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Droit espagnol : absence de mesure autorisant la prolongation du congé de maternité pour les familles monoparentales

Commentaire de C.J.U.E., 16 mai 2024, aff. n° C-673/22 (CCC c/ TESORERIA GENERAL DE LA SEGURIDAD SOCIAL ET INSTITUTO NACIONAL DE LA SEGURIDAD SOCIAL), EU:C:2024:407

Mis en ligne le mardi 18 mars 2025


C.J.U.E., 16 mai 2024, aff. n° C-673/22 (CCC c/ TESORERIA GENERAL DE LA SEGURIDAD SOCIAL ET INSTITUTO NACIONAL DE LA SEGURIDAD SOCIAL), EU:C:2024:407

(Décision commentée)

Dans un arrêt du 16 mai 2024, la Cour de Justice a rejeté, pour irrecevabilité, une demande d’un tribunal du travail espagnol tentant de puiser dans la directive 2019/1158 un fondement aux fins de faire corriger l’absence de mesure en droit interne autorisant la prolongation du congé de maternité pour les familles monoparentales.

Les faits

Une mère de famille monoparentale a donné naissance à un enfant le 5 novembre 2021. Elle est travailleuse salariée et a demandé le bénéfice de la prestation de maternité, ce qui lui a été accordé jusqu’au 24 février 2022.

Elle a alors sollicité une prolongation de ce congé vu sa situation de parent isolé, faisant valoir que la réglementation espagnole en matière de congé parental crée une discrimination à l’égard des enfants nés dans une famille monoparentale par rapport aux autres, dans la mesure où ils ne bénéficient pas de la période de 16 semaines pendant lesquelles le parent autre que la mère biologique s’occupe des enfants.

La demande a été rejetée, au motif qu’elle ne remplit pas les conditions légales. Pour l’administration, la loi générale sur la sécurité sociale détermine les parents bénéficiaires de manière individuelle et en respectant les conditions prévues. Cet octroi n’est pas automatique. Elle estime en outre que l’octroi d’office aux familles monoparentales aurait pour effet de créer une discrimination envers ces familles biparentales.

La procédure

Un recours a été introduit devant le Juzgado de lo Social numéro un de Séville (Tribunal du travail numéro un).

Le tribunal s’interroge sur la conformité du droit espagnol en matière de congé parental à la directive 2019/1158, dans la mesure où il n’est pas tenu compte de la situation spécifique des familles monoparentales.

Le juge national précise notamment que l’absence de toute disposition en droit espagnol en vue d’assouplir la réglementation pour les familles monoparentales se traduit par une réduction pour celles-ci du temps passé à s’occuper de leurs enfants.

Il interroge dès lors la Cour de justice.

Les questions préjudicielles

Le tribunal pose deux questions.

La première est de savoir si la réglementation espagnole est conforme à la directive 2019/1158, qui, s’agissant de déterminer les conditions d’accès au congé parental et les modalités précises de celui-ci, impose de prendre en compte la situation de l’enfant né au sein d’une famille monoparentale.

La seconde est de savoir si les conditions relatives à la prise de congé en raison de la naissance d’un enfant, ainsi que les conditions d’accès à la prestation financière correspondante et le régime du congé parental lui-même (en particulier l’éventuelle prolongation de la durée de celui-ci s’il n’existe aucun autre parent que la mère biologique) doivent être interprétées de manière souple conformément à la réglementation de l’Union, et ce vu l’absence de règles spécifiques prévues par le législateur espagnol.

La décision de la Cour

La Cour ne va pas examiner le fond de ces deux questions, limitant son appréciation à la recevabilité de la demande.

Elle procède en premier lieu à un rappel des règles lorsqu’une question préjudicielle est envisagée par le juge national.

La première est qu’il appartient au seul juge national saisi d’un litige d’apprécier la nécessité d’une question préjudicielle. Celle-ci doit cependant être nécessaire pour permettre à la juridiction de renvoi de rendre son jugement.

En conséquence, celle-ci est tenue d’expliciter le cadre factuel et réglementaire et de donner un minimum d’explications sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union en cause ainsi que le lien avec le litige. Il s’agit d’exigences cumulatives concernant le contenu de la demande de décision préjudicielle.

La Cour ne peut par contre refuser de statuer que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation de la règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige ou encore lorsque le problème est purement hypothétique ou que ne lui ont pas été donnés les éléments de fait et de droit nécessaire.

Après ce rappel, elle examine l’objet des questions préjudicielles, étant l’interprétation des règles du droit de l’Union régissant le congé parental prévu dans la directive 2019/1158 et en particulier son article 5, paragraphe 8, lu conjointement avec son considérant 37.

Une première question se pose, étant l’application rationne materiae de l’article 5. Il est en effet demandé une prolongation de 16 semaines du congé de maternité et la question porte sur le congé parental.

