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Intervention majorée en AMI – plafond des revenus en cas d’hébergement égalitaire des enfants

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 14 novembre 2024, R.G. 2023/AL/423

Mis en ligne le jeudi 10 avril 2025


Cour du travail de Liège (division Liège), 14 novembre 2024, R.G. 2023/AL/423

Terra Laboris

Résumé introductif

En matière d’intervention majorée, la notion de ménage est définie par un arrêté royal du 15 janvier 2014, qui reprend les personnes prises en compte à cet effet.

Le texte ne prévoit pas la prise en compte de la charge effectivement assumée par chaque parent en cas d’hébergement et d’éducation égalitaire des enfants.

L’arrêté royal a été modifié suite à un arrêt de la Cour constitutionnelle du 15 décembre 2019 mais, sa date d’entrée ayant été fixée au 1er juillet 2022 et aucune rétroactivité n’ayant été prévue, la lacune de droit subsiste pour la période antérieure.

Dispositions légales

  • Loi coordonnée relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994 - article 37, § 19, alinéa 1er
  • Arrêté royal du 15 janvier 2014 relatif à l’intervention majorée de l’assurance visée à l’article 37, § 19, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 - article 25

Analyse

Faits de la cause

Un travailleur, pensionné depuis le 1er juillet 2021, a introduit une demande auprès de son organisme assureur afin de bénéficier du droit à l’intervention majorée. Celui-ci lui a été refusé, au motif que le plafond des revenus était dépassé.

L’intéressé a une fille, étudiante, qui est domiciliée chez lui et pour laquelle il a perçu les allocations familiales. Elle est fiscalement à sa charge de sa mère (qui ne cohabite pas avec le père) pour ce qui est de sa mutuelle.

Elle ne fait dès lors pas partie du ménage de son père en application de l’article 25 de l’arrêté royal du 15 janvier 2014 relatif à l’intervention majorée de l’assurance visée à l’article 37, § 19, de la loi relative à l’assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994.

Un recours a été introduit devant le tribunal du Travail de Liège, division Huy.

La décision du tribunal

Le tribunal a accueilli celui-ci par jugement du 20 septembre 2023.

Il a annulé la décision de l’organisme assureur et a condamné celui-ci à octroyer à l’intéressé le statut BIM sur la base de ses revenus.

La mutuelle interjette appel.

La décision de la cour

Le rappel des règles

L’intervention majorée est accordée (notamment) aux personnes dont les revenus du ménage ne dépassent pas un certain plafond (article 3 de l’arrêté royal du 15 janvier 2014), soit pour l’année en cause 20 356,30 €.

Ce plafond est à majorer de 3 768,51 € par personne à charge.

Sont pris en compte les revenus du mois précédant la demande.

La notion de ménage est, en vertu de l’article 37, § 19, alinéa 1er, de la loi coordonnée, l’entité constituée du demandeur, de son conjoint ou de son cohabitant et de leurs personnes à charge au sens de l’article 32, alinéa 1er, 17°, 18°, 19° ou 25°. Le Roi s’est vu confier la possibilité de prévoir une autre définition.

Un arrêté royal du 15 janvier 2014 est venu compléter celle figurant dans la loi, précisant que le ménage est au sens de cette législation composé du demandeur, de son conjoint non séparé de fait ni de corps et de biens ou de son cohabitant au sens de l’article 14 et de leurs personnes à charge, et ce au moment de l’introduction de la demande. La qualité de cohabitant est établie dans la déclaration faite sur l’honneur par le requérant.

Lorsque le conjoint ou le cohabitant est inscrit à charge d’un autre titulaire, il ne fait pas partie du ménage du demandeur.

La cour relève que ces définitions ne tiennent dès lors pas compte des enfants hébergés par leurs deux parents mais inscrits à charge uniquement de l’un d’entre eux.

Ceci a entraîné l’intervention de la Cour constitutionnelle, qui, dans un arrêt du 15 décembre 2019 (C. const., 5 décembre 2019, n° 197/2019), a jugé que, dès lors, seul un des deux parents peut déclarer les enfants lors du calcul du plafond des revenus en ce qui concerne l’octroi de l’intervention majorée. Cette disposition est justifiée par l’objectif légitime que des enfants ne soient pas pris en compte deux fois pour la détermination de ce plafond (considérants B.7.1. et B.7.2.). La circonstance que les enfants sont domiciliés chez l’un des deux parents à la suite d’un jugement constatant la séparation n’y change rien.

Pour la Cour constitutionnelle, cette différence de traitement n’est par contre pas raisonnablement justifiée par rapport à l’objectif du législateur. Elle ne trouve cependant pas sa source dans la disposition en cause mais dans l’absence de disposition législative qui permette de prendre en compte la charge effectivement assumée par chaque parent dans l’hébergement et l’éducation des enfants en cas d’hébergement égalitaire.

La lacune constatée ne peut être comblée directement par le juge, ceci étant du ressort du législateur. La Cour a dès lors conclu dans cet arrêt du 15 décembre 2019 que l’absence de disposition législative à cet égard viole les articles 10 et 11 de la Constitution.

L’application en l’espèce

La cour procède à la vérification des revenus pris en compte.

Elle retient une pension légale du secteur privé ainsi qu’une pension de statutaire, des avantages en nature et des revenus immobiliers (biens loués) et, enfin, un pécule de vacances (même s’il a été payé en mai 2022 et que les revenus à prendre en compte sont ceux du mois d’août 2021, celui-ci doit également intervenir, conformément à une circulaire INAMI).

Le décompte fait apparaître que le montant dépasse légèrement le plafond - sauf à considérer que la fille doit être reprise comme personne à charge.

La cour renvoie sur ce point à l’arrêt de la Cour constitutionnelle ci-dessus et constate que, depuis, la lacune ou l’omission totale n’a pas été complétée par le législateur, qui peut seul le faire.

La différence de traitement a certes été supprimée à partir du 1er juillet 2022, l’article 21 de l’arrêté royal ayant été modifié pour disposer désormais que l’enfant inscrit en qualité d’enfant à charge dans le ménage d’un de ses parents augmente le plafond de revenus applicable du ménage de son autre parent (d’un même montant) s’il y cohabite dans le cadre d’un hébergement partagé à raison d’un minimum de deux jours par semaine en moyenne.

Cependant, la disposition ne rétroagit pas et la cour rappelle qu’elle ne peut suppléer à l’insuffisance dans le cadre des dispositions légales existantes afin de rendre la loi conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution.

La lacune de droit pour la période antérieure subsiste et la cour fait droit à l’appel, le plafond ne pouvant être fixé en tenant compte d’une personne à charge.


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