Commentaire de C.J.U.E. (Gde Chbre), 29 juillet 2024, Aff. C-112/22 et 223/22 (CU et ND C/ PROCURA DELLA REPUBBLICA PRESSO IL TRIBUNALE DI NAPOLI, MINISTERO DELL’ECONOMIA E DELLE FINANZE et INPS), EU:C:2024:636
Mis en ligne le jeudi 20 mars 2025
C.J.U.E. (Gde Chbre), 29 juillet 2024, Aff. C-112/22 et 223/22 (CU et ND C/ PROCURA DELLA REPUBBLICA PRESSO IL TRIBUNALE DI NAPOLI, MINISTERO DELL’ECONOMIA E DELLE FINANZE et INPS), EU:C:2024:636
Résumé introductif
Les ressortissants de pays tiers résidents de longue durée bénéficient de l’égalité de traitement avec les nationaux en ce qui concerne la sécurité sociale, l’aide sociale et la protection sociale, telles que définies par la législation nationale.
Dès lors qu’une telle prestation entre dans le champ d’application de l’article 11, paragraphe 1, sous d) de la directive 2003/109, lu à la lumière de l’article 34 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’égalité de traitement est garantie.
Une mesure peut être considérée comme étant une discrimination indirecte sans qu’il soit nécessaire qu’elle ait pour effet de favoriser l’ensemble des ressortissants nationaux et ou de ne défavoriser que les seuls ressortissants de pays tiers, à l’exclusion de ceux-ci.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Deux ressortissantes de pays tiers résidant en Italie depuis plusieurs années (2012 et 2013 respectivement) ont été accusées par le ministère public d’infraction pénale, étant d’avoir fait de fausses déclarations sur la condition de 10 ans de résidence sur le territoire en vue d’obtenir une prestation sociale (le « revenu de citoyenneté »). Elles sont en conséquence poursuivies en vue d’obtenir leur condamnation au remboursement chacune d’un montant légèrement supérieur à 3000 €.
La juridiction de renvoi s’est interrogée sur la conformité de la législation nationale au droit de l’Union, vu l’exigence, pour ces prestations d’aide sociale (minimum de subsistance) de la condition de résidence de 10 ans, dont les deux dernières de manière continue : pour le juge italien, il y aurait un traitement défavorable à l’égard de ces personnes, y compris celles qui sont titulaires d’un permis de séjour de longue durée, et ce par rapport aux nationaux.
Ces prestations sociales relèvent en effet de l’un des trois domaines visés à l’article 11, paragraphe un, sous d) de la directive 2023/109 (sécurité sociale, aide sociale et protection sociale) tels que définis par la législation nationale. En outre, le juge constate que l’exception du paragraphe 4 de cette disposition n’est pas pertinente dès lors que l’État italien n’a pas limité l’égalité de traitement aux prestations essentielles. Une telle limitation, au demeurant, ne serait pas conforme à la directive 2003/109 dans la mesure où ce revenu de citoyenneté constitue un niveau de prestations essentielles dans les limites des ressources disponibles.
Le juge italien renvoie à plusieurs arrêts de la Cour de justice, dont l’arrêt KAMBERAJ (C.J.U.E. (Grande Chambre), 24 avril 2012, Aff. n° C-571/10 (KAMBERAJ c/ ISTITUTO PER L’EDILIZIA SOCIALE DELLA PROVINCIA AUTONOMA DI BOLZANO (IPES) ET ALII), EU:C:2012:233), où elle a jugé que n’est pas conforme au droit européen une réglementation nationale qui prévoit pour l’octroi d’une aide au logement un traitement différent pour un ressortissant d’un pays tiers bénéficiaire du statut de résident de longue durée par rapport aux nationaux.
La juridiction italienne constate que la Cour de justice ne se serait pas prononcée encore sur la question de savoir si une disposition nationale qui prévoit l’octroi d’un revenu de citoyenneté aux seuls demandeurs qui remplissent une condition de résidence telle que celle visée est conforme au droit de l’Union, dans la mesure où l’illégalité éventuelle de cette condition entraînerait la disparition de l’élément matériel de l’infraction pénale concernée. Il conclut qu’une réponse à ces questions serait nécessaire afin de pouvoir statuer.
Il pose dès lors des questions identiques dans les affaires (jointes) sur la conformité de la législation italienne aux articles 18 et 45 TFUE, 7 § 2 du Règlement n° 492/2011, 11, § 2 sous d) de la directive 2003/109, 29 de la directive 2011/95, 34 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et 30 et 31 de la Charte sociale européenne.
La position de du gouvernement italien
Le gouvernement italien conteste la compétence de la Cour de justice, au motif que le revenu de citoyenneté ne serait pas une mesure de protection sociale ni d’assistance sociale mais qu’il aurait simplement pour objectif d’assurer un certain niveau de revenus, constituant une mesure complexe visant surtout à favoriser l’inclusion sociale et la réintégration sur le marché du travail.
