Commentaire de C. trav. Bruxelles, 22 août 2024, R.G. 2023/AB/123
Mis en ligne le jeudi 20 mars 2025
C. trav. Bruxelles, 22 août 2024, R.G. 2023/AB/123
Résumé introductif
En droit belge, il faut distinguer l’année ouvrant le droit aux vacances et celle pendant laquelle elles sont prises. Le droit à des vacances est en effet constitué pendant une année donnée et pourra être exercé l’année suivante.
Tant les travailleurs à plein temps que ceux à temps partiel ont droit à des vacances annuelles proportionnelles à leurs prestations de travail.
En cas de passage d’un temps plein à un temps partiel, le droit européen s’oppose à une législation nationale qui aboutit à réduire le droit à des vacances à temps plein en fonction du régime de travail à temps partiel.
L’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux a un effet horizontal (entre particuliers), le droit à des vacances annuelles avec maintien du salaire étant un principe phare du droit social de l’Union.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Un travailleur est occupé à temps plein en qualité d’ouvrier auprès d’une société depuis le 1er juin 2017.
Sa fiche de salaire du mois de janvier 2019 fait apparaître un montant de 140,6 heures de vacances, ce qui correspond à 20 jours conformément à une attestation de l’ONVA. Il prend deux jours en janvier, soit 14,8 heures, ce qui laisse subsister un reliquat de 125,8 heures à la fin de ce mois.
Il tombe en incapacité du 24 février au 26 mai et reprend le travail le 27 mai avec l’autorisation de sa mutuelle, à temps partiel dans un premier temps selon un horaire de 18h30 par semaine, soit la moitié d’un temps plein.
Sa fiche de paie du mois de juin reprend un solde de vacances de 62,9 heures, soit la moitié du montant repris précédemment (125,8), alors qu’il n’a pas pris de vacances depuis le mois de janvier.
Des discussions interviennent entre le service juridique de son organisation syndicale et le secrétariat social.
Le syndicat considère que l’intéressé est en droit de prétendre à des jours de vacances sur la base d’un temps plein. Le secrétariat social exprime son désaccord quant à cette position.
Une procédure est dès lors introduite devant le Tribunal du travail de Louvain.
Le jugement du tribunal du travail
Le tribunal a tranché par jugement du 16 décembre 2020, déboutant le travailleur.
Suite à l’appel interjeté par celui-ci, la Cour du travail de Bruxelles est saisie et rend l’arrêt commenté.
Position des parties devant la cour
L’appelant invoque à la fois la législation belge et le droit européen en matière de vacances ainsi que le droit de la discrimination.
Il demande d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne, invoquant l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, en vue de vérifier si celle-ci s’oppose à une réglementation ou à une pratique nationale en vertu de laquelle un travailleur qui a constitué au cours d’une année X des droits aux vacances à temps plein et passe, l’année suivante, à un système de reprise progressive du travail - et reste donc partiellement en incapacité de travail - doit voir ses heures de vacances proratisées en fonction du régime d’occupation effective. Il renvoie ici à l’article 2 des lois coordonnées en matière de vacances annuelles du 28 juin 1971 et à l’article 35 de l’arrêté royal du 30 mars 1967.
À titre subsidiaire, il fait état d’une discrimination prohibée. Il sollicite également l’octroi d’une indemnité forfaitaire de 750 € afin de réparer le dommage moral et matériel.
La position de l’employeur est que, dans la situation soumise à la cour, les droits constitués en 2018 et à exercer en 2019 doivent, vu la reprise du travail à temps partiel, être réduits à concurrence du pourcentage d’occupation effective. Il faut procéder à une « proratisation ». Cette manière de voir n’est, pour lui, pas contraire au droit européen.
Avis du ministère public
Le ministère public a rendu un avis écrit, allant dans le sens de dire pour droit que l’intéressé est en droit de bénéficier, pour l’année de vacances 2019, de la totalité des jours de vacances constitués sur la base de son occupation à temps plein dans le courant de l’année 2018.
L’arrêt de la cour
La cour rappelle que la législation belge distingue l’année ouvrant le droit aux vacances et celle pendant laquelle elles sont prises. Le droit à des vacances est ainsi constitué pendant une année donnée et pourra être exercé l’année suivante.
Elle reprend les dispositions légales, étant les lois coordonnées du 28 juin 1971 (article 3, 1er et 2e alinéas) ainsi que l’arrêté royal du 30 mars 1967 (articles 3 et 35, § 1er).
En vertu de ces dispositions, le droit aux vacances est organisé selon un principe de proportionnalité, ce qui, pour la cour, ressort en outre de l’article 2, § 1er, des lois sur les vacances annuelles, qui précise que tant les travailleurs occupés à plein temps que ceux occupés à temps partiel ont droit à des vacances annuelles proportionnelles à leurs prestations de travail.
Référence est faite aux « prestations de travail », étant voulue une proportionnalité entre la durée des vacances du travailleur et les prestations effectives ou assimilées de celui-ci au cours de l’année ouvrant le droit aux vacances.
