Commentaire de Cass., 10 juin 2024, n° S.21.0088.F
Mis en ligne le mercredi 12 mars 2025
Cour de cassation, 10 juin 2024, n° S.21.0088.F
Terra Laboris
Dans un arrêt du 10 juin 2024, la Cour de cassation rejette un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Namur) du 21 septembre 2021, qui avait retenu que l’absence d’autonomie n’est pas un critère à prendre en considération pour déterminer la catégorie de bénéficiaire des prestations aux personnes handicapées, les règles habituelles en matière de cohabitation devant trouver à s’appliquer.
La Cour de cassation a été saisie d’un pourvoi contre un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Namur) du 21 septembre 2021 (R.G. 2020/AN/169).
Les antécédents
M.D., bénéficiaire de prestations aux personnes handicapées, s’est vu notifier en octobre 2019 une décision de révision d’office justifiée par un changement de situation de ménage. Il devait bénéficier ainsi d’une allocation de remplacement de revenus de catégorie A et d’une allocation d’intégration de catégorie 2.
Une seconde décision fut notifiée en novembre 2019 au motif d’un indu pour les mois de septembre et octobre.
Un recours fut introduit par l’intermédiaire de l’administrateur provisoire du demandeur, contestant les deux décisions.
Il demandait à être considéré comme relevant de la catégorie B.
Le jugement du tribunal
Par jugement du 7 décembre 2020, le Tribunal du travail de Liège, division Namur, dit la demande recevable mais non fondée.
Appel a été interjeté.
L’arrêt de la cour du travail du 21 septembre 2021
La cour rappelle en premier lieu que la catégorie A est réservée aux personnes handicapées qui n’appartiennent ni à la catégorie B ni à la catégorie C.
La catégorie B concerne les personnes handicapées qui soit vivent seules soit séjournent nuit et jour dans une institution depuis trois mois au moins sauf si elles appartenaient à la catégorie C auparavant.
Enfin, la catégorie C s’applique aux personnes qui soient sont établies en ménage soit ont un ou plusieurs enfants à charge.
La cohabitation distingue ainsi la catégorie A des catégories B et C.
La cour rappelle que le ménage est une forme particulière de cohabitation et que celle-ci est le fait que des personnes vivent sous le même toit et règlent principalement en commun les questions ménagères, définition qui est commune à plusieurs branches de la sécurité sociale.
Elle reprend ensuite les décisions de la Cour de cassation rendues à propos de ces deux conditions. C’est le rappel de l’exigence, dans la vie quotidienne, d’une communauté domestique. Aucun critère affectif, amoureux ou encore de nature sexuelle n’intervient dans cette notion et ne doit donc être pris en compte, selon la cour, pour la retenir ou l’exclure. Enfin, la cohabitation implique par elle-même une certaine durée.
La cour souligne également l’article 9, § 2, de l’arrêté royal du 22 mai 2003 concernant la procédure relative au traitement des dossiers en matière des allocations aux personnes handicapées, selon lequel les informations du Registre national des personnes physiques font foi jusqu’à preuve du contraire.
Elle examine ensuite les conditions concrètes du logement de l’appelant.
Celui-ci partage une habitation avec ses parents et un tiers, un « pacte de colocation » ayant été conclu entre eux. En vertu de celui-ci, il y a une participation équitable de chacun à l’entretien des biens (en location) ainsi que la prise en charge autonome des frais de nourriture et d’entretien. Les chambres sont des espaces privatifs au contraire des autres pièces. L’intéressé souligne qu’il a sa propre salle de bains.
La cour estime que l’organisation du logement n’est pas celle d’un logement totalement autonome. La condition (spatiale) de la cohabitation, qui implique la vie sous le même toit est dès lors remplie.
Elle retient également la condition économique, étant l’avantage économique et financier tiré de cette vie sous le même toit.
Enfin, pour ce qui est du règlement commun des tâches, activités et autres questions ménagères, elle considère que l’intéressé n’établit pas vivre en autonomie, son état de santé ne le permettant d’ailleurs pas.
En conclusion, l’appelant n’est pas en ménage avec une des personnes vivant sous le même toit et il n’a pas d’enfants à charge. Il devait donc être considéré comme relevant de la catégorie A. ainsi que l’a décidé l’État belge.
Un pourvoi a été introduit contre cet arrêt.
Le pourvoi
Le pourvoi contient un moyen unique de cassation, fondé sur les articles 6, § 1er, de la loi du 27 février 1987, 4 de l’arrêté royal du 6 juillet 1987 et 9, § 2, de l’arrêté royal du 22 mai 2003.