La décision de la Cour
Pour la Cour, des instruments européens sont visés, leur interprétation étant demandée. Ceci justifie qu’elle se déclare compétente, sauf pour l’interprétation de la Charte sociale européenne.
Sur le fond, elle rappelle qu’elle peut reformuler les questions soumises en extrayant de l’ensemble des éléments fournis (dont la motivation) les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige. Il faut, vu la nature des questions, vérifier si l’article 11, paragraphe un, sous d) de la directive 2003/109, lu à la lumière de l’article 34 de la Charte, s’oppose à une réglementation telle que celle qui lui est soumise.
Elle souligne que les résidents de longue durée bénéficient de l’égalité de traitement avec les nationaux en ce qui concerne la sécurité sociale, l’aide sociale et la protection sociale telles que définies par la législation nationale.
La volonté du législateur de l’Union est de respecter les différences qui subsistent entre les Etats membres quant à la définition et à la portée exacte des notions en cause. Ceci vaut pour la sécurité sociale, l’aide sociale et la protection sociale. Les Etats membres ne peuvent cependant porter atteinte à l’effet utile de la directive 2003/109 lors de l’application du principe d’égalité de traitement. Celle-ci respecte d’ailleurs les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par la Charte. Les Etats membres doivent en conséquence respecter les droits et principes de la Charte, notamment son article 34.
Son paragraphe 3 précise, afin de lutter contre l’exclusion sociale et la pauvreté, que l’Union – et donc les Etats membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union – reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à une aide au logement destiné à assurer une existence digne à tout qui ne dispose pas de ressources suffisantes, selon les règles établies par le droit de l’Union et les législations et pratiques nationales (rappel de l’arrêt KAMBERAJ, point 80). Il appartient dès lors à la juridiction de renvoi de déterminer si le revenu de citoyenneté en cause constitue une prestation sociale relevant de la directive.
Elle relève que la juridiction italienne a constaté dans ses demandes de décision préjudicielle qu’il s’agit effectivement d’une prestation d’assistance sociale qui relève dans des trois domaines visés à l’article 11 paragraphe 1, sous d).
Vu la répartition des compétences entre les juridictions de l’Union et les juridictions nationales, la Cour rappelle qu’elle doit tenir compte du contexte factuel et réglementaire dans lequel s’inscrivent les questions préjudicielles et que, quelles que soient les critiques émises par le gouvernement d’un État membre en ce qui concerne l’interprétation du droit, il n’appartient pas à la Cour d’en vérifier l’exactitude.
Dès lors que la prestation entre dans le champ d’application de l’article 11, paragraphe 1, sous d) de la directive 2003/109, lu à la lumière de l’article 34 de la Charte, le principe d’égalité de traitement pour ce qui est des prestations essentielles est garanti. Elle puise encore dans ses considérants 2, 4, 6 et 12 la confirmation que celle-ci vise à garantir l’intégration des ressortissants de pays tiers installés durablement et légalement dans les Etats membres et, à cette fin, à rapprocher les droits de ceux-ci de ceux des nationaux notamment dans un large éventail de domaines économiques et sociaux. Le statut de résident de longue durée permet ainsi à la personne qui en bénéficie de jouir de l’égalité de traitement dans les domaines visés à l’article 11.
La cour s’appuie également sur les conclusions de M. l’Avocat général, selon lesquelles un tel statut correspond au niveau d’intégration le plus abouti pour les ressortissants de pays tiers et qu’il justifie que leur soit garantie l’égalité de traitement pour les trois domaines visés.
La condition de 10 ans s’appliquant tant aux ressortissants de pays tiers résidents de longue durée qu’aux Italiens, mais cette condition défavorisant les ressortissants des pays tiers par rapport aux nationaux qui résident en Italie et qui n’ont pas quitté le territoire de cet État membre pour résider de manière prolongée à l’étranger (constatation du juge de renvoi), il y a lieu de vérifier si la condition aboutit à une différence de traitement constitutive d’une discrimination indirecte.
Une mesure peut en effet être considérée comme étant une discrimination indirecte sans qu’il soit nécessaire qu’elle ait pour effet de favoriser l’ensemble des ressortissants nationaux et ou de ne défavoriser que les seuls ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, à l’exclusion de ceux-ci.
Elle conclut qu’il y a une discrimination indirecte.
Si celle-ci en principe est prohibée, elle peut néanmoins être objectivement justifiée, c’est-à-dire propre à garantir la réalisation d’un objectif légitime et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre celui-ci. La Cour vérifie dès lors les explications données par le gouvernement italien à cet égard et ne les retient pas.
Elle conclut que la condition est contraire à l’article 11 paragraphe 1, sous d).
Sa réponse est dès lors que celui-ci s’oppose à la réglementation d’un État membre qui subordonne l’accès des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée à une mesure de sécurité sociale, d’aide sociale ou de protection sociale à la condition, qui s’applique également aux ressortissants de cet État membre, d’avoir résidé sur le territoire de celui-ci depuis au moins 10 ans, dont les deux dernières années de manière continue et qui punit d’une sanction pénale toute fausse déclaration concernant ces conditions.