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Prestations aux personnes handicapées : étendue de l’obligation d’information du bénéficiaire d’allocations quant à sa situation familiale

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 19 juillet 2024, R.G. 2023/AN/124

Mis en ligne le jeudi 20 mars 2025


C. trav. Liège (div. Namur), 19 juillet 2024, R.G. 2023/AN/124

Résumé introductif

La modification de la catégorie de l’allocation pour personnes handicapées qui se produit dès lors qu’un élément de la situation familiale change, ainsi le fait qu’un enfant à charge atteigne l’âge de 25 ans, peut intervenir sans effet rétroactif dès lors que le SPF Sécurité sociale a commis par le maintien de l’allocation à la catégorie antérieure une erreur au sens de l’article 17 de la Charte de l’assuré social.

Constitue une telle erreur - voire une faute - le fait pour celui-ci de ne pas en avoir tenu compte alors que cette information était accessible à tout moment et de s’être abstenu de revoir immédiatement le droit à l’allocation de remplacement de revenus, le Service devant tenir compte de l’anniversaire de l’enfant et revoir le dossier sans attendre – ce qui aurait empêché la création d’un indu.

Dispositions légales

  • Charte de l’assuré social – article 17
  • Arrêté royal du 22 mai 2003 relatif à la procédure concernant le traitement des dossiers en matière des allocations aux personnes handicapées – articles 20bis, 22 et 23
  • Arrêté royal d’exécution du 6 juillet 1987 relatif à l’allocation de remplacement de revenus et à l’allocation d’intégration – articles 1er, alinéa 1er, 6° et 4

Analyse

Faits de la cause

Une assurée sociale s’est vu reconnaître une réduction de sa capacité de gain à un tiers ou moins de celle d’une personne valide, par décision du SPF sécurité sociale du 26 février 2014.

Le 2 juillet 2019, celui-ci lui a octroyé une allocation de remplacement de revenus de catégorie C au motif qu’elle percevait des allocations familiales pour son fils âgé de moins de 25 ans.

Celui-ci a atteint cet âge le 19 septembre 2021.

Un an plus tard il déménagea et changea de domicile.

Le SPF prit alors une nouvelle décision le 26 septembre 2022, dans le cadre d’une révision d’office vu qu’elle n’avait plus d’enfant à charge et classa l’intéressée en catégorie A depuis le 25e anniversaire de son fils.

Une deuxième décision intervint le même jour, toujours dans le cadre de cette révision d’office, constatant, vu le changement dans la composition de ménage, une modification du droit à l’allocation, l’intéressée passant en catégorie B, et ce à partir du 5 septembre 2022 au motif qu’elle vivait seule

Une troisième décision fut alors prise un mois plus tard réclamant un indu pour la période d’octobre 2021 à septembre 2022.

Le recours devant le tribunal

Dans le cadre de son recours judiciaire, l’intéressée plaide que le SPF Sécurité sociale avait connaissance automatiquement de ces informations par simple consultation du registre national. Elle demande en conséquence l’annulation – ou à tout le moins la réformation – des décisions et sollicite l’octroi d’une ARR en catégorie B à partir du 1er octobre 2022, demandant au tribunal de ne pas reconnaître d’indu pour la période antérieure.

Le jugement du tribunal

Le Tribunal du travail de Liège (division Namur) a statué par jugement du 3 juillet 2023, faisant en totalité droit à la demande.

Le tribunal se fonde sur l’article 17, alinéa 2, de la Charte de l’assuré social. Le premier juge constate que l’intéressée n’était pas tenue de prendre l’initiative de rappeler au SPF que son fils avait atteint l’âge de 25 ans (information reprise dans l’attestation de la caisse d’allocations familiales au dossier ainsi qu’au registre national). La poursuite du paiement de l’allocation en catégorie C est le fruit d’une erreur dont l’intéressée ignorait l’existence, ne pouvant savoir qu’elle n’avait plus droit à l’allocation dans cette catégorie, son fils vivant toujours avec elle jusqu’au 5 septembre 2022.

La décision de la cour

Suite à l’appel du SPF tendant à obtenir la réformation du jugement et le maintien des décisions administratives, la cour statue par arrêt du 19 juillet 2024.

Elle reprend d’abord la position des parties.

Pour le SPF, les éléments auxquels s’est référé le tribunal (attestation de la caisse d’allocations familiales et Banque Carrefour) n’indiquent pas nécessairement quand le fils a eu 25 ans, le changement de catégorie n’étant apparu que lorsque la mère est devenue isolée. Celle-ci devait, en application de l’article 23 de l’arrêté royal du 22 mai 2003, l’informer de son changement de catégorie familiale, ce qu’elle n’a pas fait.