Reprenant les conditions de la cohabitation, il fait valoir que la définition générale doit être ajustée à la situation d’une personne handicapée. Le handicap suppose, par définition, un déficit d’autonomie. Une personne handicapée peut donc être considérée comme vivant seule même si elle ne vit pas en totale autonomie mais au sein d’une habitation partagée en raison de son handicap. Il faut une appréciation in concreto.
Lorsque les circonstances de la cause font que la cohabitation est destinée à combler le déficit d’autonomie de la personne handicapée, celle-ci ne peut suffire à l’écarter de la catégorie des personnes vivant seules. En appliquant en matière de statut d’une personne handicapée la notion légale de cohabitation, répondant – par définition – à des conditions non adaptées à la situation d’absence d’autonomie qui est constatée – l’arrêt n’est pas légalement justifié au regard des dispositions visées.
La décision de la Cour de cassation
La cour rejette le pourvoi.
Elle rappelle qu’en vertu des dispositions applicables (articles 2, 6, et 7, de la loi et article 4 de l’arrêté royal), le montant de l’allocation de remplacement de revenus varie en fonction de la situation familiale de la personne handicapée et non de sa perte d’autonomie. Pour déterminer la catégorie familiale aux fins de fixer le montant de la prestation sociale, le fait de vivre seul s’oppose à la cohabitation (dont la Cour rappelle la définition).
Elle conclut que la personne handicapée qui vit sous le même toit que ses parents et règle les questions ménagères principalement en commun ne vit pas seule et, partant, ne relève pas de la catégorie B quand bien même cette cohabitation serait destinée à combler un déficit d’autonomie.
Intérêt de la décision
Dans le secteur des prestations aux personnes handicapées, le « ménage » signifie vie en couple et donne lieu à l’octroi de l’allocation de la catégorie C.
La cohabitation ne peut donner lieu à la catégorie B, dans la mesure où celle-ci vise explicitement les personnes qui vivent seules. Elle implique dès lors l’octroi de l’allocation de la catégorie A.
Il y a ainsi lieu de vérifier si les conditions légales de la cohabitation sont remplies,ce que la cour du travail avait dûment constaté en l’espèce. Le pourvoi, essentiellement basé sur le critère de l’absence d’autonomie n’a pas abouti, la Cour de cassation renvoyant aux conditions légales strictes.
Soulignons plusieurs apports de la jurisprudence dans de telles hypothèses.
Un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 7 novembre 2022 a souligné que dans son arrêt du 24 février 2003 (n° S.01.0132.F), la Cour de cassation entérine d’une certaine manière sa jurisprudence développée en matière de chômage, notamment sur la notion de cohabitation, puisqu’elle considère qu’une personne qui vit sous le même toit que d’autres personnes mais sans ‘faire ménage commun’ avec eux ne relève pas de la catégorie A mais bien de la catégorie B (isolé), l’arrêt renvoyant également à C. const., 4 février 2021, n° 17/2021 (C. trav. Bruxelles, 7 novembre 2022, R.G. 2021/AB/714).
Pour ce qui est de la notion de ménage spécifiquement visée donnant lieu à la catégorie C, relevons un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Namur) du 19 janvier 2021 qui a précisé que selon l’article 7, § 3, de la loi du 27 février 1987, il y a lieu d’entendre par « ménage » toute cohabitation de deux personnes qui ne sont pas parentes ou alliées au premier, deuxième ou troisième degré. Il s’agit de la cohabitation de deux personnes qui vivent ensemble et forment un couple. Ces deux personnes qui vivent ensemble, même si elles cohabitent, c’est-à-dire mettent en commun principalement les questions ménagères, ne forment pas un ménage si elles ne vivent pas en couple (C. trav. Liège (div. Namur), 19 janvier 2021, R.G. 2020/AN/79).
De même, il a encore été jugé que la notion de ménage correspond à la cohabitation de deux personnes, non parentes ou alliées jusqu’au troisième degré, qui vivent ensemble et forment un couple. Ces derniers termes renvoient à la situation de personnes qui « vivent comme mari et femme ». Cette exigence de former un couple se déduit de l’origine historique du texte, ainsi que de la limitation de la notion de ménage à deux personnes et de la solidarité financière totale que la notion crée, celle-ci étant typique dans les autres branches de la sécurité sociale à la situation des personnes en couple (C. trav. Liège (div. Namur), 18 juin 2019, R.G. 2018/AN/119 (PDF - 330.1 ko).