Commentaire de C. trav. Mons, 14 février 2024, R.G. 2022/AM/461
Mis en ligne le jeudi 16 janvier 2025
Cour du travail de Mons, 14 février 2024, R.G. 2022/AM/461
Terra Laboris
Résumé introductif
La date de la reprise d’actif après faillite est fixée par le Comité de gestion du Fonds de fermeture.
Pour qu’il y ait transfert d’entreprise, il faut que l’entité économique garde son identité et que soit maintenu un ensemble organisé de personnes et de moyens permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre.
La réglementation exige à cet effet la reprise d’une importante collectivité de travailleurs. Le réengagement de quelques membres du personnel ne suffit pas, d’autant lorsque le savoir-faire et les techniques professionnelles acquis par eux auprès de la société faillie ne peut entrer dans les « actifs immatériels » transférés.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Dans le cadre de la faillite de son employeur (société A), un travailleur remplit un formulaire F1 à destination du Fonds de fermeture. Celui-ci porte sur divers éléments rémunératoires ainsi qu’une indemnité de rupture de 79 888,47 €.
Ce document est contresigné le 17 mai 2020 par le curateur.
Ce dernier conclut avec un tiers (M. O.) en date du 2 juillet une « convention de transfert d’entreprise », en application de l’article XXX–166, § 1er, du Code de droit économique. Celle-ci porte sur l’universalité des biens de la société faillie, étant les biens matériels et immatériels, en ce compris le fonds de commerce et un immeuble à usage industriel ainsi qu’un terrain. Le repreneur agit, dans le cadre de cette opération « tant pour lui-même que pour toute autre société à constituer ». Le repreneur s’engage à reprendre quatre travailleurs dans l’année, et ce en conformité avec la C.C.T. 32bis (chapitre III).
Le travailleur concerné est réengagé cinq jours après la signature de la convention. L’employeur est une société B, constituée peu après la faillite et administrée par un ancien travailleur de la société faillie.
Peu de temps après, le 27 juillet, le travailleur constitue avec le repreneur (M. O.) une société C.
Le Comité de gestion du Fonds de fermeture décide en décembre 2020 qu’il y a eu reprise après faillite par la société B. Le travailleur en question perçoit dès lors une indemnité de transition et non une indemnité de rupture.
Un litige survient, ce dernier faisant valoir que le repreneur n’est pas la société B mais la société C.
Le Fonds de fermeture maintient sa position. Il considère notamment que les sociétés ont des activités similaires, la seconde ayant été reprise par un ancien salarié de la première heure et ayant été constituée très fraîchement. Elle n’emploie que des anciens travailleurs de la société faillie. Le Fonds précise encore qu’une cession de fonds de commerce avec un cessionnaire n’empêche pas qu’une deuxième reprise avec un autre cessionnaire puisse également avoir lieu.
Un recours ayant été introduit devant le Tribunal du travail du Hainaut, division de Binche, afin de faire dire pour droit au tribunal que la société B n’est pas le repreneur, le tribunal a tranché par jugement du 9 novembre 2022, condamnant le Fonds de fermeture au paiement de l’indemnité de rupture réclamée (avec la limitation au montant plafonné par les articles 23 et 24 de la loi du 26 juin 2022 et en tenant compte de la somme déjà versée au titre d’indemnité de transition). Il a également condamné le FFE au paiement des intérêts sur le net.
Le tribunal n’a pas tranché la question de la reprise d’actif, se bornant à constater que le délai de deux mois entre la faillite et le réengagement exigé pour l’octroi de l’indemnité de transition n’était pas respecté.
La décision de la cour
La cour dresse un tableau très clair de la réglementation applicable, rappelant que la finalité de la loi du 26 juin 2002 (transposant la directive européenne 81/987/CE du conseil du 20 octobre 1980 relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur – actuellement directive 2008/94/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008) est de protéger les salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur, en garantissant notamment le paiement des créances impayées.
Elle précise ensuite les conditions dans lesquelles l’indemnité de rupture est remplacée par une indemnité de transition. Il s’agit de viser l’hypothèse du réengagement du travailleur par l’employeur qui a effectué une reprise d’actif, cette indemnité couvrant le « creux » entre l’interruption de l’activité et le réengagement.
La loi définit la reprise d’actif, notion dont la date est fixée par le Comité de gestion du Fonds de fermeture. Cette reprise doit intervenir dans un délai de deux mois après la faillite (sauf convention collective prévoyant d’autres dispositions), délai prorogeable.
Pour qu’il y ait transfert d’entreprise, il faut que l’entité économique garde son identité, la cour précisant avec renvoi à divers arrêts de la Cour de justice, qu’il faut que soit maintenu un ensemble organisé de personnes et de moyens permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre.
Avant d’examiner la question du transfert, la cour vérifie le respect des conditions de débition de l’indemnité de transition. Rappelant que cette hypothèse est limitée aux situations dans lesquelles les travailleurs ont été réengagés par le repreneur – condition préalable et sine qua non –, la cour constate un désaccord des parties sur la question de la reprise de l’actif.
Elle souligne ensuite le rôle du curateur dans les négociations où celui-ci joue un rôle déterminant dans la reprise de l’actif.
En l’espèce, la cour déduit de l’absence de rédaction d’une convention de transfert que la société B n’aurait pas réellement repris l’actif.
Par contre, de nombreux indices tendent à confirmer que cette reprise est intervenue avec la société C (reprise de l’universalité des biens ainsi que du fonds de commerce, engagement de reprendre au moins quatre travailleurs dans un délai d’un an, établissement du siège social à l’adresse de la société faillie, même code NACE à la BCE). Pour la cour, il y a continuation de l’activité.
Quant à la société B, les éléments du dossier ne permettent pas de retenir l’existence d’une reprise effective, même s’il y a eu engagement de quelques membres du personnel. La réglementation exige en effet la reprise d’une importante collectivité de travailleurs. Or, à la date de la reprise d’actif, à laquelle il faut se placer, il n’y avait que deux travailleurs (sur 13) repris.
Reste encore à déterminer si l’utilisation par la société repreneuse du savoir-faire et des techniques professionnelles acquis par les travailleurs auprès de la société faillie, peut entrer dans les « actifs immatériels » et être prise en compte en tant que biens transférés. La cour considère, contrairement au Fonds de fermeture, qui renvoie à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 2 décembre 2014, J.T.T., 2015, page 180) que ceci est certes plausible dans une société informatique mais non lorsqu’il s’agit de fabrication de palettes en bois.
C’est en fin de compte essentiellement du fait de la présence de deux seuls ouvriers à la date requise que la cour tire la conclusion qu’il n’y a pas eu de poursuite des activités par la société B.
Elle confirme dès lors le jugement.
Quant à la date de prise de cours des intérêts, elle rappelle l’article 66 de la loi du 26 juin 2002, qui prévoit que ceux-ci sont dus de plein droit à partir du lendemain du jour ultime où le paiement aurait dû être effectué, excluant ainsi la nécessité d’une mise en demeure.