Terralaboris asbl

Une décision d’une Cour constitutionnelle nationale doit s’effacer devant la norme de droit européen

Commentaire de C.J.U.E., 26 septembre 2024, Aff. n° C-792/22 (MG, EN PRÉSENCE DE PARCHETUL DE PE LÂNGĂ JUDECĂTORIA RUPEA, LV, CRA, LCM, SC ENERGOTEHNICA SRL SIBIU), EU:C:2024:788

Mis en ligne le mardi 18 février 2025


Cour de Justice de l’Union européenne, 26 septembre 2024, Aff. n° C-792/22 (MG, EN PRÉSENCE DE PARCHETUL DE PE LÂNGĂ JUDECĂTORIA RUPEA, LV, CRA, LCM, SC ENERGOTEHNICA SRL SIBIU), EU:C:2024:788

Terra Laboris

Résumé introductif

La directive 89/391/CEE a pour objet de mettre en œuvre des mesures préventives visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail de façon à assurer un meilleur niveau de protection.

Elle contient ainsi notamment des principes généraux en matière de prévention des risques professionnels et soumet l’employeur à l’obligation d’assurer au travailleur un environnement de travail sûr, obligation dont le contenu est précisé dans la directive elle-même ainsi que par plusieurs directives particulières.

Elle impose une obligation générale de sécurité pesant sur l’employeur, sans toutefois se prononcer sur une quelconque forme de responsabilité.

Lorsque les États membres définissent les modalités procédurales des recours en justice, ils doivent garantir le respect du droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial. L’article 47 de la Charte est une réaffirmation du principe de protection juridictionnelle effective. Il assure notamment le droit d’être entendu.

Dispositions légales

  • Directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail - articles 1er, paragraphes 1 et 2 et 5, paragraphe 1,
  • Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne - articles 31, paragraphe 1 et 47.

Analyse

Faits de la cause

Un ouvrier électricien roumain eut un accident du travail mortel le 5 septembre 2017, étant occupé par une société roumaine, en tant que salarié. Il décéda d’une électrocution.

Un autre employé de la société était responsable des questions de sécurité et d’équipements de protection.

À la suite du décès, une enquête administrative fut ouverte et des poursuites pénales engagées contre ce dernier pour non-respect des mesures légales de sécurité au travail et homicide involontaire.

Sur le plan administratif, la notion d’accident du travail fut retenue.

La société introduisit un recours judiciaire aux fins d’obtenir l’annulation du procès-verbal de l’inspection du travail. Ce procès-verbal fut annulé par un jugement du 10 février 2021 du Tribunal de grande instance de Sibiu.

Appel fut interjeté mais en vain.

Sur le plan pénal, l’employé poursuivi fut renvoyé devant le tribunal de première instance suite au réquisitoire du Parquet. Celui-ci fit valoir qu’il avait effectivement donné à la victime une instruction, étant d’intervenir sur un luminaire sans que les mesures de sécurité et de santé n’aient été prises. L’alimentation électrique n’aurait en effet pas été débranchée et l’ouvrier travaillait sans gants de protection électro – isolants.

Une procédure fut introduite par les ayants droit en vue d’obtenir la réparation des préjudices subis.

L’intéressé fut relaxé des poursuites pénales par jugement du tribunal de première instance, au motif de l’existence d’un doute raisonnable quant à l’ordre donné, l’accident s’étant par ailleurs produit après la fin des heures de travail et ne pouvant, de ce fait, être qualifié d’accident du travail.

Appel fut interjeté par les ayants droit et par le Parquet.

La Cour d’appel de Braso considéra que la décision de la juridiction administrative s’imposait à la juridiction pénale vu l’autorité de la chose jugée dont elle était revêtue.

Cette solution juridique est en effet confirmée dans un arrêt de la Cour constitutionnelle du 17 février 2021, qui a reconnu un caractère absolu à l’autorité de la chose jugée des jugements civils tranchant de questions préalables.

La juridiction de renvoi (Cour d’appel de Braso) s’interroge, notamment, eu égard à l’absence d’audition des parties civiles devant la juridiction administrative, d’autant que les parties entendues dans le cadre des deux procédures ne sont pas les mêmes. Elle pose la question, notamment, de la protection des travailleurs au sens de la Directive 89/391/CE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, en ses articles 1er, paragraphe 1 et 2 et 5, paragraphe 1, à la lumière de l’article 31, paragraphe 1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Elle décide dès lors d’interroger la Cour de justice.