La Cour souligne que les notions de « congé parental », de « congé de paternité » et de « congé de maternité ont un sens précis et distinct dans le droit de l’Union.

Le congé parental est défini à l’article 5 de la directive 2019/1158, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, sous d), étant un « congé du travail de quatre mois pour les parents en raison de la naissance ou de l’adoption d’un enfant pour s’occuper de celui-ci, à prendre avant que l’enfant n’atteigne un âge déterminé pouvant aller jusqu’à huit ans ».

Le congé de paternité, en vertu de l’article 4, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, sous a) est « un congé du travail de dix jours ouvrables pour les pères ou, le cas échéant, pour les personnes reconnues comme second parent équivalent par la législation nationale, qui doit être pris à l’occasion de la naissance d’un enfant pour s’occuper de celui-ci ».

Le congé de maternité est, en vertu de l’article 8 de la directive 92/85, « un congé pour les travailleuses enceintes ou ayant accouché d’au moins 14 semaines continues, réparties avant et/ou après l’accouchement ».

Renvoyant à son arrêt RODRIGUEZ SANCHEZ (C.J.U.E., 16 juin 2016, Aff. n° C-351/14 (RODRIGUEZ SANCHEZ c/ CONSUM SOCIEDAD COOPERATIVA VALENCIANA), EU:C:2016:447), la Cour rappelle que le congé parental et le congé de maternité poursuivent des finalités différentes, le premier étant accordé aux parents afin de s’occuper de leur enfant et pouvant être pris jusqu’à un âge déterminé de celui-ci alors que le congé maternité assure la protection de la condition biologique de la femme et ses rapports avec son enfant pendant la période faisant suite à la grossesse et à l’accouchement.

L’arrêt précise ensuite que, en l’espèce, le président de la Cour a adressé une demande au juge national à cet égard, en vue de préciser quel congé était visé. La réponse de celui-ci a été que ces congés présentent une similitude évidente et que le congé de maternité confère une protection juridique privilégiée de la maternité. Il a également précisé que sa demande portait sur le point de savoir si la législation espagnole était conforme à la directive 2019/1158 dans la mesure où elle ne contient aucune disposition relative à la situation des familles monoparentales, et ce indépendamment de la question de la rémunération des congés en cause.

Pour la Cour, cette réponse ne clarifie pas le rapport entre la question et le litige.

L’article 5 de la directive 2019/1158 ne concerne pas le congé de maternité et ne régit donc pas la question de la prolongation de celui-ci en cas de famille monoparentale.

L’arrêt conclut sur ce point qu’il n’est pas établi que l’article 5 s’applique ratione matériae au litige et que, en conséquence, son interprétation n’est pas nécessaire pour statuer.

Se pose également une seconde question, relative à la recevabilité ratione temporis, la directive devant être transposée en droit interne pour le 2 août 2022 au plus tard. La demande de prolongation du congé datant du 22 février 2022, la Cour constate que cette demande de prolongation et la période elle-même sont antérieures à la date d’expiration du délai de transposition.

À la date des faits, le délai de transposition n’était dès lors pas expiré.
La Cour cite ici son arrêt du 15 mars 2001 (C.J.U.E., 15 mars 2001, Aff. n° 165/98 (MP c/ MAZZOLENI et INTER SURVEILLANCE ASSISTANCE SARL), EU:C:2001:162).
Elle ne peut que conclure à l’irrecevabilité des questions préjudicielles.

Intérêt de la décision

Un judicieux rappel est fait par la Cour des principes qu’elle a développés dans sa jurisprudence sur les conditions de la question préjudicielle. Elle pointe une double exigence quant au bien-fondé de celle-ci, étant que, si le juge national a toute liberté pour apprécier la nécessité de cette question, il est tenu d’une part d’exposer le cadre factuel et réglementaire du litige et de l’autre de donner « un minimum d’explication » sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont il demande l’interprétation ainsi que le lien avec la législation nationale applicable, étant le lien avec le litige.

Renvoi est fait dans l’arrêt à propos de ces exigences cumulatives au règlement de procédure de la Cour et à son arrêt C–430/19 (C.J.U.E., 4 juin 2020, Aff. n° 430/19 (SC C.F. SRL c/ A.J.F.P.M. et D.G.R.F.P.C), EU:C:2020:429).

Sur la nature du congé visé, la Cour a néanmoins - sans examiner le fond – repris les définitions de chacun d’entre eux ainsi que la finalité poursuivie.

Vu les écueils de la recevabilité, la question de fond – étant l’absence de dispositions nationales permettant la prolongation du congé de maternité – ne trouve donc ici pas (encore) de réponse.

Comme l’a esquissé la Cour, il semble que l’article 5 de la directive 2019/1158 ne puisse être invoqué. Rappelons que celui-ci vise le congé parental uniquement, ce qui est souligné dans l’arrêt.


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