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Un licenciement en lien avec un burnout constitue-t-il une discrimination sur la base d’un handicap ou sur l’état de santé actuel ou futur du travailleur ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 septembre 2024, R.G. 2022/AB/770

Mis en ligne le vendredi 28 mars 2025


Cour du travail de Bruxelles, 10 septembre 2024, R.G. 2022/AB/770

Terra Laboris

Résumé introductif

Le handicap vise une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques et entravant la participation de la personne concernée à la vie professionnelle au même titre que les autres travailleurs. Une maladie peut constituer un handicap dès lors qu’elle peut conduire à une telle limitation. Il ne peut cependant y avoir handicap que si la limitation est amenée à être de longue durée.

Si, en vertu de la jurisprudence de la Cour de justice, les employeurs ont l’obligation d’établir un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur, ceci n’affecte pas les règles en matière de charge de la preuve dans le cadre d’une demande de paiement d’heures supplémentaires.

Dispositions légales

  • Loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination – articles 4 et suivants
  • Convention collective du travail n° 109 du 12 février 2014 concernant la motivation du licenciement – article 9
  • Loi du 16 mars 1971 sur le travail – articles 19 et suivants

Analyse

Faits de la cause

Un employé commercial engagé depuis cinq ans tomba en incapacité de travail pendant une dizaine de jours en septembre 2019, période d’incapacité qui fut prolongée jusqu’au 5 janvier 2020.

Le 2 décembre 2019, son contrat de travail fut résilié avec effet immédiat et paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de 18 semaines, au motif de « réorganisation », mention figurant sur le C4.

Suite à la demande de communication des motifs concrets de licenciement, la société fit état de l’existence d’une réorganisation de divers services, dont celui des ventes et après-ventes et marketing, la fonction de l’intéressé étant devenue redondante.

L’employé n’accepta pas cette explication, considérant qu’il y avait discrimination.

Son conseil intervint dans ce sens, réclamant en sus des arriérés de rémunération.

Vu la persistance du différend, une requête fut introduite devant le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles.

Celui-ci statua par jugement du 18 août 2022. Il retint la discrimination et alloua également un montant de l’ordre de 5000 € au titre d’arriérés de salaire.

La société interjette appel, sollicitant la mise à néant de la décision du premier juge.

L’intimé en demande, pour sa part, la confirmation et réintroduit divers chefs de demande (complément d’indemnité compensatoire, heures supplémentaires, bonus ainsi qu’indemnisation pour dommage moral).

La décision de la cour

La cour entreprend d’abord l’examen de la discrimination, l’intéressé faisant valoir qu’il en a été victime, au motif de l’existence d’un handicap ou de son état de santé actuel ou futur.

Pour ce qui est du handicap, la cour rappelle que la loi n’en donne pas de définition.

Elle se réfère à un autre arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 20 février 2018, R.G. 2016/AB/959), où il a été renvoyé à l’arrêt CHACON-NAVAS de la Cour de justice du 11 juillet 2006, le handicap ayant été défini par la haute juridiction comme visant une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques et entravant la participation de la personne concernée à la vie professionnelle au même titre que les autres travailleurs (la cour du travail citant également l’arrêt RING (C.J.U.E., 11 avril 2013, n° C-335/11 (HK DANMARK) et C-337/11 (SKOUBOE WERGE)), ainsi que d’autres décisions plus récentes, dont l’arrêt DAOUIDI (C.J.U.E., 1er décembre 2016, C-395/15 (DAOUIDI c/ BOOTES PLUS SL E.A).

Les deux critères (handicap et état de santé) ont été distingués par le législateur européen, de telle sorte qu’on ne peut considérer qu’ils sont équivalents. Une maladie peut cependant constituer un handicap dès lors qu’elle peut conduire à une telle limitation. La Cour de justice a précisé que ce qui est important est le caractère de longue durée de celle-ci, ce qui est conforté par l’exigence d’aménagements raisonnables que l’employeur doit mettre en place. Il ne peut dès lors y avoir « handicap » que si la limitation est amenée à être de longue durée.

