Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 avril 2024, R.G. 2023/AB/297
Mis en ligne le jeudi 16 janvier 2025
Cour du travail de Bruxelles, 18 avril 2024, R.G. 2023/AB/297
Terra Laboris
Résumé introductif
En cas de travail à temps partiel, la copie ou l’extrait du contrat de travail doit être conservé en chacun des lieux où le travailleur est occupé en ce compris en des endroits d’occupation extérieurs au siège social ou au siège d’exploitation.
L’effectivité du contrôle suppose la remise des documents à ce moment et non « post factum » et, si celle-ci ne doit pas nécessairement intervenir en début de contrôle, elle doit être réalisée dans le courant de celui-ci et sur place.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Une société gantoise active dans le commerce de gros – secteur alimentation a fait l’objet d’un contrôle de la direction générale des lois sociales dans le cadre de l’affaire « Andromède ».
À l’occasion de celui-ci, il fut constaté qu’un travailleur à temps partiel prestait en dehors des heures normales de son horaire (communiqué verbalement) et qu’aucun document ne put être fourni aux inspecteurs, ni copie ni extrait du contrat de travail de travailleur à temps partiel.
Un Pro Justitia fut dressé.
L’inspection sociale de l’O.N.S.S. fit également une enquête, auditionnant le gérant. Un rapport d’audition fut rédigé.
Sur la base de celui-ci, une régularisation fut décidée pour deux travailleurs, concernant la période du 27 mars 2017 au 24 février 2018. Les cotisations furent calculées, à défaut de publicité des horaires, sur la différence entre le salaire octroyé et le salaire à temps plein.
Il fut en effet considéré que les mesures de publicité des horaires devaient être appliquées dans tout lieu d’occupation des travailleurs et non uniquement au siège social de l’employeur.
Une procédure fut lancée par la société devant le tribunal du travail de Gand, division Gand.
La décision du tribunal
Le tribunal statua par jugement du 6 janvier 2020, accueillant la demande de la société et déboutant l’O.N.S.S. de sa demande reconventionnelle, qui tendait à la condamnation au paiement d’un montant de 5 013,89 € au titre de cotisations et accessoires.
Appel fut interjeté devant la cour du travail de Gand, l’O.N.S.S. demandant la réformation du jugement, étant que la demande de la société soit déclarée non fondé et que la demande reconventionnelle soit accueillie.
L’arrêt de la Cour du travail de Gand du 5 février 2021
La cour du travail a confirmé le jugement.
L’arrêt de la Cour de cassation du 5 septembre 2022
Un pourvoi fut introduit devant la Cour de cassation, qui, par arrêt du 5 septembre 2022 (Cass., 5 septembre 2022, S.21.0075.N – inédit) cassa l’arrêt, sauf en ce qu’il avait admis la recevabilité de l’appel.
La Cour de cassation considéra que n’était pas justifiée en droit la décision qui admettait que le siège social devait être considéré comme le lieu d’occupation, même dans l’hypothèse où les travailleurs le quittaient occasionnellement afin d’effectuer des livraisons auprès de clients.
L’affaire fut renvoyée devant la cour du travail de Bruxelles.
L’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 18 avril 2024
Reprenant l’exposé des faits, la cour donne des précisions quant aux constatations faites par les inspecteurs sociaux.
Le gérant avait déclaré que les intéressés travaillaient à temps partiel avec un horaire fixe. La cour en déduit qu’est applicable l’article 157 de la loi programme du 22 décembre 1989. Les travailleurs devaient dès lors disposer d’une copie ou d’un extrait de leur contrat de travail de travailleur à temps partiel à chaque endroit où ils étaient mis au travail par l’employeur. Ceci ne fut pas possible lors du contrôle du 24 février 2018, sur les lieux d’occupation visités, rendant impossible le contrôle immédiat des horaires, ce qui amena l’O.N.S.S. à constater une infraction à l’article 157, alinéa 1er de la loi programme.
L’employeur conteste cette infraction au motif que des documents étaient disponibles au siège de la société à Gand et qu’un contrôle du temps de travail des intéressés y était possible.
La cour résume dès lors le litige comme circonscrit à la question relative à la publicité des horaires de travail des travailleurs à temps partiel et particulièrement à l’endroit où les documents exigés doivent être conservés.
Elle reprend l’article 157 de la loi, dont le deuxième alinéa est une exception à l’alinéa précédent, qui lui-même renvoie à l’article 15 de la loi du 8 avril 1965 instituant les règlements de travail. Le 6e alinéa de cet article dispose que l’employeur tient également en chacun des lieux où il occupe des travailleurs une copie du règlement de travail.
Il en découle, pour la cour, que la copie ou l’extrait du contrat de travail doit être conservé en chacun des lieux où les travailleurs sont occupés et, par conséquent, en des endroits d’occupation extérieurs au siège social ou au siège d’exploitation (la cour renvoyant ici à un arrêt de la Cour de cassation du 9 septembre 2019 (Cass., 9 septembre 2019, S.18.0055.N - inédit).
