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Droit européen : loi applicable en sécurité sociale en cas d’activité simultanée en Autriche, au Lichtenstein et en Suisse ?

Commentaire de C.J.U.E., 26 septembre 2024, Aff. n° C-329/23 (SOZIALVERSICHERUNGSANSTALT DER SELBSTÄNDIGEN c/W. M. en présence de BUNDESMINISTER FÜR SOZIALES, GESUNDHEIT, PFLEGE UND KONSUMENTENSCHUTZ), EU:C:2024:802

Mis en ligne le vendredi 28 mars 2025


Cour de Justice de l’Union européenne, 26 septembre 2024, Aff. n° C-329/23 (SOZIALVERSICHERUNGSANSTALT DER SELBSTÄNDIGEN c/W. M. en présence de BUNDESMINISTER FÜR SOZIALES, GESUNDHEIT, PFLEGE UND KONSUMENTENSCHUTZ), EU:C:2024:802

Terra Laboris

Résumé introductif

Dans la mesure où les règlements de coordination s’appliquent sur le fondement de bases juridiques distinctes (en l’espèce, Accord EEE et ALCP), il faut les appliquer de manière séparée.

Le travailleur ne relève de la législation de son État de résidence que s’il y exerce une partie substantielle de son activité. Une partie substantielle, dans le cas d’une activité non salariée, dépend du chiffre d’affaires, du temps de travail ainsi que du nombre de services prestés et/ou des revenus. A défaut, la personne relève de la législation de l’État membre où se trouve le centre d’intérêt de ses activités.

Dispositions légales

  • Accord entre la Communauté européenne et ses États membres d’une part et la Confédération suisse d’autre part sur la libre circulation des personnes du 21 juin 1999 (ALCP) – Annexe II, article 1er
  • Accord sur l’espace économique européen du 2 mai 1992 (Accord EEE) – article 28, paragraphe 1
  • Règlement n°1408/71 – articles 13 et 14
  • Règlement n° 883/2004 – articles 11, 13, § 2, sous d, et 87, paragraphe 8
  • Règlement n° 987/2009 - article 14, paragraphe 9.

Analyse

Faits de la cause

Un médecin ayant la double nationalité autrichienne et liechtensteinoise entame, le 1er janvier 2017, une activité professionnelle supplémentaire par rapport à celle déjà exercée simultanément en Autriche (où il est domicilié) et au Liechtenstein.

Il demande le 14 avril 2020 à l’autorité autrichienne compétente la délivrance d’un formulaire E101 sur la base du Règlement n° 1408/71, confirmant qu’il a été soumis à la sécurité sociale autrichienne pour la période durant laquelle il a exercé simultanément dans ces trois pays. Il précise l’importance de chacune de ces activités par rapport à ses revenus : Autriche (19 %), Liechtenstein (78 %) et Suisse (3 %).

Vu le remplacement du Règlement n° 1408/71 par le Règlement n° 883/2004, l’institution autrichienne requalifie la demande en demande de formulaire A1.

Elle la rejette au motif que, si les règlements européens s’appliquent aux trois États, il n’existe pas d’accord couvrant à la fois les États membres de l’UE et la Confédération suisse, de telle sorte que les activités doivent être soumises séparément à la législation de chacun des États.

Rétroactes de procédure

Un recours est introduit devant le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral), qui fait droit à la demande, au motif que la situation de l’intéressé doit être examinée pour ce qui concerne les activités en Autriche et au Liechtenstein sur le fondement de l’Accord EEE (Espace économique européen) et, pour les activités en Autriche et en Suisse, sur celui de l’Accord entre la Communauté européenne et ses États membres d’une part et la Confédération suisse d’autre part sur la libre circulation des personnes du 21 juin 1999 (ALCP) et qu’il faut dès lors vérifier si l’activité en Suisse constitue un changement au sens de l’article 87, paragraphe 8 du Règlement n° 883/2004.

Le Verwaltungsgericht (Cour administrative) a été saisi d’un recours de l’institution contre cette décision.

Pour cette juridiction, les règlements de coordination (883/2004 et 987/2009) sont applicables dans les relations avec d’autres États via des accords, notamment aux États de l’EEE, dont la principauté de Liechtenstein, en vertu de l’Accord EEE ainsi qu’à la Confédération suisse en vertu de l’ALCP.

Le premier juge ayant retenu à la fois l’application du Règlement n° 1408/71 et celle du Règlement n° 883/2004, la cour administrative s’interroge sur la conformité de cette approche, vu le principe d’unicité de la législation applicable figurant dans chacun des deux règlements. Pour le juge de renvoi, procéder de la sorte pourrait en effet aboutir à ce que des législations différentes s’appliquent concomitamment pour la même personne et pour la même période.

Elle décide dès lors d’interroger la Cour de justice afin de savoir si les deux règlements sont applicables à une situation telle que celle en cause et, dans l’affirmative, sur la manière dont il convient de faire et de les appliquer. Elle interroge également la Cour de justice sur la disposition transitoire prévue à l’article 87, paragraphe 8, du Règlement n° 883/2004.