Quant à l’intimée, elle plaide que le SPF n’a modifié la catégorie familiale qu’un an après que son fils a atteint l’âge de 25 ans. Or, il était tenu de revoir d’office ses droits dès la survenance de cet élément nouveau, prévisible. La décision prise est erronée et elle ne pouvait se rendre compte de l’erreur, ayant continué à vivre avec son fils pendant un an et à l’assumer financièrement. Elle demande dès lors la confirmation du jugement, étant qu’elle peut prétendre aux allocations en catégorie B à partir du 1er octobre 2022 et qu’elle ne doit rien rembourser.

Pour déterminer les allocations auxquelles l’intéressée peut prétendre, la cour renvoie à la loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées et à son arrêté royal d’exécution du 6 juillet 1987 relatif à l’allocation de remplacement de revenus et à l’allocation d’intégration. Elle en reprend l’article 4, de ce dernier, qui fixe les catégories elles-mêmes ainsi que la définition de l’enfant à charge, telle que reprise à son article 1er, alinéa 1er, 6°.

L’article 22 de l’arrêté royal du 22 mai 2003 relatif à la procédure concernant le traitement des dossiers en matière des allocations aux personnes handicapées est également rappelé par la cour, étant précisé dans cette disposition qu’en cas d’erreur dû au Service la nouvelle décision prend effet le premier jour du mois qui suit sa notification si le droit à l’allocation est inférieur à celui reconnu initialement. Par ailleurs, figurent à l’article 23 les conditions de la révision d’office, qui intervient notamment lorsque le bénéficiaire n’a plus d’enfants à charge (fait ayant une influence sur la catégorie visée à l’article 6, al. 1er, de la loi).

Enfin, la cour reprend l’article 17 de la Charte de l’assuré social, disposition dont elle souligne qu’elle a fait l’objet d’interprétations divergentes.

La Cour constitutionnelle a donné dans un arrêt du 20 janvier 2010 (C. Const., 20 janvier 2010, n° 1/2010), qui a donné de la disposition une interprétation large quant àde son champ d’application. Celui-ci ne couvre pas uniquement la décision initiale mais également des erreurs commises par l’institution de sécurité sociale suite à une modification de la situation de l’assuré social. La cour fait sienne cette jurisprudence, rappelant également que la disposition ne vise pas les « décisions initiales » mais simplement les « décisions ». Est ainsi couverte la situation où l’institution de sécurité sociale n’a pas adapté le montant des prestations sociales versées suite à une modification de la situation familiale. Elle conclut que l’article 17 peut trouver à s’appliquer. à la présente cause.

En ce qui concerne les obligations de la personne handicapée, l’article 20bis de l’arrêté royal du 22 mai 2003 prévoit que celle-ci est dispensée de communiquer au Service des éléments nouveaux lorsqu’il s’agit de modifications aux informations visées à l’article 3, alinéa 1er, de la loi du 8 août 1983 organisant le registre national des personnes physiques (pour autant que ceci ait été signalé à l’administration communale) ainsi que tout nouvel élément (si celui-ci a déjà été communiqué à une autre institution de sécurité sociale).

La cour reprend longuement un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Namur) du 23 juin 2015 (R.G. 2014/AN/160), arrêt particulièrement motivé traitant d’une question identique. La cour y a rappelé le caractère d’ordre public de la Charte de l’assuré social et a considéré que le fait pour le SPF de ne pas avoir tenu compte du 25e anniversaire d’un enfant alors que cette information était accessible à tout moment et de s’être abstenu de revoir immédiatement le droit à l’allocation de remplacement de revenus est constitutif d’une erreur – voire d’une faute –, le Service devant tenir compte de l’anniversaire de l’enfant et revoir le dossier sans attendre – ce qui aurait empêché la création d’un indu. La circonstance que cette décision de maintien du taux antérieur est implicite et n’a pas été notifiée est indifférente. La cour a conclu à l’absence de rétroactivité de la décision.

Renvoi est également fait à un arrêt de la Cour du travail de Liège (division Neufchâteau) (C. trav. Liège (div. Neufchâteau), 12 avril 2023, R.G. 2022/AU/19), rendu également à propos de l’article 20bis de l’arrêté royal du 22 mai 2003 : dès lors que le SPF Sécurité sociale disposait des informations figurant au registre national, l’assuré social ne devait pas faire de déclaration et aucune faute ne peut lui être reprochée.

En la présente espèce, le SPF dispose d’une attestation établie par la caisse d’allocations familiales, qui contient notamment la date de naissance du fils. L’âge à laquelle il allait avoir 25 ans était donc une donnée connue. La mère a communiqué la date de naissance de son fils et n’était pas tenue de reprendre l’initiative d’une nouvelle communication quant à la date de son 25e anniversaire.

La cour confirme dès lors le jugement, la décision ne pouvant rétroagir et l’indu ne pouvant être réclamé.


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