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Conditions d’indemnisation

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 18 décembre 2024, R.G. 22/3.012/A

Mis en ligne le mardi 29 avril 2025


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 18 décembre 2024, R.G. 22/3.012/A

Terra Laboris

Résumé introductif

En cas d’incapacité de travail survenant à l’étranger et en présence d’une convention bilatérale en matière de sécurité sociale entre la Belgique et l’État de séjour, le non-respect des dispositions arrêtées dans celle-ci ne permet pas l’octroi des prestations de maladie.

Un manquement de l’organisme assureur AMI en matière d’information utile permettant à un travailleur bloqué à l’étranger pour un motif de force majeure de faire valoir ses droits en matière d’indemnités est constitutif d’une faute extra contractuelle, dont celui-ci peut demander la préparation.

En cas de faute extra contractuelle et en présence d’un dommage, la réparation peut être obtenue par le recours à la théorie de la perte d’une chance de percevoir les indemnités en cause.

Dispositions légales

  • Convention générale sur la sécurité sociale entre le Royaume de Belgique et le Royaume du Maroc du 24 juin 1968 - articles 10 et 11
  • Charte de l’assuré social - articles 3, 4 et 9

Analyse

Faits de la cause

Lors de la crise COVID, un travailleur se rend au Maroc dans sa famille. Ayant quitté la Belgique le 15 août 2021, il se retrouve malade sur place. À ce moment, il y a fermeture des frontières, et ce jusqu’en février 2022.

Il adressera huit certificats médicaux successifs, établis par son médecin traitant, le couvrant jusqu’au 12 mars 2022.

Son organisme assureur AMI lui fait parvenir, chaque fois, à son domicile en Belgique, une décision de refus de reconnaissance d’incapacité au motif que le certificat médical n’est pas conforme, étant exigé un document légal de la sécurité sociale étrangère.

Parallèlement, des courriers lui sont envoyés, exposant qu’est exigé un document BM111 établi par la sécurité sociale marocaine (attestation de droit aux prestations en nature pendant un séjour dans l’autre État contractant). L’intéressé entreprend, dès lors, des démarches auprès d’un hôpital public afin d’obtenir que ce qu’il croit être l’équivalent du certificat médical exigé.

Dès son retour en Belgique après la réouverture des frontières, étant toujours en maladie, il redépose auprès de son organisme assureur tous les certificats médicaux, ceux-ci étant de nouveau refusés au motif que manquent des documents BM116 établis par la sécurité sociale marocaine (rapport médical en cas d’incapacité de travail d’un travailleur se trouvant sur le territoire de l’autre État contractant).

Afin de régulariser la situation, l’intéressé retourne au Maroc et se heurte là à un refus des autorités compétentes de délivrer ces certificats médicaux.

Un dernier refus intervient le 9 juin 2022 et, malgré de nouvelles démarches infructueuses, la situation reste bloquée, la mutuelle ne contestant cependant pas l’incapacité de travail.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège, division Liège, le 20 septembre 2022.

Thèse des parties devant le tribunal

Le demandeur invoque la force majeure quant au délai de recours ainsi que le bien-fondé de l’incapacité de travail, nullement contestée par les autorités médicales. Il estime avoir été induit en erreur du fait de l’exigence d’un document inadéquat et fait valoir une faute dans le chef de la partie défenderesse, faute qui a entraîné un préjudice, étant son absence d’indemnisation pour une période de six mois.

Quant à la mutuelle, elle considère qu’il n’y a pas force majeure, le recours étant tardif. Elle renvoie à la Convention générale sur la sécurité sociale entre le Royaume de Belgique et le Royaume du Maroc du 24 juin 1968 ainsi qu’à l’Arrangement administratif relatif aux modalités d’application de cette convention, du 14 septembre 1972 et à celui qui l’a abrogé, du 18 février 2014 (articles 6, 7 et 9). Les certificats n’étant pas les formulaires requis mais étant des documents signés ou validés par le ministère de la santé marocaine, il y a non-respect de la procédure et les indemnités ne peuvent être payées. Elle plaide en outre ne pas avoir reçu le formulaire BM116 (qui aurait dû être transmis par la sécurité sociale marocaine).

