Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 janvier 2024, R.G. 2022/AB/114
Mis en ligne le mercredi 29 janvier 2025
Cour du travail de Bruxelles, 15 janvier 2024, R.G. 2022/AB/114
Terra Laboris
Dans un arrêt du 15 janvier 2024, la Cour du travail de Bruxelles, constatant l’absence d’obligation de notification par voie recommandée en cas de refus de reconnaissance d’un accident du travail dans le secteur public (Arrêté royal du 24 janvier 1969) renvoie au droit commun de l’article 53bis du Code judiciaire pour fixer le délai de recours devant le tribunal du travail.
Les faits
Un professeur de l’enseignement secondaire introduit une déclaration d’accident du travail auprès de son employeur, décrivant les faits, s’agissant d’une chute pendant un cours, survenue plusieurs mois auparavant.
En date du 3 novembre 2016, la Communauté française refuse la reconnaissance de l’accident au motif de l’absence de preuve des faits invoqués.
Un recours interne est introduit par l’intéressé le 5 décembre 2016, joignant des documents. Il s’agit d’une attestation d’un collègue ayant entendu un élève s’amuser de la chute du professeur en classe et qui dit l’avoir recadré à cet égard. Sont joints des d’éléments d’ordre médical.
Dans un courrier du 20 janvier 2017, la Communauté française notifie le maintien de sa décision de refus. Elle précise que la déclaration d’accident bien que tardive est admissible mais qu’il y a des contradictions dans les éléments déposés, des références à une dépression étant faites dans un certificat médical. Elle signale également ne pas retenir le témoignage indirect du collègue.
Une procédure est introduite par l’intéressé le 17 janvier 2020 devant le tribunal du travail francophone de Bruxelles.
Le tribunal déboute le demandeur par jugement du 18 janvier 2022.
Appel est interjeté.
La décision de la cour
Le premier point tranché par la cour est celui de la prescription de l’action, la Communauté française sollicitant la réformation du jugement en ce qu’il a déclaré la demande recevable. Elle considère que celle-ci est en effet prescrite.
La cour reprend, en conséquence, la position du premier juge en ce qui concerne ce point. Le tribunal a accepté comme date de la première décision le 3 novembre 2016, celle-ci ne semblant pas avoir été notifiée par recommandé, de telle sorte que le courrier ordinaire ne permet pas à l’administration de disposer d’une preuve certaine concernant son existence et sa date de notification. Il a retenu comme date certaine celle du recours interne du demandeur, formé en date du 5 décembre 2016.
Le tribunal a précisé également que la Communauté française est tenue d’établir que la notification contenait les mentions requises par l’article 14 de la Charte de l’assuré social. Ceci ne figure pas dans la décision du 3 novembre 2016, de telle sorte que le délai de recours n’a jamais commencé à courir. Il a considéré en conséquence sans intérêt de trancher le point de savoir si la décision du 20 janvier 2017 constitue une nouvelle décision ou est une simple décision confirmative.
La cour en vient, ainsi, à son propre examen des règles en la matière.
Après le rappel de l’article 19 de la loi du 3 juillet 1967, qui donne compétence à l’autorité judiciaire pour connaître des actions relatives aux indemnités prévues par la législation sur la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public, elle note que ni cette loi ni l’arrêté royal du 27 janvier 1969 ne fixent de délai pour exercer un recours contre une décision de refus de reconnaissance d’un accident du travail.
Elle reprend ensuite l’article 23 de la Charte de l’assuré social, qui prévoit un recours de trois mois à dater de la notification « sans préjudice de délais plus favorables résultant des législations spécifiques ».
Il appartient, ainsi que la Cour de cassation l’a rappelé (Cass., 18 novembre 2019, S.19.0003.F), à l’institution compétente qui invoque la tardiveté du recours d’établir le point de départ du délai.
Elle souligne également l’arrêt de la Cour suprême du 6 septembre 2010 (Cass., 6 septembre 2010, S.10.0004. N), qui a donné l’interprétation des termes « délais plus favorables résultant des législations spécifiques », enseignant que ceci englobe également les délais de prescription prévus par ces législations, délais dans lesquels les actions en octroi, paiement et récupération doivent être introduites lorsque celles-ci ne prévoient pas de délai de recours.
Un tel délai de prescription est prévu à l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967, qui dispose que les actions en paiement se prescrivent par trois ans à dater de la notification de l’acte juridique administratif contesté.
La cour reprend également les exigences de l’article 14 de la Charte, qui détermine une série de six mentions obligatoires, à défaut desquelles le délai de recours ne commence pas à courir.
La combinaison de ces deux corps de règles fait que l’institution de sécurité sociale doit démontrer qu’elle a effectué la notification avec les mentions exigées par la Charte, cette preuve pouvant être apportée par présomption.
