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Réparation de l’accident du travail en cas d’état antérieur évolutif

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 11 janvier 2024, R.G. 2020/AN/165

Mis en ligne le jeudi 13 février 2025


Cour du travail de Liège (division Namur), 11 janvier 2024, R.G. 2020/AN/165

Terra Laboris

Résumé introductif

En accident du travail, la consolidation des lésions est le moment où celles-ci se stabilisent. Celle-ci ne coïncide pas nécessairement avec la reprise du travail ou la fin du traitement médical.

Dès lors qu’existe un état pathologique préexistant, le caractère forfaitaire du système légal de réparation impose d’indemniser la victime tant que le traumatisme consécutif à l’accident active celui-ci.

Les soins visés à l’article 28 de la loi sont tous ceux de nature à remettre la victime dans un état physique aussi proche que possible que celui qui était le sien avant l’accident.

Dispositions légales

  • Loi du 10 avril 1971 sur les accidents du travail – articles 9, 24 et 28

Analyse

Les faits

Une employée subit en 2016 une agression physique et verbale de la part d’un collègue, qui l’insulta et la poussa.

Cet accident du travail fut accepté par l’assureur-loi et un projet d’accord-indemnité fut communiqué à l’intéressée, proposant une consolidation au 16 février 2017 avec un taux d’IPP de 5 %, l’incapacité temporaire ayant été continue depuis la date de l’accident.

Cet accord fut signé. Fedris interrogea, cependant, l’assureur, constatant que l’intéressée n’avait pas été en mesure de reprendre le travail et que son neuropsychiatre avait conclu que son état neuropsychologique était toujours évolutif, et ce à la date du 14 janvier 2017. Fedris demanda également des éclaircissements quant à la situation socio-économique de l’intéressée après la date de la consolidation.

L’assureur ne répondit pas à ce courrier.

Il lança citation devant le tribunal du travail de Liège, division Namur, le 25 juin 2018, demandant l’entérinement de sa proposition d’accord-indemnité.

L’employée contesta, dans le cours de la procédure, la proposition de règlement.

Un expert fut dès lors désigné.

Il conclut que l’intéressée avait été en incapacité jusqu’au 28 février 2017, la consolidation étant acquise le 1er mars, et ce par retour à l’état antérieur, ne laissant pas, selon lui, au-delà de cette date, d’incapacité de travail partielle résiduelle imputable à l’accident.

Dans un jugement du 6 octobre 2020, le tribunal confirma le constat de retour à l’état antérieur sans IPP. Il estima cependant ne pas être suffisamment documenté pour déterminer la date de la consolidation et ordonna la réouverture des débats aux fins d’obtenir le dépôt du rapport du neuropsychiatre de la victime, cette réouverture des débats devant permettre d’approfondir certains éléments du dossier afin de déterminer la potentielle incidence de l’état antérieur sur l’évolution d’un trouble de l’adaptation ainsi que de ses conséquences.

L’employée a interjeté appel.

Les arrêts interlocutoires de la cour du travail

La cour du travail a rendu un premier arrêt en date du 2 décembre 2021. Cet arrêt interlocutoire a confirmé le jugement en ce qu’il avait estimé qu’il y avait un retour à l’état antérieur et que la durée de l’ITT et la date de consolidation ne pouvaient être déterminées clairement vu l’insuffisance des éléments du dossier médical.

La cour a dès lors ordonné la réouverture des débats et a demandé des pièces, et ce tant aux parties qu’à l’expert (certains documents médicaux n’étant pas joints à son rapport).

Elle a ensuite rendu un second arrêt interlocutoire, ordonnant un complément d’expertise à l’expert précédemment désigné, afin d’apprécier dans quelle mesure l’état de la victime avait évolué pour son propre compte sans être influencé par l’accident du travail et de déterminer les périodes d’incapacité temporaire.

Dans ses conclusions, l’expert renvoie à son premier rapport, étant un retour à l’état antérieur à la date du 1er mars 2017 sans incapacité permanente résiduelle.

Position des parties après le dépôt du complément d’expertise

Suite au dépôt de ce rapport, la victime demande l’indemnisation dans le cadre de l’incapacité temporaire pour la période du 30 août 2016 au 29 août 2018 sous déduction des paiements déjà intervenus et à titre subsidiaire elle sollicite un nouveau recours à l’expertise (auprès d’un autre expert) aux fins de déterminer notamment la diminution de sa capacité professionnelle et de dire quelle influence la dépréciation physiologique est susceptible d’avoir eue sur celle-ci. À titre plus subsidiaire, elle demande un complément d’expertise confié au même expert.