Pour la cour du travail, la notion d’état de santé s’oppose à celle de handicap, dans la mesure où elle vise une durée plus brève et que les limitations qu’elle entraînent peuvent disparaître.

En l’espèce, il est indiscutable qu’au moment du licenciement l’intéressé souffrait d’un burnout. Celui-ci ne peut cependant être assimilé à un handicap. Il n’y a en effet pas de limitation de longue durée au sens où la Cour de justice l’entend dans sa jurisprudence.

Début décembre 2019, l’intéressé était en incapacité de travail depuis le 9 septembre, c’est-à-dire moins de 3 mois, et cette incapacité avait à ce moment été reconnue jusqu’au 5 janvier, c’est-à-dire moins de quatre mois depuis le début. Elle a également fait l’objet de plusieurs prolongations en cours de route, la première d’environ deux semaines et ces prolongations étant elles-mêmes de deux, trois ou quatre semaines. Il s’agit dès lors de prolongations de courte durée et non d’une affection de longue durée, constat qui rejoint l’avis du médecin-traitant de l’intéressé, qui a estimé devoir recourir à des prolongations courtes, l’état de santé étant susceptible de s’améliorer.

Cette situation n’est pour la cour pas comparable avec celle d’un handicap et elle ajoute que – autre élément de la définition – celui-ci devrait avoir empêché l’employé de participer à la vie professionnelle au même titre que les autres travailleurs, ce qui n’est pas le cas. La cour s’appuie encore sur une attestation du médecin traitant, qui se réfère à un stress post-traumatique, qui constituerait « un frein » au développement professionnel de l’intéressé.

Au moment de son licenciement, étant en incapacité de travail pour burnout, l’employé bénéficiait dès lors de la protection contre un licenciement discriminatoire fondé sur son état de santé actuel ou futur.

La cour entreprend dès lors de vérifier si les conditions exigées sur le plan de la preuve par la loi anti-discrimination sont présentes.

Elle estime que le travailleur apporte des éléments suffisants faisant présumer l’existence de celle-ci, étant - outre l’incapacité de travail (et ses prolongations) - la circonstance que l’employé avait précisément le jour de son licenciement envoyé un certificat de prolongation. Ces éléments suffisent, pour la cour, à établir le lien entre le licenciement et l’état de santé. Elle ajoute – comme l’avait relevé le premier juge – qu’aucun élément n’avait été annoncé, avant l’incapacité de travail, de nature à laisser présager un licenciement ou la suppression de la fonction.

En outre, l’intéressé avait fait l’objet d’une promotion deux ans auparavant et il dirigeait une équipe d’environ 20 travailleurs, sa rémunération ayant été augmentée. Sa dernière évaluation était excellente et une réunion intervenue quelques mois plus tôt avait confirmé qu’il avait atteint ses objectifs.

Ces éléments étant acquis, il appartient à l’employeur de renverser la présomption légale, ce que, pour la cour, il ne fait pas.

La preuve de la réorganisation n’est pas apportée, l’employeur n’établissant pas que le licenciement est intervenu dans le cadre d’une restructuration à plus large échelle du département.

La cour examine également si la distinction opérée est objectivement justifiée par un but légitime et si les moyens d’atteindre celui-ci étaient adaptés et nécessaires, examen dont la conclusion est négative.

Le caractère discriminatoire du licenciement est dès lors confirmé.

L’intéressé ayant également introduit une demande d’indemnisation pour licenciement manifestement déraisonnable, la cour le déboute de ce chef de demande au motif du texte de l’article 9 de la CCT n° 109, qui contient une règle de non-cumul.

Elle examine ensuite la question des heures supplémentaires, pour laquelle l’intéressé a introduit une demande de d’arriérés de l’ordre de 64 000 €, correspondant à de nombreuses prestations effectuées en dehors de l’horaire de travail (missions à l’étranger), à majorer du pécule de vacances.

