Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 9 janvier 2024, R.G. 2022/AL/362
Mis en ligne le mercredi 29 janvier 2025
Cour du travail de Liège (division Liège), 9 janvier 2024, R.G. 2022/AL/362
Terra Laboris
Un arrêt du 9 janvier 2024 de la Cour du travail de Liège reprend les règles spécifiques en cas de décision prise par l’assureur-loi de guérison sans séquelles d’un accident du travail, deux décisions successives étant en l’espèce intervenues.
Les faits
Suite à un accident du travail, l’assureur-loi notifia à la victime par courrier du 14 janvier 2013 une décision de guérison sans séquelles à la date du 16 décembre 2012. Cette décision était accompagnée du certificat médical de son médecin conseil l’attestant.
Étaient ainsi refusées des périodes d’incapacité temporaire postérieures à la date retenue.
La décision notifiée précisait que l’intéressée disposait d’un délai de trois ans pour contester celle-ci ou pour introduire une demande de révision.
Ce courrier fut envoyé par lettre ordinaire, que la victime ne nie pas avoir reçue.
Elle contesta effectivement la décision, par le biais de son organisation syndicale et un échange de courrier intervint.
Un examen conjoint fut organisé mais la travailleuse ne fut examinée que par le médecin-conseil de l’assurance.
La prescription fut interrompue par courrier de son organisation syndicale du 1er décembre 2015.
La procédure d’examen conjoint fut reprise et les conclusions aboutirent à la fixation de trois périodes d’incapacité de travail temporaire ainsi qu’au constat de guérison sans séquelles à une date légèrement postérieure, étant le 15 février 2013.
Il fut alors demandé par courrier du 17 février 2017 de l’organisation syndicale que la compagnie d’assurances fasse une offre de règlement.
Le 27 mars 2017, celle-ci répondit qu’elle attendait un certificat médical de son médecin-conseil. Ce certificat fut, selon ses dires, adressé à l’intéressée, ce que celle-ci contesta.
Le 27 avril 2017, l’assureur procéda au paiement des sommes dues pour les périodes d’incapacité temporaire.
L’intéressée conserva, cependant, des séquelles et dut notamment être opérée (acromioplastie et résection acromio–claviculaire gauche).
L’assureur refusa la prise en charge de nouvelles périodes d’incapacité ainsi que des frais de l’intervention chirurgicale, au motif de l’absence de lien avec l’accident.
Le syndicat demanda alors, par courrier du 19 mars 2021, à l’assureur de produire la notification de la décision de guérison sans séquelles, ce qu’il ne fit pas.
La travailleuse introduisit une procédure devant le tribunal du travail de Liège (division Huy), qui, par jugement du 8 juin 2022, accueillit la demande, désignant un expert aux fins de déterminer les séquelles de l’accident.
L’assureur interjette appel.
L’arrêt de la cour
La cour reprend brièvement la demande de chacune des parties, l’assureur sollicitant la réformation du jugement, la demande devant être déclarée irrecevable et en toute hypothèse non fondée. Quant à l’intimée, elle en postule la confirmation, avec renvoi devant le premier juge.
La cour fait une remarque préalable à propos de la position de la partie intimée, étant qu’à titre principal celle-ci sollicite l’indemnisation des séquelles de l’accident et que ce n’est qu’à titre subsidiaire qu’elle formule une demande d’aggravation de celles-ci.
Elle examine dès lors la recevabilité de la demande en ce qu’elle vise l’indemnisation.
Un premier rappel des principes applicables concerne la prise de cours du délai de prescription en cas de décision de guérison sans séquelles. Un premier renvoi est fait à l’article 69, alinéa 5, de la loi du 10 avril 1971, en vigueur depuis le 6 février 2014.
Sur cet ajout dans l’article 69 relatif à la prescription, la cour reprend la doctrine de S. REMOUCHAMPS (S. REMOUCHAMPS, « Note d’observation sous Cass., 16 mars 2015 », Recueil de jurisprudence, Forum de l’assurance, Vol. V, Jurisprudence 2015, Anthémis, 2016, page 263 et suivantes).
Celui-ci dispose que dans les cas visés à l’article 24, alinéa 1er, de la loi, l’action en paiement des indemnités se prescrit par trois ans à dater de la notification de la décision de déclaration de guérison.
Cette hypothèse de guérison sans incapacité permanente est effectivement reprise à l’article 24, alinéa 1er, de la loi, qui distingue selon que l’incapacité de travail temporaire a été supérieure à sept jours et que l’assureur déclare la victime guérie sans incapacité permanente (cette décision devant être notifiée selon les modalités définies par le Roi) et celle où elle est de plus de 30 jours (devant alors être justifiée par un certificat médical rédigé par le médecin consulté par la victime ou par le médecin-conseil de l’entreprise d’assurances).
