Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Dinant), 4 juin 2024, R.G. 21/315/A
Mis en ligne le jeudi 13 février 2025
Tribunal du travail de Liège (division Dinant), 4 juin 2024, R.G. 21/315/A
Terra Laboris
Résumé introductif
Pour calculer la rente due dans le secteur public en cas d’incapacité permanente consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle, il faut procéder successivement à la détermination de la rémunération de base, à l’application du plafond légal et au calcul de la rente elle-même.
Après qu’elle a été calculée sur la base de la rémunération de base désindexée, la rente doit être réindexée jusqu’à la date de l’accident.
Si, en cas de rente inférieure à 16 %, la rente elle-même n’est pas soumise à indexation, l’absence d’indexation ne vaudra qu’après que le montant de la rente a été correctement déterminé, c’est-à-dire après qu’il a été fixé en fonction de la rémunération désindexée au moment de l’accident et qu’il a lui-même été réindexé à cette date. L’absence d’indexation vaut pour l’avenir.
Dispositions légales
Analyse
Les faits
Une demande de reconnaissance de maladie professionnelle ayant été introduite par un policier pour une affection inscrite dans la liste (code 1.605.03), celui-ci reçut un refus de l’État belge, au motif qu’il n’y avait pas d’exposition au risque.
Un recours fut introduit devant le tribunal.
L’expertise
Le tribunal désigna un expert (qui fut remplacé en cours de route).
Dans son rapport celui-ci conclut qu’il y a eu atteinte d’une maladie professionnelle dans le système hors liste, affectant le bas de la colonne lombaire, vu la présence de lésions dégénératives d’arthrose pluri-étagées, celles-ci trouvant leur cause directe et déterminante dans l’exercice de la profession de policier.
L’expert propose une incapacité physique de 6 %, fixant une date de départ. Il précise que cette incapacité n’est pas limitée dans le temps.
La décision du tribunal
Le tribunal est saisi non seulement de la question du taux de l’incapacité permanente, mais aussi de celle du calcul de la rente.
Les parties sollicitant l’entérinement des conclusions de l’expert, il constate que celles-ci sont complètes et précises et procède à leur entérinement.
La discussion sur l’incapacité permanente concerne les facteurs socio-économiques.
Le tribunal renvoie à un arrêt de la Cour de cassation du 11 septembre 2006 (Cass., 11 septembre 2006, S.05.0037.F), où celle-ci a confirmé qu’il s’agit d’indemniser la perte ou la diminution du potentiel économique sur le marché général du travail et que le dommage s’apprécie en fonction de l’incapacité physiologique mais également en fonction de la qualification professionnelle, de la faculté d’adaptation, de la possibilité de rééducation professionnelle et de la capacité de concurrence de la victime sur le marché général de l’emploi.
Il reprend certaines appréciations en jurisprudence sur le critère de l’âge (la diminution de capacité étant d’autant plus importante que l’âge est avancé), de la qualification professionnelle et des possibilités de rééducation professionnelle (s’agissant d’examiner l’ensemble des professions que la victime pourrait encore exercer de manière régulière, étant ici exigé un bilan acquis au moment de l’évaluation mais également en fonction d’une anticipation raisonnable des possibilités existantes à la fois sur le plan du recyclage et sur celui d’une réorientation professionnelle) et enfin sur le statut de la victime, qui peut bénéficier d’allocations de chômage, indemnités de mutuelle, etc. (situations qui ne peuvent justifier une diminution du taux des facteurs socio-économiques).
Au vu de des éléments de l’espèce, le tribunal fixe les facteurs socio-économiques à 3 %. C’est dès lors un taux global de 9 % qui est reconnu.
Sur la question du calcul de la rente, il examine successivement la détermination de la rémunération de base, le plafond légal et le calcul de la rente elle-même.
La situation du personnel de police est fixée dans l’arrêté royal du 30 mars 2001 portant la position juridique du personnel des services de police (PJPol), la rémunération y étant définie à l’article X.III.31, dont le texte prévoit que la rémunération annuelle ne comprend pas la majoration due à sa liaison aux fluctuations de l’indice général des prix de détail du Royaume au moment de l’accident ou de la constatation de la maladie professionnelle.
Le tribunal conclut à la prise en compte d’un salaire désindexé par rapport au salaire réellement perçu. Celui-ci est dès lors ramené à l’indice 138,01, indice en vigueur au 1er août 1989.
Pour ce qui est du plafond légal, celui-ci est en l’occurrence dépassé. L’article 4 de la loi du 3 juillet 1967 prévoit en effet qu’il faut tenir compte de celui en vigueur à la date de consolidation de l’incapacité de travail ou à celle à laquelle l’incapacité présente un caractère permanent selon qu’il s’agit d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
Sur le calcul de la rente elle-même, le tribunal retient que celui-ci doit dès lors être fait sur la base du plafond (24 332,08 euros) et d’un taux d’IPP de 9 %.
