Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 5 avril 2024, R.G. 2022/AL/449
Mis en ligne le mardi 18 mars 2025
C. trav. Liège (div. Liège), 5 avril 2024, R.G. 2022/AL/449
(Décision commentée)
Résumé introductif
En vertu du décret wallon relatif à la gestion et au paiement des prestations familiales du 8 février 2018, les enfants qui ont atteint l’âge de 18 ans à partir du 1er janvier 2019 peuvent se prévaloir du maintien du droit aux allocations familiales jusqu’à 21 ans (sauf exception). Les enfants qui ont atteint l’âge de 18 ans avant cette date restent soumis à l’ancienne réglementation, étant l’article 62 de la loi générale, qui limite le droit à 18 ans (sauf possibilité de prolongation).
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Les faits de la cause ont été repris dans le commentaire d’un premier arrêt rendu par la cour le 29 juin 2023. Ils peuvent très succinctement être repris comme suit : la caisse d’allocations familiales ayant, suite à la deuxième évaluation positive de son fils, notifié à la mère un refus d’allocations et l’ayant renvoyée vers l’ONEM, celle-ci essuya un refus de la part de cet organisme au motif que l’enfant ne disposait que d’un CESI et n’avait pas atteint l’âge de 21 ans.
Un recours fut introduit contre la décision de la caisse. L’ONEM a été mis à la cause par l’auditorat.
Les décisions rendues
Les jugements du tribunal
Trois jugements ont été rendus par le Tribunal du travail de Liège, division Liège.
Le premier a ordonné une réouverture des débats aux fins de vérifier une question d’égalité entre enfants, le deuxième a ordonné une nouvelle réouverture des débats sur la question du standstill ainsi que sur des questions évoquées par l’auditorat du travail et un troisième (jugement dont appel) du 22 septembre 2022 a conclu que la caisse avait respecté la réglementation et que, aucune demande d’allocation d’insertion n’ayant été introduite, l’ONEm n’était pas redevable de celles-ci.
Les décisions de la cour
L’arrêt du 29 juin 2023
Celui-ci est très documenté quant à l’évolution du régime, la situation étant rendue plus complexe vu que la période litigieuse est à cheval sur deux réglementations (loi générale du 19 décembre 1939 d’une part et décret wallon relatif à la gestion et au paiement des prestations familiales du 8 février 2018 de l’autre).
La cour a repris l’évolution des règles relatives aux conditions d’accès aux allocations d’insertion, rappelant diverses modifications réglementaires.
Il en découle que, actuellement, le jeune n’a plus nécessairement directement droit aux allocations d’insertion à l’expiration de son stage d’insertion. S’il n’est pas titulaire de l’un des titres visés par la réglementation, il perd par ailleurs son droit aux allocations familiales après la période de 360 jours civils (éventuellement prolongée de la durée de la prolongation du stage d’insertion jusqu’à la deuxième évaluation positive).
La cour a rejeté que la réglementation nouvelle soit contraire au principe du standstill, estimant que la règle était raisonnablement justifiée.
Pour cette période, elle a cependant constaté une lacune dans le texte, mais a conclu qu’elle ne peut la combler eu égard au principe de la séparation des pouvoirs.
Pour la seconde période, qui couvre uniquement le mois de janvier 2019 (la période totale allant du 1er octobre 2018 au 31 janvier 2019), la cour a constaté que la seule question à examiner est celle de savoir si le fils de la demanderesse se trouvait ou non dans une des situations visées à son article 3. Celui-ci vise essentiellement différentes hypothèses en cas de perte de capacité de gain de l’attributaire.
L’arrêt du 5 avril 2024
La cour résume la position des parties.
La mère considère que les nouvelles dispositions sont applicables pour la période de janvier 2019 et que son fils ne relevait d’aucun des cas d’exclusion prévus par l’article 3. Elle demande à la cour de conclure au fondement de l’appel.
INFINO (ASBL INFINO Wallonie) plaide que l’article 62 de la loi générale continue à s’appliquer après l’entrée en vigueur du décret wallon pour les enfants qui ont atteint l’âge de 18 ans avant le 1er janvier 2019, l’article 5 du décret wallon ne s’appliquant quant à lui qu’aux enfants qui atteignent l’âge de 18 ans à partir de cette date.
Le jeune étant né en 1998, il reste soumis à l’article 62 et n’avait dès lors plus droit aux allocations familiales depuis le 30 septembre 2018. L’ASBL demande à la cour de conclure à la confirmation du jugement.
Quant à l’ONEM il se réfère à justice.
La cour reprend ensuite les dispositions applicables, étant les articles 120, 121 et 136 du décret wallon, ainsi que l’exposé des motifs de celui-ci.
En vertu de ces dispositions, les enfants qui ont atteint l’âge de 18 ans à partir du 1er janvier 2019 peuvent se prévaloir du maintien du droit aux allocations familiales jusqu’à 21 ans en vertu de la nouvelle réglementation (hors exceptions non visées ici).
Les enfants qui ont atteint l’âge de 18 ans avant cette date restent soumis à l’ancienne réglementation, étant l’article 62 de la loi générale, qui limite le droit à 18 ans (sauf possibilité de prolongation).
L’enfant entre dans cette seconde catégorie. La mère ne peut dès lors prétendre à des allocations familiales jusqu’à 21 ans en vertu du nouveau régime fut-ce pendant un seul mois.
Elle confirme dès lors le jugement.
Intérêt de la décision
Dans le commentaire fait sous l’arrêt du 29 juin 2023, nous rappelions l’arrêt de la Cour de cassation du 5 novembre 2020 (Cass., 5 novembre 2020, C.18.0541.F), reprenant la jurisprudence de la Cour sur les pouvoirs du juge en vertu de l’article 159 de la Constitution.
La cour du travail a retenu dans son arrêt du 29 juin 2023 qu’une lacune existait dans la loi générale relative aux allocations familiales mais que le juge ne peut y remédier, cette lacune devant être corrigée par le législateur.
L’arrêt du 5 avril 2024 ne modifie pas cette conclusion.