Pour la cour, il ressort de l’arrêt de la Cour de cassation du 5 septembre 2022 ci-dessus que les documents en cause (copie ou extrait du contrat de travail avec les mentions requises) doivent être conservés dans chaque endroit d’occupation des travailleurs, et ce afin de pouvoir être présentés sur ces lieux de travail lors de chaque contrôle - et même pour les travailleurs qui, parce qu’ils ne sont pas constamment au travail, quittent de temps en temps le siège social ou d’exploitation de l’employeur afin de faire des livraisons aux clients.
La précision selon laquelle les documents doivent être conservés à chaque endroit de l’occupation fait qu’il est exclu que l’O.N.S.S. soit obligé de se rendre au siège de l’entreprise ou au siège d’exploitation afin de procéder à ces vérifications dans l’hypothèse où de tels documents ne pourraient être présentés au lieu de l’occupation. Raisonner autrement est non seulement contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation mais empêcherait tout contrôle immédiat des horaires de travail des travailleurs à temps partiel. Ceci est également en contradiction avec l’article 157 de la loi-programme, qui vise un contrôle efficace des prestations réellement effectuées, et ce dans le but de prévenir et de lutter contre le travail au noir.
Par ailleurs, si aucune disposition légale ou réglementaire ne prévoit à quel moment les documents demandés doivent être présentés, on peut raisonnablement comprendre que ceci doit être fait pendant que les inspecteurs effectuent le contrôle sur le lieu d’occupation. Il n’est pas exigé qu’un document soit remis au début du contrôle, ceci pouvant être fait à la fin mais sur le lieu de l’occupation. C’est, pour la cour, en ce sens qu’il faut comprendre un arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 2015 (S.14.0101.N), cité par la société, en vertu duquel les documents ne doivent pas être remis à l’inspection sociale immédiatement.
L’effectivité du contrôle suppose la remise des documents à ce moment et non « post factum », et ce sous peine de vider la disposition légale de son effet (avec renvoi ici à diverses décisions de la Cour de cassation, dont Cass., 31 janvier 2011, S.10.0050. F et Cass 9 septembre 2019, cité) et à la doctrine, dont F. BLOMME, Deeltijdse arbeid, Vanden Broele, Bruges, 2011, pages 90–91).
La cour note encore qu’après le contrôle, la société n’a pas pris contact avec l’O.N.S.S. afin de soumettre les documents en cause, ceux-ci n’ayant été produits que dans le cadre de la procédure devant le tribunal du travail, ce qui amène la cour à exprimer de sérieux doutes quant à leur authenticité/la force probante.
Elle examine dès lors en fait les éléments soumis à l’inspection sociale et conclut au non-respect de l’article 157. Elle rappelle que dans une telle hypothèse l’employeur risque de voir porter les prestations du travailleur à temps partiel à un temps plein, sauf preuve contraire qui serait apportée par lui.
Il y a dès lors lieu application de l’article 22ter, 2e alinéa de la loi du 27 juin 1969.
La cour rappelle encore que la présomption de prestations à temps plein, indépendamment de la question de l’absence de contrat de travail, vaut également en cas d’infraction à l’obligation de publicité, étant, précisément, lorsqu’une copie ou un extrait du contrat de travail du travailleur à temps partiel n’est pas conservé sur le lieu d’occupation (avec renvoi à l’arrêt de la Cour de cassation du 20 octobre 2008, S.08.0014.F) et que ceci ne vaut pas uniquement pour le jour de l’occupation mais pour toute la période.
Enfin, elle revient sur l’arrêt du 17 novembre 2011 de la Cour constitutionnelle, qui enseigne que cette présomption a un caractère réfragable (C. Const., 17 novembre 2011, n° 178/2011).
L’employeur est dès lors tenu, en l’espèce, d’établir l’impossibilité de prester à temps plein. Ne suffisent pas à renverser la présomption légale les mentions des documents sociaux (Cass., 31 janvier 2011, S.10.0052.F).
En l’occurrence, la société n’établit pas l’impossibilité de travail à temps plein, la cour notant notamment que l’O.N.S.S. n’a pas trouvé dans la base de données DIMONA d’autres occupations au nom des deux ouvriers concernés. Ceux-ci n’exercent par ailleurs pas d’autres jobs. Il n’est dès lors pas établi qu’ils n’avaient pas la possibilité matérielle de travailler à temps plein. La preuve étant dans le camp de l’employeur, l’O.N.S.S. ne doit pas apporter des éléments contraires, ce qui reviendrait à renverser la charge de la preuve (avec renvoi à l’arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2016, S.15.0070.N).
Il est dès lors fait droit à la position de l’O.N.S.S., la cour confirmant la condamnation au paiement des montants réclamés en principal et accessoires. La société est également condamnée aux dépens.