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Les règles applicables aux experts judiciaires valent-elles également pour les sapiteurs désignés par eux ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 19 décembre 2023, R.G. 2015/AB/429

Mis en ligne le mercredi 29 janvier 2025


Cour du travail de Bruxelles, 19 décembre 2023, R.G. 2015/AB/429

Terra Laboris

Un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 19 décembre 2023 a rappelé les règles déontologiques et juridiques auxquelles sont soumis les médecins experts judiciaires, ainsi que celles valant pour les sapiteurs désignés par ceux-ci.

Les faits

Un litige oppose un travailleur à l’entreprise d’assurances qui assure le risque d’accident du travail auprès de son employeur, à propos des séquelles d’un accident du travail dont il a été victime.

En première instance, le tribunal, après avoir désigné un expert, a entériné ses conclusions.

Le demandeur contestant celles-ci, appel a été interjeté.

Devant la cour, l’expert initialement désigné s’est vu confier une mission complémentaire, qu’il a refusée. Un deuxième expert a été désigné et il a accepté cette mission.

Dans le cadre des travaux d’expertise, un incident est survenu, étant que le médecin-conseil de l’assureur a proposé à l’expert le recours à un algologue et a donné un nom.

Le conseil de la victime s’est opposé à cette désignation.

L’expert a estimé ne pas pouvoir suivre cette contestation, demandant cependant que d’autres noms soient proposés en remplacement éventuel du sapiteur contesté.

Il a investigué davantage auprès du conseil de la victime quant à la contestation en cause mais n’a pas reçu de réponse.

La victime, convoquée par le sapiteur, a fait savoir qu’elle ne se présenterait pas, au motif que ses conseils juridique et médical n’étaient pas d’accord avec sa désignation.

Des échanges épistolaires intervinrent alors, dans lesquels le sapiteur fut accusé de suspicion et de partialité.

La cour a été saisie de cet incident et a convoqué les parties et l’expert à une audience en chambre du conseil.

La victime ne s’est pas présentée et n’a pas été représentée.

La cour examine dès lors la contestation en son absence.

L’appréciation de la cour

La cour rappelle le Code de déontologie médicale élaboré par le Conseil national de l’Ordre des médecins, qui prévoit notamment que le médecin désigné comme expert judiciaire remplit sa mission en toute indépendance, impartialité et objectivité, dans la limite de ses compétences et qualifications professionnelles.

Il doit s’en tenir strictement à la mission qui lui est confiée.

Outre ces règles, existe un Code de déontologie spécifique aux experts judiciaires, qui doivent respecter celui-ci en vertu de l’article 555/9, 3°, du Code judiciaire. Ce code de déontologie a été fixé dans un arrêté royal du 25 avril 2017, son article 5 obligeant l’expert à se montrer toujours indépendant, impartial, consciencieux et intègre.

La cour poursuit que lorsqu’il est fait appel à un médecin expert dans le cadre d’une procédure liée à un accident du travail et notamment aux fins d’apprécier l’incidence de celui-ci sur la capacité économique de la victime, il n’y a pas lieu de désigner autant d’experts qu’il y a de lésions relevant de spécialités différentes.

Par ailleurs, l’expert judiciaire n’est pas tenu de recourir automatiquement à des sapiteurs, ce choix lui appartenant pleinement.

Le rôle du sapiteur est d’intervenir aux fins d’éclairer l’expert dans un domaine technique qu’il ne contrôle pas suffisamment. Son rapport va constituer une pièce importante du dossier de l’expertise mais cela n’en fait pas pour autant nécessairement la pièce maîtresse, particulièrement en cas de contestation. Le rapport du sapiteur ne dispense en effet pas l’expert de motiver ses propres conclusions.

La cour souligne également que le sapiteur agit sous la responsabilité de l’expert et que ce dernier doit donc contrôler son travail et l’intégrer dans son rapport.

En ce qui concerne la récusation, la cour rappelle que les règles relatives à la récusation des experts ne s’appliquent pas comme telles aux sapiteurs et qu’en cas d’impartialité de ces derniers leur avis peut manquer d’objectivité, ce qui peut rejaillir sur l’expertise elle-même.

Le Conseil national de l’Ordre des médecins a rendu un avis sur l’impartialité du médecin expert judiciaire (avis du 20 septembre 2014), qui conclut que l’exigence de manque d’impartialité mais aussi celle de l’abstention de suspicion participent à la sécurité des travaux d’expertise et par voie de conséquence à la bonne administration de la justice.

Même si l’expert n’émet qu’un avis non contraignant, la force probante de celui-ci exige que l’expert fasse preuve d’impartialité, d’objectivité et ne puisse en raison de sa situation professionnelle et personnelle susciter une suspicion légitime à son égard.

La cour poursuit que, dans la relation entre l’expert et le sapiteur, c’est l’expert qui a le dernier mot et qu’il s’approprie le travail du second après l’avoir contrôlé. Le rôle de l’expert est comparable à celui " d’un filtre apte à contenir hors du champ expertal les éventuelles scories indésirables de l’avis technique du sapiteur ».

En l’espèce, la cour constate que l’expert judiciaire, confronté à un prétendu manque d’impartialité du sapiteur proposé, a vérifié la chose et qu’il a dûment argumenté, lors de l’audience, le bien-fondé du choix porté sur celui-ci, vu ses compétences toutes particulières.

S’il a effectivement travaillé pour un cabinet médical d’expertise offrant des services à des entreprises d’assurances, la cour note d’une part que l’assureur-loi ne faisait pas partie des clients de ce cabinet et d’autre part que le médecin proposé n’était qu’un collaborateur externe. Elle relève également qu’un autre des médecins associés a été désigné par les juridictions en qualité d’expert. Par ailleurs, le sapiteur visé a travaillé pour un médecin de recours et intervient également en son propre nom comme médecin de recours des victimes.

La cour souligne encore la grande diversité de ses activités et conclut qu’il n’y a pas lieu de tenter de mettre en doute son impartialité.

Enfin, elle retient que, tout en étant absent à l’audience, la victime « bloque » depuis près de six mois la procédure d’expertise et elle rappelle dès lors à cette dernière l’article 972 bis du Code judiciaire, étant qu’elle doit collaborer loyalement à l’expertise, à savoir adopter une attitude constructive et bienveillante en vue de son bon déroulement.

Intérêt de la décision

La Cour du travail de Bruxelles reprend dans cet arrêt les traits principaux de l’intervention d’un sapiteur dans le cadre d’une expertise judiciaire.

Le sapiteur est généralement appelé « l’expert de l’expert ».

Sa position dans l’expertise est cependant très différente de celle de l’expert judiciaire, puisqu’il ne donnera qu’un avis sur un point qui lui est spécialement soumis par l’expert judiciaire et sur les conclusions duquel ce dernier garde encore toute liberté d’appréciation. Qu’il confirme les conclusions du sapiteur ou qu’il s’en écarte, l’expert judiciaire doit motiver sa position.

Les conclusions du sapiteur doivent figurer dans le rapport d’expertise, en annexe, et ce vu l’exigence du principe du contradictoire.

L’on notera enfin que l’expert désigné par le juge n’a lui-même qu’une compétence d’avis et que cet avis ne lie pas le juge, celui-ci ne pouvant déléguer son pouvoir de juger.


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