Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 6 juin 2024, R.G. 2022/AN/84
Mis en ligne le mercredi 26 mars 2025
C. trav. Liège (div. Namur), 6 juin 2024, R.G. 2022/AN/84
Résumé introductif
Pour les résidents en MRS, l’intervention de la mutuelle consiste en un forfait journalier. Des prestations de kinésithérapie ne peuvent dès lors être présentées au remboursement, en sus de ce forfait. Ces prestations sont en effet à assurer par des kinésithérapeutes internes à l’établissement.
En omettant d’informer une assurée sociale du changement de régime à cet égard lors de son passage d’une MRPA à une MRS, l’organisme assureur commet une faute.
S’il entend obtenir des dommages et intérêts suite à cette faute en application des articles 3 à 6 de la Charte de l’assuré social, il appartient à l’assuré social d’établir - outre son dommage - un lien de causalité entre la faute et celui-ci.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Une personne âgée souffrant d’une pathologie lourde a été placée en maison de repos pour personnes âgées (MRPA) pendant quelques mois en 2017.
Son organisme assureur a autorisé des prestations de kinésithérapie pour différentes périodes.
Le 1er octobre 2017, elle est passée en maison de repos et de soins (MRS).
Une première décision a été prise par la mutuelle le 29 octobre 2018, refusant le remboursement, au motif qu’elle résidait dans une maison de repos et de soins et que celle-ci avait perçu un forfait couvrant les séances en cause.
Fin 2019, l’intéressée a présenté au remboursement des séances de kinésithérapie prescrites par un orthopédiste externe et qu’elle avait suivies dans une institution hospitalière.
En janvier 2020, elle a été hospitalisée en urgence et s’est de nouveau vu prescrire des séances de kinésithérapie.
La mutuelle a pris une décision le 18 mai 2022, refusant toute une série de frais, au motif que les prestations étaient reprises dans le forfait MRS, et que ce sont des kinésithérapeutes de l’établissement qui sont censés les dispenser.
Un recours a été introduit devant le Tribunal du travail de Liège, division Namur, le 14 août 2020.
La décision du tribunal
Le tribunal a statué par jugement du 19 avril 2022, concluant en substance que les prestations sont effectivement incluses dans le forfait octroyé dans le cadre de la MRS, ne pouvant ainsi être facturées en supplément pour des soins prodigués à l’extérieur.
Or tel est le cas des prestations dont le remboursement est demandé.
Le tribunal a également acté une reprise d’instance, vu le décès de l’intéressée.
Appel est interjeté.
Les décisions de la cour
L’arrêt du 6 mars 2023
La cour a rendu un arrêt interlocutoire le 7 mars 2023 confirmant que les prestations sont incluses dans le forfait octroyé aux MRS et a ordonné une réouverture des débats.
L’objet de celle-ci est que la mutuelle doit s’expliquer sur le respect de son obligation d’information. Plusieurs questions lui sont posées, vu le passage en MRS, notamment sur la date à laquelle celui-ci a été accepté. La cour pose plus particulièrement la question de savoir si la mutuelle devait informer l’intéressée sur son droit à bénéficier (ou non) desdites séances, vu que cette dernière disposait de l’autorisation de son médecin. D’autres précisions sont également demandées.
L’arrêt du 6 juin 2024
La cour reprend brièvement la position des parties, l’appelant plaidant que la mutuelle n’a opéré aucune vérification et aucun contrôle de la situation exacte de l’intéressée, qu’elle n’a notifié aucune décision et que les quelques informations fournies l’ont toujours été après-coup.
Quant à la mutuelle, elle considère ne pas avoir commis de faute, ayant respecté ses obligations légales. Elle soutient qu’il appartenait à l’institution ayant fait la demande de passage en MRS d’informer sa résidente des conséquences de ce passage. Elle expose avoir dument informé l’assurée lorsqu’elle a reçu les attestations de soins.
Après cette reprise de la position des parties après réouverture des débats, la cour tranche le litige.
Elle rappelle qu’il a été jugé dans l’arrêt du 6 mars 2023 que l’intéressée ne pouvait plus prétendre au remboursement de séances de kinésithérapie sur base de la nomenclature AMI à partir du moment où elle a séjourné en MRS, ce point étant ainsi définitivement tranché.
Seule est encore à débattre la question de la responsabilité de la mutuelle.
Le principe de légalité laisse en effet subsister la possibilité d’une action en dommages-intérêts sur la base de l’article 1382 du Code civil.
Elle examine dès lors si la mutuelle a manqué à son obligation d’information et de conseil (articles 3 et 4 de la Charte, complétés par ses articles 5 et 6, qui concernent l’obligation de réorientation et un devoir général de lisibilité dans la rédaction des décisions administratives).
La cour renvoie également pour ce qui est de l’obligation des institutions de sécurité sociale en matière d’information à l’important arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 2009 (Cass., 23 novembre 2009, S.07.0115.F ), où celle-ci enseigne que l’information utile doit être communiquée d’initiative, ceci visant tout complément d’information nécessaire à l’examen de la demande ou au maintien des droits de l’assuré social. Cette obligation n’est pas subordonnée à la condition que l’assuré ait préalablement fait une demande écrite.
La jurisprudence a ainsi développé une obligation de réactivité et de proactivité dans le chef des institutions de sécurité sociale. La cour cite ici un arrêt de la Cour du travail de Mons du 15 janvier 2020 (C. trav. Mons, 15 janvier 2020, R.G. 2018/AM/364). Cette dernière y a jugé que les institutions ne peuvent rester passives face à une information qu’elles reçoivent ou en présence d’un dossier incomplet mais doivent réagir et informer l’assuré social sur les démarches à faire ou sur les obligations à respecter. Il s’agit de « l’administration active ».
Cette obligation a cependant des limites, l’assuré social ne pouvant se retrancher derrière celle-ci pour s’abstenir, de son côté, de s’informer utilement.
En l’espèce, le dossier révèle que la résidente a été transférée suite à des demandes insistantes de l’établissement dans lequel elle séjournait, et ce vu un important degré de dépendance aux soins.
Pour la cour, on peut retenir à l’examen des faits que la mutuelle n’a pas informé celle-ci, notamment sur la convention entre les maisons de repos pour personnes âgées et autres établissements analogues (maisons de repos et de soins, centres de soins de jour) et les organismes assureurs, sur la question du prix de la journée d’hébergement et des suppléments éventuels.
Elle devait informer l’intéressée sur les conséquences de son passage en MRS. En s’abstenant de le faire, elle a commis une faute.
Cependant, celle-ci en était informée depuis la première décision (non contestée) du 29 octobre 2018. La cour note également que divers échanges sont intervenus par la suite.
Pour pouvoir faire droit à la demande de dommages et intérêts, il faut cependant qu’existe un lien de causalité entre la faute (reconnue ici) et le dommage, étant qu’il appartient à la partie appelante d’établir que, sans la faute de la mutuelle, l’assurée aurait modifié son comportement. Or, cette preuve n’est pas rapportée.
La cour conclut dès lors au non-fondement de l’appel.