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Allocations familiales : conditions du supplément social en cas de vie commune

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 19 avril 2024, R.G. 2023/AL/332

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2025


C. trav. Liège (div. Liège), 19 avril 2024, R.G. 2023/AL/332

Résumé introductif

Pour l’octroi du supplément social d’allocations familiales, en cas de cohabitation avec un tiers dûment vérifiée, ne doivent être pris en compte que les revenus perçus par l’allocataire et la personne avec laquelle elle a formé un ménage pendant la période de cohabitation effective et non les revenus de l’année.

Pour qu’il y ait cohabitation, il faut non seulement vie sous le même toit (critère géographique) mais également règlement principalement en commun des charges ménagères, le règlement des questions domestiques dans le cadre d’une forme de communauté sociale ou de projet de vie en commun devant non seulement être constaté mais celui-ci devant en outre permettre à l’assuré social d’obtenir un avantage économico-financier (critère socio-économique).

Dispositions légales

  • Loi générale relative aux allocations familiales du 19 décembre 1939 – articles 42bis et 56bis
  • Arrêté royal du 26 octobre 2004 portant exécution des articles 42bis et 56, § 2, de la loi générale relative aux allocations familiales - articles 2 et 3
  • Décret wallon du 8 février 2018 relatif à la gestion et au paiement des prestations familiales - article 120
  • Arrêté du Gouvernement wallon exécutant l’article 136 du décret du 8 février 2018 relatif à la gestion et au paiement des prestations familiales – article 2

Analyse

Faits de la cause

Une mère de famille est bénéficiaire d’allocations familiales majorées (supplément social).

La caisse d’allocations familiales prend en date du 18 novembre 2021 une décision de récupération au motif que, pour la période du 26 février 2019 au 13 juin 2019, l’intéressée a vécu en cohabitation légale et que les revenus du ménage dépassaient en 2019 le plafond annuel au-delà duquel ce supplément n’est plus dû.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège, division Liège

En cours de procédure, la demande de récupération a été limitée à deux mois (mars et avril 2019), une part importante de cet indu ayant par ailleurs été récupérée par voie de retenues.

Le jugement du tribunal du travail

Par jugement du 22 juin 2023, le tribunal du travail a annulé la décision litigieuse, retenant que le tiers n’avait perçu aucun revenu durant cette période.

Il a conclu que ne devaient être pris en compte que les revenus de l’allocataire et de la personne avec laquelle elle avait formé un ménage de fait pour la période de cohabitation effective.

La caisse fut condamnée à restituer les montants retenus et à verser le solde de l’indu qu’elle réclame.

La caisse interjette appel.

Position des parties devant la cour

La caisse développe essentiellement deux griefs, étant d’une part qu’il y a lieu de tenir compte des revenus annuels (le jugement n’ayant retenu que les revenus mensuels pour deux mois) et d’autre part qu’il y avait cohabitation, celle-ci ne supposant pas nécessairement une contribution financière aux charges du ménage, l’avantage socio-économique pouvant également résulter d’une simple participation aux tâches ménagères.

Quant à l’intimée, elle conteste la prise en compte des revenus du tiers, au motif de l’absence de cohabitation entre eux pendant la période litigieuse. Elle expose que l’intéressé était, à ce moment, en séjour illégal et qu’il ne disposait d’aucun revenu qui lui eut permis de contribuer aux charges du ménage.

La décision de la cour

La cour reprend en premier lieu les règles relatives à l’octroi du supplément social, celui-ci étant prévu à l’article 42 bis de la loi générale relative aux allocations familiales du 19 décembre 1939. Son arrêté d’exécution du 26 octobre 2004 précise que ce supplément peut être octroyé soit à un attributaire qui habite seul avec un ou plusieurs enfants en faveur duquel (ou desquels) il ouvre le droit aux allocations familiales, soit à un attributaire qui cohabite avec un ou plusieurs enfants pour lequel (ou lesquels) il ouvre le droit aux allocations familiales et avec son conjoint ou avec une personne avec laquelle il forme un ménage de fait.