Les questions préjudicielles

La première question est de savoir si les principes garantis par les dispositions ci-dessus, étant celui de la protection des travailleurs et celui de la responsabilité de l’employeur, s’opposent à la réglementation applicable en l’espèce, selon laquelle une juridiction administrative peut décider définitivement qu’un événement n’est pas un accident du travail au sens de la directive et empêcher ainsi la juridiction pénale de prononcer une solution différente en ce qui concerne la qualification d’accident du travail, et ce eu égard à l’autorité de la chose jugée du jugement administratif définitif.

En cas de réponse affirmative, le juge de renvoi invoque le principe de primauté du droit de l’Union, étant de savoir s’il s’oppose à la réglementation ou à la pratique nationale en vertu de laquelle les juridictions nationales de droit commun sont liées par les décisions de la Cour constitutionnelle et ne peuvent laisser inappliquée d’office la jurisprudence en question même s’ils considèrent que celle-ci est contraire aux dispositions ci-dessus.

La décision de la Cour

Un premier débat oppose les parties, sur le plan de la recevabilité, qui est contestée par le gouvernement roumain. La Cour accueille cependant les questions posées.

Sur le fond de la première question, elle ajoute aux dispositions à examiner l’article 47 de la Charte, qui garantit le droit à une protection juridictionnelle effective.

Elle rappelle des arrêts qu’elle a rendus sur l’article 5, paragraphe 1 de la Directive 89/391, qui énonce que l’employeur est obligé d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail.

Cette disposition contient une obligation générale de sécurité mais ne se prononce pas sur une quelconque forme de responsabilité. Elle ne comprend aucune disposition spécifique relative aux modalités procédurales des recours visant à engager la responsabilité de l’employeur.

Les procédures relèvent en effet de l’ordre juridique interne des États membres vu le principe de l’autonomie procédurale des États (dans le respect cependant des normes européennes).

Par ailleurs, la Cour rappelle qu’elle a également jugé qu’en l’absence de réglementation de l’Union en matière de principe de l’autorité de la chose jugée, les modalités de mise en œuvre de celui-ci relèvent également des États, ce toujours dans le respect des principes d’équivalence et d’effectivité.

Faisant le détour par l’article 47 de la Charte, la cour reprend ensuite l’obligation des États membres de garantir le droit à un recours effectif et à un tribunal impartial.

Parmi les droits garantis, figure celui d’être entendu. Elle rappelle ici son arrêt du 25 avril 2024, (C.J.U.E., 25 avril 2024, Aff. n°s C 420/22 et C 528/22 (NW, PQ c/ Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság, Miniszterelnöki Kabinetirodát vezető miniszter), EU:CE:2024:344), où elle a jugé qu’il serait incompatible avec ce droit fondamental de fonder une décision juridictionnelle sur des faits et des documents dont les parties elles-mêmes ou l’une d’entre elles n’ont pas pu prendre connaissance et sur lesquels elles n’ont pu prendre position.

Elle décide qu’il appartient au juge national de vérifier si les ayants droits de la victime, parties civiles devant la juridiction pénale, ont disposé du droit d’être entendus devant la juridiction administrative.
Elle répond dès lors que les dispositions visées (en ce compris l’article 47 de la Charte) s’opposent à la réglementation d’un État membre tel qu’interprétée par la Cour constitutionnelle, en vertu de laquelle la décision de la juridiction administrative portant sur la qualification d’un événement en tant accident du travail revêt l’autorité de la chose jugée devant le juge pénal dès lors que les ayants droit n’ont pu être entendus.

Vient ensuite, vu la réponse affirmative donnée à la première question, l’examen de celle relative à la primauté du droit de l’Union. Ici, la Cour aborde la question de la responsabilité disciplinaire des juges de droit commun, lorsqu’ils méconnaissent les décisions d’une Cour constitutionnelle nationale.

Cependant, afin de préserver leur indépendance, elle rappelle qu’il est essentiel de ne pas exposer ces juges à des procédures de sanctions disciplinaires pour avoir exercé la faculté de saisir la Cour au titre de l’article 267 TFUE.

Le principe de primauté du droit de l’Union s’oppose dès lors également à la réglementation nationale qui interdit sous peine de poursuites disciplinaires aux juridictions de droit commun de laisser inappliquées d’office des décisions de la Cour constitutionnelle de cet État alors qu’ils estiment qu’elles méconnaissent les droits tirés de la Directive 89/391/CEE.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be