Terralaboris asbl

Conditions d’intervention de l’AVIQ dans des produits d’assistance personnelle en vue de favoriser l’intégration des personnes handicapées

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 19 mars 2024, R.G. 2022/AN/137

Mis en ligne le vendredi 7 mars 2025


C. trav. Liège (div. Namur), 19 mars 2024, R.G. 2022/AN/137

(Décision commentée)

Résumé introductif

En application de l’article 807 du Code judiciaire, les parties peuvent étendre ou modifier l’objet de la demande initiale pour autant qu’elles n’en modifient pas la cause, étant l’ensemble des faits et des actes à la base du litige, invoqués par le demandeur dans son acte introductif à l’appui du droit dont il réclame la reconnaissance.
Dans le secteur de l’intégration des personnes handicapées, une demande d’intervention financière de l’AVIQ dans des produits d’assistance peut dès lors être modulée en cours d’instance, l’article 807 du Code judiciaire ne requérant pas que la demande nouvelle soit exclusivement fondée sur un fait ou un acte invoqué dans la citation/requête.
Pour ce qui est des conditions d’intervention de l’AVIQ, celles-ci sont au nombre de deux et sont cumulatives, étant d’une part la nécessité d’aménagements en raison du handicap (critère qui inclut les activités de la personne handicapée et sa participation à la vie en société) et de l’autre un coût excédant les limites de la norme habituellement admise par référence aux aménagements de même type pour une personne valide.

Source

C. trav. Liège (div. Namur), 19 mars 2024, R.G. 2022/AN/137

Dispositions légales

  • Code judiciaire - article 807
  • Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé – articles 784 à 786, 795 et 796
  • Code wallon de l’action sociale et de la santé – Partie décrétale - articles 260, 263 et 278

Analyse

Les faits

Une personne atteinte d’une agénésie congénitale du bras droit (son bras droit s’arrêtant quelques centimètres après le pli du coude) a bénéficié en 2005 d’une intervention financière de l’AWIPH aux fins de procéder à une adaptation de son vélo, étant l’installation d’un moyeu de sept vitesses combinable avec un torpédo et un frein avant placé sur la poignée gauche.

Celui-ci lui ayant été volé en 2011, elle a acheté un nouveau à ses frais.

En 2020, elle introduit une nouvelle demande auprès de l’AVIQ au motif que ses besoins ont changé. Cette demande concerne l’achat d’une voiture automatique ainsi que l’adaptation d’un vélo (adaptation du guidon et combinaison d’un système de vitesses et de freinage manipulables avec une main et les pieds).

Elle expose vivre à la campagne et être astreinte à des trajets plus importants. Elle fait valoir des raisons écologiques et personnelles, son lieu de vie étant modifié. Les trajets étant plus longs, les routes parfois étroites et avec des problèmes de circulation, elle a besoin d’une plus grande stabilité et d’un plus grand contrôle du guidon, devant également décharger une partie des efforts faits par son membre supérieur gauche. Elle explique qu’elle a de fortes douleurs au niveau du trapèze gauche et du cou, ce qui restreint sa mobilité, et qu’elle a déjà eu des accidents, devant conduire avec une seule main.

Faute de moyens, elle renonce ultérieurement à l’achat d’une voiture automatique et maintient sa demande d’intervention pour ce qui est du vélo.

Un refus est notifié par l’AVIQ au motif que l’article 795, § 4 du Code réglementaire de l’action sociale et de la santé dispose que l’Agence n’intervient pas pour le renouvellement ou le remplacement des produits d’assistance en cas de vol ou d’incendie.

L’intéressée réexpose sa demande, qu’elle pense avoir été mal comprise. Elle rappelle qu’après le vol elle a pu subvenir elle-même au rachat d’un vélo et que l’objet de sa demande est d’un autre ordre, s’agissant d’adapter celui-ci pour de plus longues distances. Elle donne encore des explications complémentaires quant à la nécessité, pour elle, de cette adaptation.