Elle rappelle qu’il a fait l’objet d’une promotion à une fonction de direction début novembre 2017 et que les dispositions du chapitre III, section 2, de la loi sur le travail ne sont pas applicables aux travailleurs exerçant une fonction de direction ou de confiance. Il s’agit de personnes pour lesquelles des prestations peuvent être exigées en dehors des limites prévisibles de la durée du travail, et ce dans l’intérêt de l’entreprise et des travailleurs.

La cour rappelle ici l’article 17 de la Directive 2003/88/C, qui confirme l’exclusion de certaines catégories de personnel des règles en matière de limitation de la durée du travail ainsi que les termes de l’arrêté royal du 10 février 1965.

S’agissant en l’espèce d’une fonction comprenant une autorité hiérarchique sur des travailleurs et des responsabilités dans une partie de l’entreprise - l’intéressé dépendant par ailleurs directement du directeur général -, il avait cette qualité et ce n’est que pour la période antérieure à sa promotion à ce poste qu’il pourrait prétendre à des heures supplémentaires. Pour celle-ci, il a la charge de la preuve des heures effectivement prestées.

Le travailleur ne peut dès lors se borner à renvoyer à l’arrêt de la Cour de justice du 14 mai 2019 (C.J.U.E., 14 mai 2019, Aff. n° C-55/18 (FEDERACIÓN DE SERVICIOS DE COMISIONES OBRERAS c/ DEUTSCHE BANK SAE) – arrêt rendu en Grande Chambre), qui a considéré que les employeurs ont l’obligation d’établir un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur pour en déduire que, à défaut, il y a lieu de faire droit à sa demande.

La cour rappelle la position de la jurisprudence à cet égard, étant que cet arrêt de la Cour de justice n’a pas d’effets en ce qui concerne les règles en matière de charge de la preuve dans le cadre d’une demande de paiement d’heures supplémentaires. Elle ajoute que la directive n’a pas d’effet direct horizontal. Elle ne peut dès lors entraîner pour les employeurs d’obligation directe de mettre en place un système d’enregistrement du temps de travail.

Le juge ne peut par ailleurs déduire en l’absence de celui-ci au fondement de la demande dès lors que les heures ne sont pas prouvées. L’arrêt n’a en effet pas trait à la charge de la preuve telle qu’organisée dans les Etats membres.

En outre, pour la partie correspondant à la période de la demande antérieure à l’arrêt du 14 mai 2019, il n’existait en droit belge aucune obligation pour l’employeur d’enregistrer le temps de travail selon un système déterminé.

En conséquence, le travailleur a la charge de la preuve non seulement de la réalité des prestations mais également de l’accord de l’employeur – même tacite.

Cette preuve n’est pas apportée à suffisance de droit, contrairement à ce que le premier juge avait retenu. L’arrêt note encore qu’aucune demande n’a été faite pendant toute la période des relations de travail.

En ce qui concerne les autres chefs de demande, ils sont brièvement rejetés, la cour s’attachant un peu plus longuement à la question du dommage moral réclamé. Celui-ci est fondé sur l’absence de jours de repos compensatoire eu égard aux nombreuses heures supplémentaires effectuées et à l’absence de mesures prises par l’employeur pour alléger la charge de travail, éléments ayant débouché sur le burnout.

Elle rappelle la définition du burnout, qui est une affection liée au travail à laquelle peuvent contribuer des événements de la vie privée ou des prédispositions personnelles.

En vertu de la loi du 4 août 1996 sur le bien-être des travailleurs au travail, des obligations spécifiques sont mises à charge de l’employeur et, si le travailleur entend obtenir la réparation d’un dommage, il doit établir une faute.

Dans la mesure où le chef de demande relatif aux heures supplémentaires a été rejeté, vu d’une part l’absence de preuve et d’autre part la non-application des dispositions en matière de durée du temps de travail, aucune faute n’est établie à suffisance de droit dans le chef de l’employeur.

La cour relève également l’absence de toute donnée objective qui viendrait attester de l’absence de mesures prises par l’employeur en vue de réduire la charge de travail, le caractère excessif de celle-ci par rapport aux autres travailleurs n’étant par ailleurs pas établi.

Ce chef de demande est dès lors rejeté, le jugement étant réformé sur ce point.


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