Se pose, en conséquence, la question de l’éventuelle indexation visée à l’article 13, alinéa 1er, de la loi du 3 juillet 1967, la rente devant être augmentée ou diminuée conformément à la loi du 1er mars 1977 (liaison de l’indice des prix à la consommation), mécanisme qui ne s’applique pas aux rentes dites des « -16 ». La rente ne sera donc pas soumise à l’indexation.
La question de l’indexation étant très débattue en jurisprudence, le tribunal fait un « état des lieux » eu égard aux effets négatifs de la désindexation de la rémunération de base couplée à l’absence d’indexation de la rente.
Il renvoie d’abord à l’arrêt de la Cour du travail de Liège du 18 juin 2018 (C. trav. Liège (div. Liège), 18 juin 2018, R.G. 2015/AL/463 et 2017/AL/60), selon lequel l’indexation de la rente est doublement correctrice, devant à la fois rattraper l’érosion salariale entre l’indice 138,01 et le moment de l’accident et compenser celle qui intervient depuis celui-ci. Cet arrêt a précisé, en cas de non-indexation que « … le travailleur victime d’un accident subit une double peine : non seulement le salaire retenu pour calculer la rente est son salaire désindexé ramené à l’indice 138,01, soit un salaire inférieur à ce qu’il percevait réellement lors de l’accident, mais, de surcroît, la rente en tant que telle (calculée sur la base d’un salaire minoré) ne fait pas l’objet d’augmentations futures pour l’adapter au coût de la vie ».
Il rappelle ensuite d’autres arrêts, et surtout celui de la Cour constitutionnelle du 13 avril 2023 (C. const., 13 avril 2023, 61/2023), rendu suite à deux questions posées par la Cour du travail de Liège dans un arrêt du 15 février 2022 (C. trav. Liège (div. Liège), 15 février 2022, R.G. 2021/AL/188). Dans cet arrêt, la Cour a considéré, sur la première question, que, en principe la non-indexation de la rente ne produit pas des effets disproportionnés dans la mesure où la victime d’un accident du travail peut en principe percevoir à la fois sa rémunération et la rente d’IPP due en application de l’article 3, al. 1er, 1°, b) de la loi du 3 juillet 1967, la différence de traitement n’étant pas dépourvue de justification raisonnable au regard de l’objectif poursuivi d’assainissement de la sécurité sociale et de la marge d’appréciation du législateur. Quant à la seconde question, elle a estimé qu’elle ne pouvait y répondre, la non-indexation de la base de calcul de la rente dans le secteur public n’étant pas imputable à une norme législative mais découlant (dans l’espèce soumise) de l’arrêté royal du 24 janvier 1969 (article 14, § 2).
En l’espèce, le tribunal entreprend dès lors de fixer le montant de la rente, qui elle-même n’est pas soumise à indexation, étant inférieure à 16 %. Après qu’elle a été calculée sur la base de la rémunération de base désindexée, celle-ci doit être réindexée jusqu’à la date de l’accident, l’absence d’indexation valant pour l’avenir.
Il renvoie à la jurisprudence de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 24 janvier 2022, R.G. 2019/AB/758 et C. trav. Bruxelles, 5 mars 2018, R.G. 2017/AB/471), selon laquelle si la législation et la réglementation sont fort peu claires, le juge est tenu d’interpréter la loi, et ce afin de préserver la cohérence du dispositif découlant de l’économie générale des dispositions en cause. La cohérence exige qu’à la désindexation de la rémunération de base réponde l’indexation de la rente jusqu’au moment de l’accident, ce qui permet de neutraliser les effets de la désindexation de la rémunération.
Les conclusions de M. le Procureur général LECLERCQ avant l’arrêt de la Cour de cassation du 14 mars 2011 (S.09.0099.F) viennent appuyer la position du tribunal, qui précise encore que le mécanisme est explicité dans les travaux préparatoires de l’arrêté royal du 13 juillet 1970. L’absence d’indexation ne vaudra qu’après que le montant de la rente a été correctement déterminé, c’est-à-dire après qu’il a été fixé en fonction de la rémunération désindexée au moment de l’accident et qu’il a lui-même été réindexé à cette date.
C’est ce raisonnement qu’il adopte, fixant en l’espèce la rente au montant de (24 332,08 € x 9 % x 1, 7069), soit 3 737,91 € par an à la date du 11 février 2019.
Enfin, sur les dépens, le tribunal alloue la double indemnité de procédure, le demandeur ayant justifié sa demande par le fait qu’elle est évaluable en argent et que sur la base de 10 annuités, le montant octroyé dépassera 2500 €.
Intérêt de la décision
Ce jugement apporte une pierre supplémentaire au débat relatif à l’indexation de la rente des petites incapacités (-16 %) dans le secteur public (accidents du travail et maladies professionnelles), le tribunal rappelant deux arrêts de la Cour constitutionnelle, qui est intervenue sur la non-indexation des rentes « moins 16 » après leur fixation, mais non sur la question de leur indexation en vue de celle-ci, afin de pallier les effets de la désindexation de la rémunération de base. (C. const.,13 avril 2023, 61/2023 et C. const., 4 décembre 2014, 178/2014).