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Accident du travail : rappel du jeu de la preuve et des présomptions légales

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 3 septembre 2024, R.G. 2023/AN/167

Mis en ligne le jeudi 30 janvier 2025


Cour du travail de Liège (division Namur), 3 septembre 2024, R.G. 2023/AN/167

Terra Laboris

Résumé introductif

Pour ouvrir le droit à la réparation légale prévue en cas d’accident du travail, la preuve certaine de trois éléments doit être apportée par le travailleur : un événement soudain, une lésion, ainsi que la survenance de l’accident dans le cours de l’exécution du travail. Une fois cette preuve apportée de manière certaine, deux présomptions légales sont enclenchées : celle de causalité (article 9) ainsi que celle de l’exécution par le fait de l’exercice des fonctions (article 7).

La notion d’événement soudain relève de l’appréciation souveraine des faits par le juge du fond, qui doit apprécier dans chaque cas d’espèce les éléments de fait de la cause, ainsi la nature du travail, les circonstances dans lesquelles la douleur et/ou la lésion sont apparues, etc.

Dispositions légales

  • Loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail - articles 7, alinéas 1er et 2, et 9

Analyse

Faits de la cause

Un opérateur de production, travaillant dans une entreprise du secteur privé, suivit une formation « échafaudage » auprès d’une société spécialisée, et ce à la demande de son employeur.

Au cours de celle-ci, afin de mieux entendre le formateur, il passa sa tête entre les montants d’un échafaudage et se cogna la mâchoire.

Il en résulta une luxation de quatre incisives inférieures.

L’assureur-loi de l’employeur refusa son intervention, au motif que les lésions ne seraient pas la conséquence de l’événement soudain. En outre, il reprochait au travailleur d’avoir tardé à notifier l’accident à son employeur et à se faire soigner.

Une procédure fut introduite devant le Tribunal du travail de Liège, division Dinant.

La décision du tribunal

Le tribunal a reconnu l’existence d’un événement soudain par jugement du 7 novembre 2023 et a désigné un expert.

Pour le premier juge, le travailleur démontrant un événement soudain survenu dans le cours de l’exécution du contrat de travail ainsi qu’une lésion, il bénéficie de la présomption de causalité.

L’assureur-loi interjette appel.

Position des parties devant la cour

Pour la compagnie d’assurances, la présomption légale de causalité est renversée, et ce eu égard à divers éléments. Il renvoie d’abord au délai entre la date de l’accident (29 octobre 2020) et celle de la déclaration à l’employeur (19 novembre 2020), à l’absence de témoins repris dans la déclaration d’accident elle-même, au fait que les témoins directs, au nombre de deux auraient, pour l’un, confirmé l’accident mais n’aurait pas constaté de blessures et, pour l’autre, n’aurait rien constaté.
En outre, aucune trace de l’accident ne figure dans le répertoire du centre de formation. Enfin, les soins se bornent à une consultation du 19 novembre et à une autre le 1er décembre, le constat d’une lésion bucco-dentaire datant du 25 janvier 2021.

Pour l’intimé, la preuve de la survenance de l’accident est apportée eu égard à un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes (présence d’un témoin direct de l’accident, confirmation des circonstances par sa dentiste, déclaration faite par l’employeur et chronologie des lésions expliquant la consultation tardive).

La décision de la cour

La cour fait un rappel des règles reprises aux articles 7, alinéas 1er et 2, ainsi que 9 de la loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail.

Elle reprend le mécanisme légal, selon lequel la preuve certaine de trois éléments doit être apportée par le travailleur (l’événement soudain, la lésion, la survenance de l’accident dans le cours de l’exécution du travail), preuve qui, une fois apportée, enclenche une présomption légale de causalité (article 9) ainsi que celle de l’exécution par le fait de l’exercice des fonctions (article 7).

Les caractéristiques principales de l’événement soudain sont ensuite reprises, avec renvoi à la jurisprudence bien acquise en la matière.

Pour la cour, la notion d’événement soudain relève de l’appréciation souveraine des faits par le juge du fond, qui doit apprécier dans chaque cas d’espèce les éléments de fait de la cause, ainsi la nature du travail, les circonstances dans lesquelles la douleur et/ou la lésion sont apparues, etc.

La notion de « cours de l’exécution du contrat ou des fonctions » est large, s’agissant de vérifier si le travailleur se trouve à un moment donné toujours sous l’autorité de l’employeur, celle-ci pouvant être virtuelle.

Elle reprend la définition spécifique à la matière de l’autorité patronale, qui signifie que la liberté personnelle du travailleur doit être limitée du fait des fonctions ou du contrat. Il s’agit de l’exécution du contrat et non de celle du travail, notion qui est donc plus large.

Les éléments de fait survenus dans le décours de l’accident, à savoir essentiellement les contacts (entretiens téléphoniques entre divers intervenants) et les attestations de témoins sont passés en revue. De même, sur le plan médical, un rapport du dentiste consulté ainsi que du dentiste-conseil de l’assureur.

Suite à l’avis négatif de ce dernier, l’arrêt souligne que le dentiste traitant a notamment rappelé le déroulement des faits (violence du choc dans le plan sagittal, suivi d’un autre choc au niveau du maxillaire inférieur, présence d’un saignement buccal) ainsi que les lésions constatées. Il précise que l’on ne peut reprocher à l’intéressé de ne pas avoir cessé son activité ce jour-là vu qu’il avait examen et qu’il ne souhaitait pas le reporter.

Ces éléments permettent à la cour de conclure que, nonobstant le laps de temps écoulé, la version des faits du travailleur doit être suivie.

Elle retient également la présence d’un témoin direct des faits, qui a confirmé ceux-ci, et l’absence de déclaration discordante dans le chef de l’intéressé par rapport aux autres éléments du dossier.

Les conditions de l’accident sont dès lors réunies, le travailleur ayant satisfait à son obligation de preuve.

Enfin, par application de l’article 1068, alinéa 2 du Code judiciaire, la cour renvoie la cause devant le tribunal du travail afin que l’expertise puisse se tenir. Vu la production d’un élément nouveau, étant un avis médical complémentaire du dentiste-conseil de l’assureur, la cour complète la mission d’expertise figurant dans la décision du tribunal.


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