Un arrêt de la Cour constitutionnelle, (C. Const., 18 novembre 2021, n° 163/2021) – capital en la matière – est également repris. Il précise que la notion de délai de recours de l’article 14 inclut les délais de prescription. La cour du travail reprend le considérant (B. 14) de ce arrêt, selon lequel : « Il en résulte qu’en ce qui concerne les actions en paiement d’indemnités, le délai de prescription visé à l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967 doit être considéré comme un délai de recours au sens de l’article 14, alinéa 1er, 3° de la Charte de l’assuré social, de sorte que la décision d’octroyer ou de refuser des prestations sociales en vertu de la loi du 3 juillet 1967 doit faire référence à ce délai et qu’à défaut d’une telle indication, celui-ci ne prend pas cours ».
Pour ce qui est du mode de notification, la Charte contient en son article 16 une disposition particulière en vertu de laquelle sans préjudice de dispositions légales ou réglementaires particulières, la notification se fait par lettre ordinaire ou par la remise d’un écrit, le Roi pouvant déterminer les cas dans lesquels une lettre recommandée peut être exigée, ainsi que les modalités d’application de cette notification.
L’arrêt de la Cour de cassation du 18 novembre 2019, auquel la cour s’est déjà référée, enseigne à cet égard que l’article 16 n’a pas pour effet de limiter la preuve incombant à l’institution à la seule existence de la notification ou de la prise de connaissance de celle-ci par l’assuré, l’institution devant également établir la date de prise de cours du délai. Qu’une date d’envoi figure dans la décision notifiée ne suffit pas. Pour la cour du travail, elle ne peut en effet attester de la remise effective à la poste le même jour mais est « tout au plus indicative » de l’intention de l’expédier à partir de ce moment.
La cour souligne encore, avec la doctrine, l’intérêt de la notification par lettre recommandée, qui est la date certaine de celle-ci, découlant de cette formalité (citant notamment Charles–Éric CLESSE, « Le délai de recours », Le contentieux du droit de la sécurité sociale, Hommage à Michel WESTRADE, Limal, Anthemis, 2012, page 116, n° 14).
Si l’article 9 de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 prévoit la formalité du recommandé en cas de décision de déclaration de guérison sans séquelles, il n’en est pas de même pour la notification de refus de reconnaissance d’un accident du travail.
La cour renvoie dès lors au Code judiciaire, reprenant l’article 53bis, 2° de celui-ci, en vertu duquel à l’égard du destinataire et sauf si la loi en dispose autrement le délai commence à courir depuis le troisième jour ouvrable qui suit celui où le pli a été remis aux services de la poste (sauf preuve contraire du destinataire). Ceci vaut à la fois lorsque la notification a été effectuée par pli recommandé ou par pli simple.
Le point de départ du délai sera dès lors le jour de la présentation du pli au domicile du destinataire.
Comme le jour exact de la présentation ne peut être connu, il y a présomption légale juris tantum que la présentation a été faite au plus tard la veille du troisième jour ouvrable suivant la remise aux services de la poste (un renvoi est ici fait à l’arrêt de la Cour de cassation du 14 février 2019, F17.0153.F).
La cour décide dès lors d’appliquer cette présomption légale par analogie afin de prévenir une restriction disproportionnée au droit de défense de la victime.
Vu le recours introduit en interne, cette date est prise comme point de départ du délai de prescription.
En l’espèce, la prescription serait dès lors acquise (début du délai le 5 décembre 2016 et dépôt de la requête le 17 janvier 2020).
Cependant, vu le manquement à l’article 14 de la Charte, le délai de prescription n’a pas commencé à courir.
La cour en vient ainsi au fond du litige, étant de savoir si l’accident est établi.
Après un bref rappel des notions et des questions de preuve en la matière, ainsi qu’un extrait de la décision du premier juge, la cour conclut à une incertitude, eu égard au contenu des déclarations. Elle ne peut dès lors identifier l’événement soudain requis et conclut au non fondement de l’appel.
Intérêt de la décision
Cette décision est en cas d’application exemplaire de la jurisprudence issue de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 18 novembre 2021 (C. Const., 18 novembre 2021, n° 163/2021), qui a enseigné que la notion de délai de recours au sens de l’article 14 de la Charte de l’assuré social inclut les délais de prescription.
En conséquence, il est actuellement acquis que le délai de l’article 20 de la loi du 3 juillet 1967 (délai pour agir en paiement devant les juridictions du travail) doit être considéré comme un délai de recours au sens de l’article 14 alinéa 1er, 3°, de la Charte et qu’en conséquence la décision d’octroi ou de refus de l’administration doit contenir les mentions requises par cette disposition.
À défaut, le délai ne prend pas cours.
En l’espèce, l’application de la règle de l’article 53bis, 2°, du Code judiciaire, aboutissait à la conclusion que le délai aurait été dépassé si l’article 14 de la Charte avait été respecté, quod non est in casu…