Elle considère en substance que la date retenue par l’expert n’est pas justifiée, celui-ci se basant uniquement sur une notion théorique ne prenant nullement en compte l’absence ou non d’amélioration ou de détérioration significative de la capacité économique. Elle conteste que, comme l’a retenu l’expert, le caractère prétendument banal des faits soit pris en compte dans l’évaluation de la période d’incapacité temporaire, cet élément étant sans incidence sur l’appréciation des séquelles.

Elle estime également que l’expert a conclu au retour à l’état antérieur sans la moindre justification alors qu’elle est toujours inapte à la reprise du travail. Elle demande également la prise en charge de sa médication antidépressive jusqu’au 30 août 2018.

Du côté de l’assureur-loi, il y a une demande d’entérinement du rapport d’expertise, étant la limitation de l’incapacité temporaire au 28 février 2017 et la consolidation au 1er mars avec 0 %.

Celui-ci considère en effet que la référence médicale d’évaluation de la durée du trouble de l’adaptation à six mois est raisonnable et justifiée et que l’incapacité de travail à partir du 1er mars 2017 n’est pas en lien avec l’accident, celui-ci n’ayant pas influé à partir de cette date sur l’évolution prévisible de l’état antérieur, lui-même évolutif.

Il estime également que la victime ne dépose aucun élément médical permettant de contester valablement les conclusions de l’expert.

La décision de la cour

Plusieurs points de droit sont d’abord rappelés, étant la place et le rôle de l’expert dans la procédure judiciaire, la valeur de l’expertise et la possibilité pour l’expert de recourir à des sapiteurs, qui vont opérer sous sa responsabilité.

Sur le plan de la réparation de l’accident, la cour reprend la définition de la date de consolidation, qui est celle à laquelle les séquelles se stabilisent, de telle sorte que selon les prévisions normales l’on ne peut plus espérer une amélioration ou une détérioration de la capacité de travail. Elle renvoie ici à deux arrêts de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 27 novembre 2006, R.G. 45.473 et C. trav. Bruxelles, 3 juillet 2006, R.G. 47.115). Il en découle que la date de consolidation n’est pas nécessairement celle de la reprise du travail ou de la fin du traitement médical.

La cour en vient ensuite à l’incidence de l’état antérieur, qui, selon la définition qu’en a donnée le professeur LUCAS (P. LUCAS, « Accident du travail et état antérieur », Accidents du travail : 100 ans d’indemnisation, Colloque organisé le 5 décembre 2003 par la Faculté de droit de l’ULB, Bruylant, 2003, page 64), est définie comme l’état du sujet considéré juste avant l’accident qui le frappe. Pour la cour du travail, c’est donc la situation de la victime avant l’événement soudain.

Dès lors que l’état pathologique préexistant est évolutif, dès lors que le traumatisme consécutif à l’accident active celui-ci, l’incapacité de travail doit être prise en compte, vu le caractère forfaitaire du système légal de réparation. Cependant dès lors qu’il cesse d’exercer une influence sur l’état de la victime et que celle-ci est revenue à son état pathologique tel qu’il aurait évolué sans l’accident, l’indemnisation s’arrête.

Pour la cour, le juge doit dès lors chercher à partir de quand l’incapacité n’est plus due qu’au seul état antérieur.

Enfin, se pose également un problème de soins médicaux. La cour rappelle que la présomption légale ne vaut pas pour ceux-ci et que dans un arrêt du 20 avril 1998 (Cass., 20 avril 1998, S.97.0035.N), la Cour de cassation a défini ceux-ci comme étant tous les soins de nature à remettre la victime dans un état physique aussi proche que possible de celui qui était le sien avant l’accident.

Ayant déjà jugé qu’il y avait un retour à l’état antérieur et donc absence d’incapacité permanente dans son arrêt interlocutoire du 2 décembre 2021 et ayant chargé l’expert de dire à quelle date celui-ci a repris son évolution pour son propre compte - ce qui a été proposé par lui au 1er mars 2017, la cour examine sa conclusion ainsi que la position du sapiteur. Elle conclut de son examen que l’expert a dûment répondu aux observations du médecin de recours.

Aucun élément nouveau n’étant apporté, elle note qu’il a été répondu à toutes les critiques faites et que, si la victime persiste dans son opinion divergente, celle-ci n’est pas étayée sur le plan médical.

Le rapport de l’expert est dès lors entériné et elle statue quant aux médications à prendre en charge par l’assureur-loi, vidant dès lors sa saisine.


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