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Travailleur de plateforme et accident du travail

Commentaire de Trib. trav. Anvers (div. Anvers), 10 octobre 2024, R.G. 23/1.968/A

Mis en ligne le mercredi 29 janvier 2025


Tribunal du travail d’Anvers, division Anvers, 10 octobre 2024, R.G. 23/1.968/A

Terra Laboris

Résumé introductif

Depuis la loi du 3 octobre 2022, qui concerne spécifiquement la nature de la relation de travail pour les plates-formes digitales donneuses d’ordres (entrée en vigueur le 1er janvier 2023), un chapitre V/2 a été ajouté dans la loi du 27 décembre 2006 sur la nature de la relation de travail. Actuellement, les relations de travail sont présumées se dérouler dans le cadre d’un contrat de travail lorsqu’il ressort de l’analyse de la relation qu’au moins trois des huit critères retenus (ou deux des cinq derniers) sont remplis. Cette présomption est réfragable.

Pour la période antérieure, il y a lieu de réunir les critères spécifiques de l’arrêté royal du 29 octobre 2013.

Dispositions légales

  • Loi du 27 décembre 2006 sur la nature de la relation de travail - articles 331, 32 et 337, chapitre V/2
  • Arrêté royal du 29 octobre 2013 pris en exécution de l’article 337/2, § 3, de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006 en ce qui concerne la nature des relations de travail qui se situent dans le cadre de l’exécution des activités qui ressortent du champ d’application de la sous-commission paritaire pour le transport routier et la logistique pour compte de tiers

Analyse

Faits de la cause

Un coursier prestant pour compte de UBER EATS Belgium depuis 2017 (plate-forme digitale qui met en contact les clients, restaurants et autres, avec les coursiers via une application) a été victime d’un accident du travail le 19 août 2020. Il circulait à vélo et fit une chute. Il était au moment des faits en route pour effectuer une livraison.

Il fut emmené à l’hôpital universitaire du Middelheim.

Des complications intervinrent, suite à une fracture complexe à la jambe gauche. Diverses interventions chirurgicales furent pratiquées et l’intéressé en a gardé des séquelles physiques et une incapacité de travail.

Vu la position de la société, qui refusait la qualité d’employeur, une procédure fut introduite après une mise en demeure formelle de celui-ci. La procédure est dirigée contre Fedris uniquement.

La décision du tribunal

L’analyse de la cause telle qu’opérée par le tribunal commence par le rappel de l’article 331 de la loi sur la nature de la relation de travail du 27 décembre 2006. Celui-ci dispose que sans pouvoir contrevenir à l’ordre public, aux bonnes mœurs et aux lois impératives, les parties choisissent librement la nature de leur relation de travail, dont l’exécution effective doit être en concordance avec la nature de la relation. La priorité est à donner à la qualification qui se révèle de l’exercice effectif si celle-ci exclut la qualification juridique choisie par les parties.

Il poursuit par la reprise des dispositions suivantes de la loi, étant de ses articles 332 et 337. Celles-ci sont relatives aux critères à prendre en compte pour la détermination de la nature de la relation de travail.

Le tribunal rappelle le mécanisme mis en place par cette loi, étant que des critères généraux doivent être réunis, des critères spécifiques au secteur à l’activité existant également.

En matière de transport de marchandises ou de personnes pour compte de tiers, un arrêté royal a été pris en date du 29 octobre 2013 (entré en vigueur le 6 décembre 2013). Celui-ci ajuste, en fonction des spécificités du secteur, les critères de l’article 337/2 de la loi du 27 décembre 2006.

Le jugement contient un long rappel de ces critères spécifiques.

Il précise ensuite que la loi a été complétée par un chapitre V/2, inséré par une loi du 3 octobre 2022, celle-ci concernant spécifiquement la nature de la relation de travail pour les plates-formes digitales donneuses d’ordres (dont UBER EATS, DELIVEROO,…). Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er janvier 2023.

Actuellement, les relations de travail sont dès lors présumées se dérouler dans le cadre d’un contrat de travail (sauf preuve contraire) lorsqu’il ressort de l’analyse de la relation qu’au moins trois des huit critères retenus (ou deux des cinq derniers listés par le texte) sont remplis. Il s’agit essentiellement de critères explicitant les pouvoirs de l’exploitant de la plate-forme quant à l’organisation du travail, la rémunération maximale que peut percevoir le coursier, ….

Le tribunal rappelle que cette loi fait obligation aux exploitants de plates-formes de conclure un contrat d’assurance afin de couvrir le préjudice corporel que subiraient des coursiers prestant comme indépendants pour leur compte, et ce en cas d’accident survenu pendant l’exécution de leurs activités ou sur le trajet vers ou en provenance du lieu du travail.

Les travailleurs des plates-formes bénéficiant d’un contrat de travail sont automatiquement couverts en cas d’accident du travail et dépendent du régime général de sécurité sociale des travailleurs salariés.

En l’espèce, le tribunal examine dès lors, avant de déterminer si le demandeur peut prétendre à une réparation dans le cadre de la loi sur les accidents du travail, s’il était dans les liens d’un contrat de travail au moment de l’accident.

La société étant active dans le secteur du transport de marchandises et/ou de personnes pour compte de tiers, elle doit, pour avoir la qualité d’employeur, remplir les critères spécifiques de l’arrêté royal du 29 octobre 2013, la loi du 3 octobre 2022 ne trouvant à s’appliquer que depuis son entrée en vigueur, étant le 1er janvier 2023.

Pour le tribunal, rien n’empêche cependant de tenir compte des conclusions de la Commission administrative de règlement de la relation de travail dans des dossiers où elle a été amenée à trancher sur la base des nouveaux critères spécifiques. Il renvoie ici à des décisions du 22 avril 2024 (n°s 167, 168 et 170). Ceci est d’autant plus autorisé que ces décisions ont examiné le système en vigueur au sein de UBER EATS.

Il passe dès lors en revue l’ensemble des critères en cause.

Le premier est relatif à l’absence de risque financier ou économique dans le chef du travailleur. Celui-ci est rempli. Il en va de même pour le deuxième, qui porte sur l’absence de responsabilité et de pouvoir de décision en ce qui concerne les moyens financiers de l’entreprise, et de même encore pour le troisième, qui vise l’absence de pouvoir de décision quant à la politique des achats de l’entreprise.

D’autres sont également retenus, étant l’absence de pouvoir de décision sur la politique des prix, l’absence d’obligation de résultat et la condition de ne pas apparaître comme une entreprise.

Seuls deux critères ne sont pas réunis, étant d’une part celui visant l’absence de possibilité de faire appel à des tiers pour l’exécution de la convention et celui du lieu de travail et du véhicule.

Le tribunal conclut que plus de la moitié des critères sont donc présents et que la relation de travail doit être qualifiée de contrat de travail.

Vu le caractère réfragable de la présomption légale, l’employeur – qui n’est pas présent à la cause - peut renverser celle-ci par tous moyens de droit, en ce compris les critères de l’article 333, § 1er, de la loi.

Cette présomption n’est pas renversée en l’espèce par Fedris.

Le tribunal examine dès lors le fond du litige dans le cadre de la loi du 10 avril 1971 et procède ici à la vérification des questions habituelles (événement soudain, lésions, présomption légale de causalité). Il constate que l’employeur n’a pas souscrit d’assurance accident du travail mais une assurance limitée, qui couvre certains risques et ne donne pas lieu à une indemnisation conforme à celle prévue par la loi sur les accidents du travail.

Il désigne un expert avec la mission habituelle, afin de de donner son avis sur les séquelles de l’accident.


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