L’AVIQ maintient sa décision de refus par courrier du 26 mai 2021, considérant que la demande est à analyser comme une demande de renouvellement.

Un recours est introduit par l’intéressée contre cette décision par requête remise au greffe du Tribunal du travail de Liège, division Namur, le 26 mai 2021.

Le jugement du tribunal du travail

Par décision du 7 juillet 2022, le premier juge a annulé la décision de l’AVIQ, faisant droit à la demande dans les limites des budgets disponibles. Il admet l’installation d’un système de freinage combiné avec sept vitesses et adaptation du guidon.

L’AVIQ interjette appel.

L’avis du ministère public

Le ministère public a remis un avis écrit.

Sa position est nuancée, étant d’une part que la demande doit être déclarée non fondée pour le frein sur la poignée avant gauche et l’extension du nombre de vitesses à plus de sept, s’agissant d’une demande de renouvellement et l’intéressée n’établissant pas qu’elle est dans une des situations de l’article 795, § 2 du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de l’autre que la demande doit être déclarée fondée dans son principe pour l’adaptation du guidon (ajout de pièces permettant au moignon de prendre appui sur celui-ci, s’agissant d’une nouvelle adaptation qui satisfait aux conditions légales).

Il estime qu’une réouverture des débats est nécessaire aux fins d’examiner le devis déposé.

La décision de la cour

La position de la demanderesse originaire ayant varié en cours de procédure, la cour examine d’abord la régularité de la modification de la demande. Plusieurs demandes d’adaptation ont en effet été introduites, et ce sur la base de devis différents.

La cour note que seule est en discussion la dernière demande, s’agissant d’un devis pour l’adaptation du guidon ainsi que pour l’amplification des vitesses, d’un montant global de 4 112,30 €.

Il s’agit d’adaptations différentes de celles visées dans la demande initiale.

L’AVIQ considérant que cette modification n’est pas recevable, la cour constate que sa position n’est pas claire, ne pouvant déterminer s’il s’agit d’une contestation de la régularité de la demande nouvelle ou de l’absence de préalable administratif.

Elle considère que la demande maintenue par l’intéressée a un lien avec les faits évoqués dans l’acte introductif d’instance et estime que celle-ci est recevable.

Pour ce, elle renvoie à plusieurs décisions de la Cour de cassation, dont celle du 27 septembre 2010 (Cass., 27 septembre 2010, S.09.0080.F) relative à l’exigence du préalable administratif.

S’appuyant sur de nombreuses références jurisprudentielles et doctrinales, elle retient également que dès lors que la demande a pour objet la contestation d’une procédure administrative préalable et qu’elle est recevable à ce titre, celle-ci peut être tranchée sur la base d’éléments de preuve qui n’ont pas été soumis à l’administration en prenant en compte des faits nouveaux survenus en cours d’instance. De même, la demande peut être étendue aux conditions énoncées par le Code judiciaire et spécialement son article 807 à un objet nouveau (l’arrêt citant C. trav. Liège, 3 août 2015, inédit, R.G. 2014/AL/653).

Les parties peuvent donc étendre ou modifier l’objet de la demande initiale pour autant qu’elles n’en modifient pas la cause. Par cause de la demande il faut entendre l’ensemble des faits et des actes à la base du litige qui sont invoqués par le demandeur à l’appui du droit dont il réclame la reconnaissance (avec renvoi à C. trav. Mons, 6 février 2012, RG 2011/AM/68).

La cour souligne également, avec notamment un rappel de l’arrêt de la Cour de cassation du 10 novembre 2006 (Cass., 10 novembre 2006, C.06.0274.N), que l’article 807 du Code judiciaire ne requiert pas que la demande nouvelle soit exclusivement fondée sur un fait ou un acte invoqué dans la citation.

L’exception d’irrecevabilité étant rejetée, elle en vient aux principes en matière d’aide individuelle à l’intégration, question traitée essentiellement aux articles 260, 263 et 278 du Code wallon de l’action sociale et de la santé – Partie décrétale ainsi que 784 à 786, 795 et 796 du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé.