Les questions préjudicielles

Trois questions sont posées à la Cour de justice, étant de savoir :

–* s’il faut appliquer les règles du Règlement n° 883/2004 et de son règlement d’application à une situation dans laquelle un citoyen de l’Union exerce ses activités professionnelles simultanément dans un État membre de l’Union, dans un État partie à l’accord EEE et en Suisse ;
–* (en cas de réponse affirmative) si en application de ce règlement la législation applicable doit être examinée séparément d’une part dans les rapports entre l’État membre et l’État de l’EEE et d’autre part dans les rapports de cet État et la Confédération suisse, situation dans laquelle il conviendrait de délivrer à chaque fois une attestation distincte ;
–* (en cas de réponse affirmative également) s’il s’agit d’un changement de la « situation qui a prévalu » au sens de l’article 87, paragraphe 8 du Règlement n° 883/2004, l’activité professionnelle ayant été entamée dans un autre État auquel le règlement est applicable même si aucun changement de la législation ne devait intervenir et que par son ampleur cette activité est à ce point secondaire qu’elle ne génère que 3 % environ de la totalité des revenus.

La décision de la cour

La cour décide d’examiner les trois questions ensemble.

Un premier point rappelé est que les règlements de coordination 883/2004 et 987/2009 s’appliquent à la situation en cause, s’agissant d’un citoyen de l’Union qui exerce une activité non salariée à la fois en Autriche et au Liechtenstein et qui entend entamer une telle activité supplémentaire en Suisse. Raisonner autrement entraînerait une entrave à son droit à la libre circulation. Dans la mesure où ces règlements s’appliquent sur le fondement de bases juridiques distinctes (l’Accord EEE et l’ALCP), cette distinction doit ressortir. Il faut dès lors les appliquer de manière séparée.

Pour ce qui est de l’Accord EEE, le travailleur ne relève de la législation de son État de résidence que s’il y exerce une partie substantielle de son activité. Ceci signifie qu’une part quantitativement importante de l’ensemble des activités doit être exercée, sans qu’il s’agisse nécessairement de la majeure partie de celle-ci. Une partie substantielle, dans le cas d’une activité non salariée, dépend du chiffre d’affaires, du temps de travail ainsi que du nombre de services prestés et/ou des revenus. Globalement, ceci signifie au moins la réunion de 25 % des critères.

En l’espèce, il n’y avait pas 25 mais 19 % des revenus. L’intéressé ne peut dès lors être considéré comme ayant exercé une partie substantielle de ses activités en Autriche.

Dans ce cas, la personne relève de la législation de l’État membre où se trouve le centre d’intérêt de ses activités (article 13, § 2, sous d) du Règlement n° 883/2004). Le « centre d’intérêt » pour le travailleur non salarié est déterminé, dans le Règlement n° 987/2009 (article 14, paragraphe 9) en prenant en compte l’ensemble des éléments composant ses activités (lieu du siège fixe et permanent, caractère habituel ou durée des activités exercées, nombre de services prestés, volonté de l’intéressé telle qu’elle ressort de toutes les circonstances).

En l’espèce, le centre d’intérêt des activités de l’intéressé est au Liechtenstein et il devait dès lors être soumis à la législation en matière de sécurité sociale liechtensteinoise. Il relevait, par conséquent, d’un État membre autre que celui à la législation duquel il était soumis en application du Règlement n° 1408/71.

Cependant, vu la mesure transitoire de l’article 87, paragraphe 8, du Règlement n° 883/2004, il est prévu que la législation applicable continue à s’appliquer si la situation antérieure est restée inchangée, mais ce avec un maximum de 10 ans à partir de la date d’application du Règlement n° 883/2004.

Il faut dès lors vérifier si la situation est restée inchangée car dans cette hypothèse la législation en matière de sécurité sociale autrichienne devait continuer à s’appliquer. Dans le cadre de l’Accord EEE, la Confédération suisse est un État tiers. Dès lors, l’entame d’une activité professionnelle en Suisse est un élément dépourvu de pertinence dans le cadre de la vérification effectuée. Cet élément n’est donc pas pris en compte.

Il en découle que la situation est restée inchangée, l’intéressé devant dès lors en application de l’article 87, paragraphe 8, continuer à être soumis à la législation en matière de sécurité sociale autrichienne.

Ensuite, en ce qui concerne l’ALCP (relation Autriche – Suisse), le volume des activités, par rapport aux revenus perçus, était respectivement de 19 % et de 3 %.

L’activité en Autriche n’atteignait pas 25 % et l’intéressé ne pouvait pas se voir appliquer l’article 13 § 2 sous a) du Règlement n° 883/2004 mais devait être soumis à la législation de l’État membre où se situait le centre d’intérêt de ses activités.

Il résidait en l’espèce en Autriche et y exerçait au regard de l’ALCP la majeure partie de ses activités de telle sorte que le centre d’intérêt était en Autriche, ce qui entraîne l’application de la législation en matière de sécurité sociale autrichienne.

Pour la Cour (considérant 53), cette conclusion ne peut être remise en cause par la circonstance qu’il exerçait en parallèle une activité professionnelle procurant 78 % de ses revenus au Liechtenstein. Cette circonstance n’est pas pertinente au regard de l’ALCP puisque, dans le cadre de cet accord, la principauté de Liechtenstein constitue un État tiers.

En conclusion, une seule et même législation en matière de sécurité sociale trouve à s’appliquer, et ce après un examen séparé des deux fondements, s’agissant de la législation autrichienne. Une seule attestation doit donc être délivrée par les autorités compétentes.


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