L’avis du ministère public

Le ministère public renvoie à la Charte de l’assuré social, qui permet d’admettre la recevabilité du recours. Il estime cependant que celui-ci doit être déclaré non fondé vu le non-respect de la Convention belgo-marocaine. Quant à la mutuelle, elle a commis une faute dans son devoir d’information. Celle-ci est en lien causal avec le dommage subi, qui peut être évalué à 75 % de la perte de chance de percevoir les indemnités d’incapacité.

La décision du tribunal

Le tribunal admet que la fermeture de l’espace aérien constitue un cas de force majeure, celle-ci cessant à la réouverture des frontières. Le délai de recours était de trois mois après cette date, expirant ainsi le 10 juin 2022. Constatant que la requête a été déposée le 20 septembre 2022, il ne peut que conclure à son irrecevabilité, les décisions notifiées comportant les mentions légales prévues par la Charte de l’assuré social. Ceci pour les huit premières décisions prises.
La dernière, datant du 9 juin 2022, ne comportant pas, cependant, ces mentions, le délai de recours n’a pas commencé à courir, ce qui rend la requête du 20 septembre 2022 recevable.

Quant au fondement, le tribunal examine les articles 10 et 11 de la Convention générale sur la sécurité sociale entre le Royaume de Belgique et le Royaume du Maroc du 24 juin 1968 et l’Arrangement administratif du 18 février 2014. Il en reprend les dispositions pertinentes.

Sur le plan de la preuve, il rappelle les obligations des parties, étant l’article 870 du Code judiciaire ainsi que les articles 8.4, al. 3 et 8.6 du nouveau Code civil.

Le tribunal ne peut que conclure que la procédure n’a pas été respectée, les formulaires prévus par l’Arrangement administratif n’ayant pas été transmis. Il relève cependant les « efforts pour régulariser la procédure » du demandeur, sur la base des courriers successifs transmis exigeant le document BM111. Il note que ce n’est que le 17 mars 2022 qu’a été exigé le (bon) document BM116, document qui, malgré la démarche spéciale que l’intéressé a faite en retournant au Maroc, n’a pas été rempli par les autorités marocaines, s’agissant alors de faire un rapport rétroactif et l’état de santé et d’incapacité de l’intéressé pendant la période litigieuse ne pouvant plus être constaté.

Il conclut dès lors au non-fondement de la demande relative aux indemnités, au motif du non-respect de la procédure.

Cependant, relevant ici que l’affaire a été examinée lors de six audiences, il retient que la Charte de l’assuré social n’a pas été respectée, en ses articles 3, 4 et 6, relatifs aux obligations d’information et de conseil des institutions de sécurité sociale, ainsi qu’à celle leur imposant d’utiliser dans leurs rapports avec l’assuré social, quelle qu’en soit la forme, un langage compréhensible pour le public.

Il y a dès lors une faute extra-contractuelle (le tribunal rappelant que celle-ci consiste en un manquement soit à une règle légale imposant ou interdisant un comportement déterminé soit à la norme générale de prudence), les courriers prêtant à confusion et n’étant pas rédigés dans un langage suffisamment compréhensible et l’exigence du document BM111 étant erronée.

La faute est dès lors retenue – l’incapacité en elle-même n’étant pas remise en cause – et l’intéressé a subi un dommage spécifique. Le tribunal retient que celui-ci consiste en la perte certaine d’un avantage probable, étant qu’il y a une perte d’une chance d’être indemnisé (renvoyant à Cass., 28 janvier 2021, C. 18.0341. F). Conformément à l’avis du ministère public, le dommage est évalué à 75 % du montant des indemnités d’incapacité.


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