Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 mai 2024, R.G. 2021/AB/125
Mis en ligne le jeudi 16 janvier 2025
Cour du travail de Bruxelles, 22 mai 2024, R.G. 2021/AB/125
Terra Laboris
Résumé introductif
En vertu de l’article 3 de la loi du 13 mars 2024 sur la motivation des licenciements et des licenciements manifestement déraisonnables des travailleurs contractuels du secteur public, l’employeur qui envisage de licencier un travailleur pour des motifs liés à sa personne ou à son comportement est tenu d’organiser une audition préalable.
L’indemnité compensatoire de préavis ne tenant pas compte du préjudice subi du fait du licenciement manifestement déraisonnable, ce préjudice distinct découlant de la faute de l’employeur doit être réparé séparément.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Une employée communale engagée à temps partiel dans le cadre d’un plan de proximité et de prévention conclut, après un contrat à durée déterminée, un engagement pour une durée indéterminée à dater du 1er février 2013.
Elle signe à la même date un deuxième contrat à durée indéterminée, également à temps partiel. Les fonctions de ce deuxième contrat concernent une coordination extra-scolaire.
Dans les faits, l’intéressée s’occupe des enfants de 0 à 12 ans (accueil, centre de vacances, …).
En 2018, elle est écartée pour cause de grossesse. Elle sera ensuite en congé (vacances annuelles et congés prénatal et postnatal, suivi des congés annuels de l’année suivante). Ayant ainsi accouché le 26 février 2019, elle doit normalement reprendre le travail le 1er octobre.
Dans l’intervalle, l’organisation des plaines de jeux durant les vacances 2019 a été concédée par marché public.
Peu avant la reprise, en septembre 2019, un entretien a lieu concernant la réorganisation des services, entretien en présence de l’intéressée : un compte rendu est rédigé, celui-ci étant amendé par elle. Ce texte est relatif à la fermeture de l’accueil et à l’externalisation des plaines d’été et des stages, ce qui a une incidence importante sur les fonctions de l’employée, vu la disparition du contenu de ses fonctions.
Il est ainsi fait état de la rupture du contrat à mi-temps relatif à celles-ci, l’intéressée ne pouvant reprendre que pour l’autre mi-temps (accueil extrascolaire) et que celle-ci a exposé que les fonctions précédemment remplies dépassaient le cadre de ce mi-temps, de telle sorte qu’elle ne pourrait plus gérer certaines tâches. En outre, un éducateur de rue intégré à l’équipe avait été engagé, chose sur laquelle celle-ci a marqué son étonnement, vu qu’elle aurait pu assumer certaines des tâches confiées à ce dernier.
Le PV conclut en actant le souhait de l’intéressée d’occuper n’importe quelle fonction afin de combler le mi-temps perdu.
Quelques jours plus tard, le Collège communal décide de mettre fin aux deux contrats, décision qui est notifiée le lendemain.
Le conseil de l’employée intervient immédiatement, réclamant à défaut de réintégration de sa cliente des dommages-intérêts pour défaut d’audition préalable, une indemnité de préavis complémentaire et des dommages-intérêts pour licenciement abusif.
Les parties restant sur leur position, une procédure est introduite devant le tribunal du travail du Brabant wallon, division Wavre, qui, par jugement du 12 janvier 2021, a rejeté les demandes de la travailleuse.
La décision de la cour
Revenant sur les principes en matière d’audition d’un agent contractuel du secteur public dont le licenciement est envisagé, la cour reprend essentiellement l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 6 juin 2017 (C. Const., 6 juin 2017, n° 86/2017).
Celui-ci a mis en exergue la situation juridique distincte des agents statutaires par rapport aux agents contractuels, situation qui ne les empêche cependant pas, par rapport à une question de droit posée par leur action devant un juge, de les placer dans une situation comparable. Ceci notamment pour ce qui est de l’application par l’administration du principe général Audi altera partem.
Il est ressorti de cet arrêt que l’obligation d’audition a été précisée, étant qu’elle s’impose uniquement lorsque le licenciement est envisagé pour des raisons de comportement ou des motifs liés à la personne du travailleur.
La cour en veut encore pour preuve l’article 3 de la loi du 13 mars 2024 sur la motivation des licenciements et des licenciements manifestement déraisonnables des travailleurs contractuels du secteur public (non applicable en l’espèce), qui dispose que l’employeur qui envisage de licencier un travailleur pour des motifs liés à sa personne ou à son comportement est tenu d’organiser cette audition préalable.
