre litige, d’examiner si le cumul est autorisé avec les indemnités d’incapacité. La question est ici de voir si ces dommages et intérêts entrent dans les hypothèses de l’article 103, § 1er, 1° ou 3° de la loi.
Dans la mesure où le contrat n’a pas été rompu par l’employeur mais par le juge, l’indemnité n’est pas due en suite de la rupture irrégulière du contrat.
Le montant perçu constitue cependant de rémunération, au sens de l’article 2 de la loi du 12 avril 1965 dans la mesure où il s’agit d’un avantage évaluable en argent auquel l’employée a droit en raison de son engagement et dont le paiement est à charge de l’employeur.
La circonstance qu’il n’y a pas de cotisations de sécurité sociale est indifférente, dans la mesure où existent diverses notions de rémunération, notamment pour l’assiette des cotisations sociales.
La cour confirme dès lors la position de l’organisme assureur sur l’interdiction du cumul.
Pour ce qui est de l’indu, elle retient l’absence d’information de l’organisme assureur quant à la procédure engagée, cette absence n’étant cependant pas frauduleuse.
N’ayant pas dûment informé sa mutuelle, l’intéressée ne peut prétendre conserver les indemnités d’incapacité. L’appel est en conséquence considéré non fondé.