Dans cette seconde hypothèse, les revenus professionnels et/ou de remplacement de l’attributaire et du conjoint ou du compagnon cohabitant ne peuvent dépasser un certain montant, fixé en vertu de l’article 2 du même arrêté royal sur une base mensuelle.

Les revenus à prendre en compte sont, en vertu de l’article 3, les revenus imposables issus d’une activité professionnelle ainsi que les revenus de remplacement imposables. Les revenus ainsi déterminés, relatifs à une année civile, sont additionnés et puis divisés par douze, donnant ainsi les montants mensuels dont question ci-dessus.

Quant au ménage de fait, visé à l’article 56bis, § 2, de la LGAF, il est présumé dès qu’il y a cohabitation avec une personne autre qu’un parent ou allié jusqu’au troisième degré inclus.

La cour souligne que ces dispositions de la loi générale sont toujours applicables en Région wallonne pour les enfants nés avant le 1er janvier 2020 (articles 120 du décret wallon du 8 février 2018 relatif à la gestion et au paiement des prestations familiales et article 2 de l’arrêté du gouvernement wallon du 20 décembre 2018 exécutant l’article 136 du décret).

La réglementation régionale a repris la condition de plafond, qui, en 2019, était de 30 984 €.

Dans cette nouvelle réglementation, la notion de ménage de fait a été précisée comme visant la cohabitation dont les membres règlent en commun leurs problèmes ménagers en mettant, même partiellement, en commun leurs ressources respectives.

La cour rappelle l’évolution de la notion de cohabitation, sous l’égide de la jurisprudence de la Cour de cassation (la cour citant notamment Cass., 22 janvier 2018, S.17.0024.F et Cass., 9 octobre 2017, S.16.0084.N). Elle renvoie également à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 4 février 2021 (C. Const., 4 février 2021, n° 17/2021).

A ainsi été élaborée l’exigence, outre d’un premier critère (vie sous le même toit), de deux conditions afin que le second critère (règlement principalement en commun des charges ménagères) soit rempli : il faut non seulement que ce règlement soit constaté - les intéressés réglant principalement en commun les questions domestiques dans le cadre d’une forme de communauté sociale de projet de vie en commun - mais en outre il faut que soit ainsi obtenu un avantage économico-financier.

Celui-ci ne signifie pas nécessairement l’apport de ressources financières mais peut également consister dans des avantages matériels engendrant de manière concrète une économie de dépenses.

Ces précisions ont été données par la Cour de cassation, qui a d’ailleurs énuméré ce qu’il faut entendre par questions ménagères : il s’agit de l’entretien du logement et éventuellement son aménagement, les lessives, les courses, la préparation et la prise des repas.

Quant à la Cour constitutionnelle, elle s’est ralliée à cette conception et y a ajouté « des avantages matériels engendrant, de manière concrète et non hypothétique, une économie de dépenses », la Cour étant interrogée précisément sur la question d’un étranger en séjour illégal. Elle a précisé que la régularité ou non de la situation de séjour n’est pas déterminante et qu’il ne peut être exclu que la vie sous le même toit avec un étranger en séjour illégal n’entraîne pas d’avantage économico-financier pour l’allocataire social.

Après avoir, ensuite, repris les règles habituelles en matière de charge de la preuve (celle-ci reposant sur l’assuré social), la cour fait application de l’ensemble de ces dispositions au cas d’espèce.

Il est constant qu’il y a eu une cohabitation légale pendant les deux mois et que sur la base annuelle les revenus de 2019 des deux personnes ont dépassé le plafond. Pendant la période litigieuse, le tiers n’a cependant perçu aucun revenu.

La cour vérifie dès lors les conditions de cette vie en commun, vu l’existence d’une présomption réfragable de ménage de fait.

Il suit de la vérification des éléments déposés (extrait Dolsis « liste des DIMONA », extraits de compte, dépenses payées par la mère pour compte de ce tiers,…) que celui-ci n’a nullement permis par sa présence dans le ménage à la mère de bénéficier d’avantages matériels et de faire une économie de dépenses, la cour rappelant que ceci doit être apprécié de manière concrète et non hypothétique.

Elle conclut à l’absence de cohabitation au sens socio-économique, vu la situation qui lui est présentée,. et confirme le jugement.


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