La cour relève qu’il n’est pas contesté que pendant celle-ci l’intéressé a travaillé à temps plein et que la position du premier juge, qui fixe ce droit aux vacances en fonction du régime de travail effectif de l’année 2019, n’a pas de fondement légal. La solution retenue par le tribunal n’est qu’une proposition qui avait été faite par le Conseil national du travail (avis n°1.317 du 18 juillet 2000) mais ceci n’a pas été retenu par le législateur.
Elle se tourne ensuite vers la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont elle rappelle l’article 31, § 2, ainsi que la Directive 2003/88/CE en son article 7, paragraphe 1, pour rappeler la jurisprudence constante de la Cour de justice, pour qui les vacances annuelles avec maintien du salaire doivent être considérées comme un principe particulièrement important du droit de l’Union, dont l’on ne peut s’écarter et que les autorités nationales compétentes ne peuvent exécuter que dans le cadre des limites expresses de la directive.
La cour du travail rappelle ici l’arrêt du 22 avril 2010 (C.J.U.E., 22 avril 2010, Aff. n° C-486/08 (ZENTRALBETRIEBSRAT DER LANDESKRANKENHÄUSER TIROLS c/ LAND TIROL), EU:C:2010:215), où la Cour de Justice a jugé que ce principe particulièrement important ne peut pas être traduit de manière restrictive, l’objectif du droit en cause étant de permettre au travailleur de bénéficier d’une période de repos et de temps libre. Le travailleur doit toujours pouvoir en bénéficier dans des conditions normales et ce repos ne peut être remplacé par une compensation financière que dans le cas de la fin de la relation de travail.
Elle reprend également l’enseignement de la Cour de justice dans une ordonnance du 13 juin 2013 (C.J.U.E. (Ord.), 13 juin 2013, Aff. n° C-415/12 (BIANCA BRANDES c/ LAND NIEDERSACHSEN), EU:C:2013:398). La Cour y a rejeté l’argument selon lequel le travailleur qui n’est plus tenu à des prestations de travail tous les jours de la semaine doit être libéré de ses obligations pendant un nombre de jours moindre pour pouvoir bénéficier d’une phase de repos aussi longue qu’auparavant. Pour la Cour de Justice, ceci confond la phase de repos correspondant à l’exercice d’une plage horaire de congé effectif et l’inactivité professionnelle normale durant une plage horaire pendant laquelle le travailleur n’est pas censé travailler. Est dès lors contraire au droit de l’Union une réglementation nationale selon laquelle le nombre de jours de congé annuel payé dont un travailleur occupé à temps plein a été dans l’impossibilité de bénéficier au cours de la période de référence fait l’objet, en raison du fait que ce travailleur est passé à un régime de travail à temps partiel, d’une réduction proportionnelle à la différence existant entre le nombre de jours de travail hebdomadaire effectués par ce travailleur avant et après un tel passage à temps partiel.
La cour du travail se réfère à l’avis du ministère public, qui s’est également fondé sur le droit de l’Union pour considérer qu’en cas de passage d’un temps plein à un temps partiel celui-ci s’oppose à une législation nationale qui aboutit à réduire le droit à des vacances à temps plein en fonction du régime de travail à temps partiel. Pour l’Avocat général, le droit belge doit être interprété conformément à cet enseignement.
Elle souligne encore qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’un passage d’un temps plein à un temps partiel mais d’une reprise du travail progressive, dans le cadre de la législation AMI (article 100, § 2, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 et article 31/12 la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail). Cette circonstance n’enlève rien à l’enseignement de la jurisprudence de la Cour de justice. Celui-ci ne doit pas être différent selon que la réduction du temps de travail n’est pas la conséquence d’un libre choix du travailleur mais est due à son état de santé. Est visée une « diminution du nombre d’heures », ce qui est le cas dans l’hypothèse de la reprise partielle du travail.
L’employeur plaidant ensuite que les principes ci-dessus n’ont pas d’effet horizontal, une directive n’ayant pas d’effet direct entre particuliers, la cour répond que cet effet horizontal a été reconnu pour l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux vu que le droit à des vacances annuelles avec maintien du salaire est un principe phare du droit social de l’Union.
Cet effet horizontal direct vaut pour la période minimale de quatre semaines de vacances annuelles avec maintien du salaire mais non pour des droits qui excéderaient ceci.
Dans les litiges opposant des particuliers, le juge national est donc obligé de veiller à la pleine efficacité du droit aux vacances annuelles avec maintien du salaire et, si nécessaire, il doit écarter toute règle interne en contradiction avec celui-ci.
Dès lors que l’article 35, § 2, de l’arrêté royal du 30 mars 1967 ou une autre disposition du droit belge prévoirait la diminution du droit aux vacances annuelles, dans cette hypothèseune telle réglementation devrait être écartée.
Elle fait dès lors droit à la demande du travailleur et réforme le jugement.