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La qualité de représentant de commerce peut-elle être retenue dès lors que les clients passent directement commande chez l’employeur via son site Internet ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 2 juillet 2024, R.G. 2021/AB/617

Mis en ligne le mercredi 12 mars 2025


Cour du travail de Bruxelles, 2 juillet 2024, R.G. 2021/AB/617

Terra Laboris

Résumé introductif

Le représentant de commerce est celui qui prospecte ou visite des personnes ou des établissements qui sont des clients ou qui peuvent le devenir et qui conclut ou à tout le moins négocie avec eux des affaires.

Cette activité doit être exercée en-dehors de l’entreprise.

Le fait que le client passe directement commande auprès de l’entreprise et non auprès du représentant n’infirme pas nécessairement la qualité de représentant de commerce : c’est le but de l’activité de l’employé qui est déterminant.

Dispositions légales

  • Articles 4, 88, 101 et 105 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail

Analyse

Faits de la cause

Une entreprise de distribution de produits destinés à des professionnels de divers secteurs (notamment des matériaux et produits divers pour des entreprises du secteur de la construction, de l’industrie automobile, du transport et d’autres branches industrielles) a engagé une employée en février 2012 en qualité de représentante de commerce. Celle-ci se verra licencier par courrier recommandé du 24 avril 2017 moyennant un délai de préavis de trois mois et 13 semaines, le motif figurant sur le document C4 étant un rendement insuffisant.

Suite à la rupture du contrat, l’intéressée postule, via son organisation syndicale, une indemnité d’éviction de quatre mois de rémunération.

Les parties restant opposées sur le règlement de cette demande, une procédure est introduite devant le tribunal du travail du Brabant wallon, division Wavre.

La procédure

La requête vise la condamnation de la société au paiement d’une indemnité d’éviction ainsi que d’un euro provisionnel pour toutes autres sommes qui resteraient dues suite aux relations de travail. Ce chef de demande tombera en cours d’instance.

Le jugement du tribunal du travail

Le tribunal statua par jugement du 29 juin 2021, faisant droit à la demande en totalité.

La société interjette appel.

La décision de la cour

La cour reprend le cadre des principes relatifs à l’indemnité d’éviction. Elle revient à la définition du représentant de commerce, au sens de l’article 4 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. Selon celui-ci, le représentant de commerce s’engage contre rémunération à prospecter et visiter une clientèle en vue de la négociation ou la conclusion d’affaires, sous l’autorité, pour le compte et au nom d’un ou de plusieurs commettants. Ceci ne vise pas le secteur des assurances.

La Cour de cassation enseigne, sur cet article 4, que le représentant est celui qui prospecte ou visite des personnes ou des établissements qui sont des clients ou qui peuvent le devenir et qui conclut ou à tout le moins négocie avec eux des affaires (Cass., 9 mai 2011, S.10.0117.F).

Le représentant de commerce peut être chargé de tâches d’une autre nature, à la condition que ceci soit accessoire.

Il en découle, pour la cour du travail, que plusieurs conditions sont requises pour que le travailleur ait la qualité de représentant. Il doit prospecter une clientèle et la visiter (ce qui implique des déplacements en dehors de l’entreprise), et ce en vue de la négociation et de la conclusion d’affaires.

La cour renvoie à plusieurs décisions de jurisprudence de la même cour (C. trav. Bruxelles, 29 septembre 2015, R.G. 2013/AB/924) sur la question des ordres passés directement auprès de l’entreprise sans passer par le représentant, cette situation ne signifiant pas nécessairement que celui-ci n’a pas la qualité de représentant.

Une autre condition doit encore être vérifiée, étant de savoir si le travailleur exerce cette fonction à titre principal. La cour renvoie sur cette question à un arrêt de la Cour constitutionnelle du 10 juillet 2014 (C. Const., 10 juillet 2014, n° 101/2014), où elle a décidé que l’article 101 de la loi du 3 juillet 1978, combiné avec les articles 4 et 88 de celle-ci, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en subordonnant le droit à l’indemnité d’éviction à la condition d’exercice de l’activité de manière constante, et ce eu égard à la situation du travailleur qui ne l’exercice pas de cette manière et qui occupe une fonction commerciale sédentaire.

Sur la question de la charge de la preuve de l’exercice de l’activité à titre principal, celle-ci repose sur le travailleur, la loi ne créant pas de présomption.

Il faut, cependant, pour la cour, également se référer aux articles 870 du Code judiciaire et 8.4 du nouveau Code civil (cette dernière disposition étant une règle procédurale et étant immédiatement applicable aux procédures en cours).

La cour poursuit son raisonnement en rappelant ensuite les conditions d’octroi de cette indemnité d’éviction, parmi lesquelles figure l’exigence de l’apport d’une clientèle et, à supposer celle-ci acquise, la possibilité pour l’employeur d’établir l’absence de préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail.

Cet apport est présumé, en vertu de l’article 105 de la loi, dès lors qu’existe une clause de non-concurrence. La cour précise encore qu’il y a ici une présomption, qui entraîne le renversement de la charge de la preuve.

En l’espèce, il convient dès lors de vérifier si l’employée remplissait toutes les conditions ci-dessus.

La cour puise dans le contrat de travail la confirmation de certains éléments. Ceux-ci sont relatifs à l’engagement lui-même, au secteur, à une liste de clients, à l’existence de déplacements, supposant une fonction itinérante, au paiement d’une commission et encore à l’absence d’autre tâche assignée à l’intéressée.

Elle confronte, ensuite, ces éléments aux conditions concrètes de l’exercice de la prestation de travail, rappelant que c’est à l’employée qu’incombe la charge de la preuve.

Celle-ci dépose à cet égard des déclarations de 11 clients, dont l’arrêt reprend l’essentiel, soulignant qu’elles ne peuvent avoir la force probante attachée à des témoignages, vu le non-respect de l’article 961 du Code judiciaire. Elle les retient cependant au titre de faisceau d’indices concordants permettant de renverser la présomption réfragable.

La question du paiement de commissions est soulignée, vu que leur montant excède souvent le salaire fixe. La cour y voit un indice supplémentaire de ce que l’employée concluait des affaires dans une mesure importante.

La qualité de représentant de commerce est dès lors retenue.

L’employeur faisant ensuite valoir notamment que des commandes étaient passées directement sur son site Internet, la cour considère qu’à partir du moment où l’employée négociait ou concluait les affaires, la question de savoir si la commande était passée sur un bon papier, sur la tablette du représentant ou sur le site Internet ou encore sur tout autre support n’est pas pertinente, dans la mesure où c’est le travail de la représentante (prospection, visite et négociation) qui a entraîné l’achat.

Reprenant la jurisprudence citée précédemment, la cour confirme que le fait que le client passe directement commande auprès de l’entreprise et non auprès du représentant n’infirme pas nécessairement la qualité de représentant de commerce : c’est le but de l’activité qui est déterminant.

Pour ce qui est du droit à l’indemnité d’éviction, l’employeur soutenant que l’intéressée n’aurait pas apporté de clientèle, la cour relève l’existence d’une clause de non-concurrence dans le contrat de travail. La société peut renverser celle-ci, étant qu’elle doit prouver l’absence d’apport de clientèle, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.…

La cour confirme le jugement.


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