En l’espèce, est en cause la réorganisation d’un service, ce qui n’est pas un motif lié à la personne ou au comportement.
Pour l’employée, ceci n’est cependant pas le motif réel, celle-ci renvoyant plutôt à ses absences de longue durée, qui est un motif personnel. Ces allégations n’étant pas avérées, la cour conclut à l’absence d’obligation pour la commune d’auditionner l’intéressée et la déboute de ce chef de demande, celle-ci ayant postulé des dommages et intérêts pour perte d’une chance de conserver son emploi.
La cour en vient à la demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif, reprenant trois fondements, étant la théorie générale de l’abus de droit, la CCT n° 109 (dont elle rappelle, en renvoyant à plusieurs décisions de jurisprudence la non- applicabilité aux travailleurs du secteur public) et enfin la loi du 13 mars 2024, qui a mis fin aux controverses relatives à la motivation du licenciement, celle-ci étant rendue obligatoire. Son texte, s’alignant sur celui de la CCT N° 109, prévoit également l’obligation pour l’employeur, à défaut d’audition ou de communication des motifs concrets de licenciement, de payer une indemnité de deux semaines de rémunération.
La cour relève encore que cette loi donne du licenciement manifestement déraisonnable la même définition que la CCT N° 109 et que ceci vaut également pour l’indemnisation.
Quant au texte applicable en l’espèce, si la CCT N° 109 doit être écartée, le droit commun peut être appliqué pour les licenciements intervenus avant la nouvelle loi du 13 mars 2024, la Cour constitutionnelle ayant autorisé que l’on se réfère aux critères de la CCT N° 109, ce qui ne dispense pas le travailleur, conformément au droit commun des obligations, de prouver son dommage à la fois dans son principe et dans son ampleur (C. Const. 30 juin 2016, n° 101/2016).
La cour estime devoir scinder son examen de l’espèce en deux volets. Pour ce qui est de la rupture des fonctions d’animatrice dans le cadre du plan de proximité et de prévention, le motif est lié aux nécessités de fonctionnement.
Par contre, pour le deuxième contrat, les motifs ne sont pas clairs et la cour entreprend de vérifier, dans l’ensemble des éléments déposés, en ce compris les explications de la commune, les motifs réels de la décision. Elle estime eu égard notamment à la circonstance qu’a été gardée la remplaçante de l’intéressée, et ce pour exercer les fonctions de cette dernière, qu’il y a une faute de l’employeur.
Quant au dommage, il est établi. Si l’employée avait été occupée dans le secteur privé, elle aurait pu prétendre à l’indemnité de la CCT N° 109. De même, si elle avait été licenciée après le 1er mai 2024, date d’entrée en vigueur de la loi du 13 mars 2024, elle aurait bu bénéficier d’une indemnisation.
L’indemnité compensatoire de préavis ne tenant pas compte du préjudice subi du fait du licenciement manifestement déraisonnable, ce préjudice distinct découlant de la faute de l’employeur n’est pas réparé. Il y a dès lors lieu d’octroyer des dommages et intérêts, que la cour fixe ex aequo et bono à 5000 €.
Intérêt de la décision
Ce licenciement d’un agent contractuel du secteur public est encore une illustration du flou entourant les garanties juridictionnelles en la matière.
Sur la motivation du licenciement, la cour a très justement souligné – comme l’ensemble de la jurisprudence – la non- applicabilité du seul texte existant à l’époque permettant la vérification du caractère manifestement déraisonnable du licenciement, étant la CCT N° 109. Restait dès lors le retour au droit commun, avec les aléas sur le plan de la charge de la preuve, notamment, ainsi qu’au niveau de l’indemnisation. De l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 16 juin 2016 découlait la position selon laquelle le juge peut s’inspirer des balises données par la CCT N° 109 au niveau des motifs. La question de l’indemnisation et de la charge de la preuve restait cependant inchangée.
La loi du 13 mars 2024, entrée en vigueur le 1er mai 2024, semble avoir grandement facilité l’examen de ce contentieux, transposant, cependant, les débats actuels que suscite la CCT N° 109 dans le secteur privé.
Par ailleurs, sur la question de l’audition, l’arrêt rappelle que celle-ci n’est pas toujours obligatoire. La sanction de l’absence d’audition lorsque celle-ci devait intervenir est, pour les licenciements à partir du 1er mai 2024, forfaitaire.