La cour ajoute qu’intervient également l’arrêté royal du 9 décembre 2003, qui exécute cette disposition et selon lequel lorsque l’incapacité de travail est de plus de 30 jours le certificat de guérison doit être rédigé suivant un modèle imposé ; par contre, lorsque le délai est de plus de sept jours, la notification se fait par lettre distincte et dans ce cas la date figurant sur la lettre de l’assureur vaut comme date de prise de cours du délai visé à l’article 72 de la loi. La cour précise encore d’autres éléments conditionnant la régularité de la notification ( celle-ci devant être faite à la résidence principale en principe).
Elle relève que la réglementation n’exige pas l’envoi par courrier recommandé mais que la charge de la preuve de celle-ci repose sur l’assureur-loi (renvoyant ici à S. REMOUCHAMPS, C. LORGEOUX et M. JOURDAN, Accidents du travail : procédure (contentieuse et non contentieuse) et règles de prescription, Kluwer, 2023, page 331.
Un second rappel des principes applicables concerne l’article 18 de la Charte de l’assuré social, dont la cour reprend le texte, précisant ici qu’une seconde décision de guérison sans séquelles intervenant suite à un nouvel examen médical réalisé par l’assureur-loi constitue une décision nouvelle. Elle renvoie ici à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 25 juin 2007 (C. trav. Bruxelles, 25 juin 2007, R.G. 48.980). La première décision est en effet rapportée et une seconde intervient eu égard à l’existence d’éléments de preuve nouveaux ayant une incidence sur les droits du demandeur.
Ces principes sont ensuite appliqués à l’espèce.
Après la notification de la première décision (non contestée par la victime), les conclusions du rapport commun constituent un nouvel élément de preuve ayant une incidence sur les droits de celle-ci. En effet, l’assureur a accepté la prise en charge de la période d’incapacité temporaire postérieure à la date initialement retenue comme celle de la guérison. Il y a dès lors une décision nouvelle au sens de l’article 18 de la Charte, la première décision ayant ainsi été rapportée.
En conséquence, la cour rejette l’argumentation de l’assureur selon laquelle une seule décision doit être prise en compte pour faire courir le délai de prescription, qui serait la première, la seconde ne constituant qu’un acte interruptif de celle-ci. Pour la cour cette manière de voir est juridiquement erronée, puisqu’il s’agit d’une décision nouvelle.
Elle en vient dès lors à la prise de cours du délai de prescription. L’incapacité temporaire ayant été de plus de 30 jours, la décision de guérison sans incapacité permanente doit être justifiée par un certificat médical rédigé soit par le médecin consulté par la victime soit par son médecin-conseil (suivant le modèle déterminé par le Roi).
Le certificat médical issu de l’examen conjoint répondant à cette exigence, la décision devait, conformément aux dispositions de l’arrêté royal du 9 octobre 2003, être notifiée à la victime par lettre distincte, à l’adresse de sa résidence principale.
L’assureur ne rapportant pas la preuve de cette notification mais une capture d’écran intitulée « résumé de la demande d’expédition », la cour considère, outre que celle-ci n’est pas probante, qu’elle ne vise pas cette décision mais la seule expédition du certificat médical.
À défaut de preuve de la notification de la décision à l’intéressée, le délai de prescription de trois ans n’a pas pris cours, puisqu’il ne pourrait le faire qu’à dater de la notification (inexistante).
Enfin, la cour considère qu’est indifférent le débat sur la distinction entre la notion de délai de recours et de délai de prescription issu de la jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour constitutionnelle.
Intérêt de la décision
L’arrêt de la Cour du travail de Liège (division Liège) du 16 juin 2022 (R.G. 2021/AL/446) auquel se réfère l’arrêt analysé a été précédemment commenté.
Il a rappelé les règles distinctes en cas de guérison sans séquelles, eu égard à la durée de l’incapacité de travail et particulièrement lorsque celle-ci est de plus de 30 jours, étant exigé à ce moment que le certificat médical de guérison soit rédigé selon un modèle prescrit par le médecin de la victime ou le médecin-conseil de l’assureur.
La charge de la preuve de la notification ainsi que de sa date incombe à l’entreprise d’assurances. Si aucune disposition n’impose l’envoi par voie recommandée, le choix fait par l’assureur rend l’établissement de la date de prise de cours des délais plus difficile.
En notifiant par pli simple, l’institution de sécurité sociale doit assumer le risque que les délais de recours ne courent pas. En l’espèce, l’assurance avait déposé des captures d’écran, mais la cour ne les a pas retenues, au motif qu’il s’agit de documents unilatéraux, qui ne peuvent servir de preuve.
Un point tout particulier de l’arrêt rendu par la Cour du travail de Liège le 9 janvier 2024 et que l’affaire a connu deux décisions de guérison sans séquelles et que, dans ce cas de figure, la cour a puisé dans l’article 18 de la Charte de l’assuré social la solution au litige, la seconde décision devant être analysée comme une décision nouvelle, la cour écartant ainsi la position de l’assureur selon laquelle elle ne pouvait intervenir que comme cause d’interruption de la prescription de l’action introduite suite à la première décision.