Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 mai 2024, R.G. 2021/AB/494
Mis en ligne le mardi 18 février 2025
Cour du travail de Bruxelles, 17 mai 2024, R.G. 2021/AB/494
Terra Laboris
Résumé introductif
La personne morale qui modifie son siège social est tenue de mettre en place les mesures nécessaires pour recevoir ou faire suivre son courrier en attendant que cette modification soit opposable aux tiers. A défaut, elle supporte les conséquences de sa propre négligence.
L’amende civile n’est pas soumise aux cotisations de sécurité sociale. Les juridictions du travail ne sont pas compétentes pour déterminer le caractère imposable ou non de cette indemnité.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Une société active dans le secteur de l’énergie et relevant de la commission paritaire 200 procède au licenciement d’un employé en date du 9 décembre 2019. Ce licenciement intervient avec effet immédiat moyennant annonce du paiement d’une indemnité compensatoire de préavis.
Le 13 janvier 2020, la société dépose au greffe du tribunal néerlandophone de l’entreprise un acte constatant la modification du siège social.
Par lettre du 5 février 2020 (courrier recommandé), l’employé demande à la société la communication des motifs concrets du licenciement. Ce courrier est envoyé à l’ancien siège, seule adresse connue de lui.
L’acte de modification sera publié au Moniteur belge le 18 février.
Le lendemain, l’organisation syndicale à laquelle le travailleur est affilié envoie une mise en demeure à la société, à sa nouvelle adresse.
Celle-ci, qui avait dans un premier temps déposé l’acte de modification du siège social au greffe du Tribunal de l’entreprise néerlandophone de Bruxelles uniquement assure également ce dépôt au greffe du Tribunal francophone, en date du 24 février.
Le syndicat adresse un rappel ultérieurement à la société, celle-ci faisant alors valoir qu’elle n’a pas reçu la lettre du travailleur du 5 février.
La procédure
Une procédure judiciaire est entamée par l’employé.
L’intéressé y demande le paiement de l’amende civile, ainsi qu’une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable. Il postule également un euro provisionnel au chef d’arriérés de rémunération.
Le jugement du tribunal
Celui-ci, daté du 17 mai 2021, condamne la société au paiement de l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable et fait également droit à celle d’amende civile, pour laquelle le tribunal alloue une somme nette.
Il condamne également l’employeur à la délivrance de documents sociaux avec astreinte.
Appel est interjeté par la société.
La décision de la cour
Statuant sur l’amende civile, la cour renvoie à la doctrine (W. VAN EECKHOUTTE et V. NEUPREZ, Compendium social droit du travail 2023 – 2024, page 2965, n° 5117), qui rappelle que celle-ci n’est pas soumise aux cotisations de sécurité sociale.
Sur le plan fiscal, l’administration estime que celle-ci doit être soumise au précompte professionnel, ce qui n’est pas la position de la doctrine, qui considère que cette amende vise notamment à réparer dans le chef du travailleur un dommage moral individualisé (renvoi est fait à T. DRIESSE et C. BROUCKE, « Le régime social et fiscal de certaines indemnités allouées à l’occasion de la fin du contrat de travail », Ors., 2014, 10, page 19).
La cour du travail rejoint la Cour du travail de Mons dans un arrêt du 10 octobre 2022 (C. trav. Mons, 10 octobre 2022, J.T.T., 2023, page 122), pour rappeler que les juridictions du travail ne sont pas compétentes pour déterminer le caractère imposable ou non de cette indemnité, ceci devant être fait par l’administration fiscale et des recours existant à cet égard.
Elle en vient ainsi à la question de savoir si l’amende civile est due en l’espèce.
Elle examine particulièrement un argument du demandeur relatif à l’opposabilité aux tiers d’un changement de l’adresse du siège social d’une personne morale et se livre ici à un rappel en droit, reprenant les articles 2.7, 2.8, 8° et 9°, 2.12 et 2.14 du Code des sociétés et des associations. Il découle de ceux-ci qu’il appartient à la personne morale qui modifie son siège social, de prendre les mesures nécessaires pour recevoir ou faire suivre son courrier en attendant que le changement de ce siège soit opposable aux tiers. A défaut, elle supporte les conséquences de sa propre négligence.
Le courrier recommandé de l’employé a dès lors été correctement adressé à l’employeur.
La société n’ayant pas donné les motifs concrets du licenciement, l’amende est due.
Sur la question de savoir si elle est imposable ou non, la cour rappelle qu’elle n’est pas compétente pour statuer sur cette question et que, l’administration fiscale n’étant pas à la cause, le montant est alloué sous déduction des retenues éventuellement applicables.
Cette indemnité constituant par ailleurs de la rémunération au sens de la loi relative à la protection de la rémunération, elle porte intérêt de plein droit, celui-ci étant dû à partir de la date d’exigibilité, c’est-à-dire le lendemain de l’expiration du délai de deux mois dans lequel l’employeur était tenu de répondre.
La cour examine ensuite la question de savoir si le licenciement était manifestement déraisonnable, question sur laquelle elle reprend les principes directeurs.
Dans la mesure où les motifs concrets du licenciement n’ont pas été communiqués, l’employeur a la charge de la preuve du caractère manifestement déraisonnable ou non du licenciement.
L’employeur faisant état d’un incident intervenu le week-end avant celui-ci, la cour procède au contrôle de la réalité du motif et ensuite de sa proportionnalité.
A partir des éléments soumis, elle conclut que le refus reproché au travailleur n’est pas établi. Par ailleurs, des attestations déposées sont bien postérieures à la période des faits. Si celles-ci sont de nature à retenir une situation conflictuelle, la responsabilité du travailleur n’est pas établie. D’autres griefs sont encore rejetés.
Ensuite, sur le point de savoir si le licenciement aurait été décidé par un employeur normal et raisonnable (contrôle de proportionnalité), la cour retient la précipitation de l’employeur alors qu’un entretien était proposé pour le lendemain.
Sur le quantum, le travailleur réclamant le maximum de la fourchette, la cour souligne que le fait que le licenciement repose sur des motifs non démontrés ne justifie pas à lui seul l’octroi de l’indemnité maximale. Elle retient la faible ancienneté du travailleur, qui permettrait de donner une certaine crédibilité aux affirmations de l’employeur selon lesquelles il ne répondait pas à ses attentes. Elle fixe la hauteur de l’indemnité à huit semaines.
Enfin, elle fait droit à un dernier chef de demande relatif à une prime de garde prévue par le contrat de travail.