A propos de ces dispositions, se pose la question de savoir comment interpréter l’article 786 du Code réglementaire, qui vise les « frais supplémentaires » à ce qu’une personne valide encourt dans des circonstances identiques.

La cour du travail rappelle ici l’arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 2015 (Cass., 16 mars 2015, S.14.0049.F), qui a interprété la notion. Dans ses conclusions précédant cet arrêt, M. l’Avocat général GENICOT avait précisé que deux conditions sont posées pour l’intervention de l’institution, étant non seulement la nécessité de travaux en raison du handicap mais également un dépassement des dépenses que, selon lui, l’on pourrait définir comme excédant les limites de la norme habituellement admise par référence aux aménagements de même type pour une personne valide.

La cour rappelle ensuite un arrêt célèbre rendu par la Cour du travail de Bruxelles le 5 février 2018 (C. trav. Bruxelles, 5 février 2018, 2015/AB/824 – précédemment commenté) à propos de remplacement d’escaliers dans une habitation privée. Pour cette cour du travail, la circonstance que les nouveaux escaliers n’étaient pas des escaliers « hors normes » mais au contraire étaient entrés dans les usages généralement admis n’empêche qu’ils sont nécessaires en raison du handicap et que leur installation engendre des frais supplémentaires à ce qu’une personne valide encourt dans des circonstances identiques.

De même pour l’installation d’un système de climatisation (C. trav. Liège (div. Liège), 9 mars 2016, RG 2015/AL/279).

Elle aborde dès lors la question des adaptations sollicitées par la demanderesse originaire, relevant encore l’article 786, § 4, du Code réglementaire, selon lequel lorsqu’un choix est possible entre plusieurs solutions équivalentes en termes de fonctionnalités, le montant de l’intervention de l’AVIQ équivaut au coût de la solution la moins onéreuse.

Soulignant que sont visés par le texte légal les frais nécessaires aux activités de la personne handicapée - ceci incluant sa participation à la vie en société -, la cour fait un premier constat, étant que le fait de pouvoir se déplacer à vélo, et ce même par pur loisir, rencontre l’exigence de nécessité pour les activités et/ou la participation de la vie en société.

L’AVIQ ne prouvant pas qu’il y aurait des solutions équivalentes en termes de fonctionnalités qui seraient moins onéreuses, la cour note également qu’il n’y a pas, pour l’adaptation du guidon, d’interdiction au sens de « prothèses » tel que visé à l’article 796, 9° du Code réglementaire.

Elle renvoie encore aux conclusions de M. l’Avocat général MORMONT précédant l’arrêt de la Cour de cassation du 12 juin 2023 (Cass., 12 juin 2023, S.22.0011.F), selon qui dans l’espèce soumise à la Cour suprême la question qui se posait n’était pas de savoir si une prestation demandée sur la base de l’article 796/6 est prévue par celui-ci ou celles auxquelles il renvoie mais uniquement si elle n’est pas expressément exclue. La disposition vise en effet à accorder des interventions hors du cadre de l’annexe 82 au Code réglementaire wallon, visant ainsi à compléter la liste des prestations d’aide individuelle pour prendre en compte des besoins spécifiques que la liste n’aurait pas ou n’aurait qu’insuffisamment rencontrés. Peuvent, en conséquence, selon lui, être admis les produits non homologués et non repris dans la classification ISO.

La cour ordonne une réouverture des débats pour permettre à l’AVIQ de rencontrer ces considérations.

Elle juge cependant d’ores et déjà que la demande n’apparaît ni déraisonnable ni abusive et que ce qui est demandé constitue des frais supplémentaires à ce qu’une personne valide encourt dans des circonstances identiques.

Dans le cadre de la réouverture des débats, l’AVIQ, qui n’intervient que dans les limites des crédits budgétaires en vertu de l’article 785 du Code réglementaire, aura à s’expliquer sur les montants susceptibles de revenir concrètement à l’intéressée.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be