Commentaire de C.J.U.E., 19 décembre 2024, Aff. n° C-664/23 (Caisse d’allocations familiales des Hauts-de-Seine c/TX), EU:C:2024:1046
Mis en ligne le dimanche 11 mai 2025
Cour de Justice de l’Union européenne, 19 décembre 2024, Aff. n° C-664/23 (Caisse d’allocations familiales des Hauts-de-Seine c/TX), EU:C:2024:1046
Terra Laboris
Résumé introductif
Si dans la Directive 2011/98/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, figurent des dérogations au principe de l’égalité de traitement, celles-ci doivent être interprétées de manière stricte. En dehors de celles-ci, qui sont limitativement énumérées, une différence de traitement constitue par elle-même une violation de ce principe fondamental.
La valeur d’un considérant d’une directive qui n’est repris dans aucune des dispositions de celle-ci ne peut déroger à cette dernière.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Un citoyen arménien séjournant en France et titulaire d’une carte de séjour l’autorisant à y travailler sollicite le 1er avril 2014 le bénéfice des prestations familiales pour ses trois enfants. Deux de ceux-ci sont nés en dehors du territoire français et sont entrés en France de manière irrégulière.
Vu cette circonstance, la caisse d’allocations familiales refuse le bénéfice des prestations pour ces deux derniers.
Un recours est formé devant le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre, qui y fait droit par jugement du 21 décembre 2018. Cette décision est réformée par un arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 14 novembre 2019. La Cour de cassation française casse cet arrêt le 23 juin 2022, renvoyant l’affaire devant la même cour autrement composée.
Celle-ci interroge la Cour de justice, vu la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière. La loi subordonne en effet le versement des prestations familiales à l’exigence de l’entrée régulière de l’enfant sur le territoire français et, en particulier, pour ceux entrés dans le cadre d’un regroupement familial, à la production d’un certificat médical ad hoc. Pour la Cour de cassation, ces exigences sont objectives et justifiées. Les dispositions du code de sécurité sociale correspondantes ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit à la vie familiale (articles 8 et 14 de la C.E.D.H.). Le juge de renvoi fait également référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui confirmerait cette conclusion.
Il se réfère encore à la directive 2011/98/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 établissant une procédure de demande unique en vue de la délivrance d’un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider et à travailler sur le territoire d’un État membre et établissant un socle commun de droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui résident légalement dans un État membre.
Son article 12, paragraphe 2 sous b) donne en effet aux Etats membres la faculté de mettre des limites au droit à l’égalité de traitement en fonction du statut de certains ressortissants de pays tiers mais ne figure pas celle de déroger à ce droit en fonction des conditions dans lesquelles les membres de la famille sont arrivés sur le territoire de l’État membre d’accueil.
En outre, en ses considérants 20 et 24, la directive fait référence, pour la détermination des titulaires des droits garantis par elle, aux membres de la famille du travailleur issus d’un pays tiers qui ont été admis dans un État membre au titre de regroupement familial.
La cour pose dès lors la question de l’interprétation de l’article 12, paragraphe un, sous e) de la directive, étant de savoir s’il interdit pour la détermination des droits à une prestation de sécurité sociale de prendre en compte les enfants du titulaire du permis unique nés dans un pays tiers dès lors qu’ils ne sont pas entrés sur le territoire dans le cadre d’un regroupement familial ou que ne sont pas produits les documents permettant de vérifier la régularité de l’entrée sur le territoire, cette condition n’ayant pas lieu d’être exigée pour les enfants des allocataires nationaux ou les ressortissants d’un autre État membre.
La décision de la Cour
La Cour rappelle que chaque État membre conserve sa compétence entière pour organiser son régime de sécurité sociale. Il est dès lors libre de déterminer les conditions dans lesquelles celles-ci sont accordées ainsi que le montant des prestations et la période d’octroi. L’exercice de cette compétence doit cependant respecter les principes du droit de l’Union.
L’égalité de traitement en matière de sécurité sociale au sens du Règlement n°883/2004 est assurée aux ressortissants de pays tiers admis dans un État membre aux fins d’y travailler, ce qui est le cas des titulaires d’un permis unique.
Après avoir constaté que la personne placée dans la situation du requérant doit donc bénéficier de l’égalité de traitement avec les ressortissants français, la Cour examine la législation française, dont elle constate qu’elle réserve aux ressortissants de pays tiers titulaires d’un permis unique un traitement moins favorable que celui dont bénéficient les ressortissants français. Cette réglementation est contraire au droit à l’égalité de traitement de l’article 12 paragraphe un, sous e) de la directive.
Elle aborde ensuite la question préjudicielle à partir du doute émis par le juge de renvoi sur la question de savoir si l’égalité de traitement serait limitée au regroupement familial ou à ceux qui séjournent légalement sur le territoire.
Elle rappelle que la valeur d’un considérant d’une directive qui n’est repris dans aucune des dispositions de celle-ci ne peut déroger à cette dernière. L’on ne peut donc déduire du texte de celui-ci que les membres de la famille qui ne justifient pas d’une entrée régulière sur le territoire de l’État membre au titre de regroupement familial sont exclus du droit à l’égalité de traitement. Aucune disposition de la directive ne subordonne en effet le bénéfice de ce droit à une telle condition.
La Cour note encore que la question ne porte pas sur l’exigence d’un séjour régulier du ressortissant de pays tiers mais sur celle d’une entrée régulière sur le territoire des enfants pour lesquels les prestations sont demandées.
Elle renvoie à diverses reprises à son arrêt du 25 novembre 2020 (C.J.U.E., 25 novembre 2020, Aff. n° C-302/19, ISTITUTO NAZIONALE DELLA PREVIDENZA SOCIALE (INPS) c/ WS, EU:C:2020:957), rappelant que si des dérogations existent au principe de l’égalité de traitement, celles-ci doivent être interprétées de manière stricte et que en dehors de celles-ci, qui sont limitativement énumérées, une différence de traitement constitue par elle-même une violation de l’article 12, paragraphe un, sous e) de la directive. Elle renvoie également, par analogie, à son arrêt du 29 juillet 2024 rendu en Grande Chambre (C.J.U.E. (Gde Chbre), 29 juillet 2024, Aff. C-112/22 et 223/22 (CU et ND C/ PROCURA DELLA REPUBBLICA PRESSO IL TRIBUNALE DI NAPOLI, MINISTERO DELL’ECONOMIA E DELLE FINANZE et INPS), EU:C:2024:636).
Elle répond dès lors à la question posée que la disposition visée s’oppose à une réglementation en vertu de laquelle, afin de déterminer les droits des ressortissants de pays tiers titulaires d’un permis unique aux prestations de sécurité sociale, les enfants à sa charge nés dans un pays tiers ne sont pris en compte qu’à la condition de justifier de leur entrée régulière sur le territoire de l’État membre d’accueil.
Note : l’arrêt du 29 juillet 2024 (C.J.U.E. (Gde Chbre), 29 juillet 2024, Aff. C-112/22 et 223/22 (CU et ND C/ PROCURA DELLA REPUBBLICA PRESSO IL TRIBUNALE DI NAPOLI, MINISTERO DELL’ECONOMIA E DELLE FINANZE et INPS), EU:C:2024:636) a été précédemment commenté.