Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 3 septembre 2024, R.G. 2023/AN/106
Mis en ligne le dimanche 11 mai 2025
Cour du travail de Liège (division Namur), 3 septembre 2024, R.G. 2023/AN/106
Terra Laboris
Résumé introductif
L’exposition au risque de contracter une maladie professionnelle suppose que les conditions de travail puissent causer la maladie. Elle existe dès que la maladie a pu être provoquée par l’activité professionnelle. L’exercice de la profession doit être entendu au sens large, visant à la fois l’activité professionnelle, à savoir les tâches du travailleur et le milieu professionnel dans lequel il les exerce.
Le lien causal doit exister entre la maladie et l’exercice de la profession, notion qui diffère de celle d’exposition au risque professionnel. Il y a causalité lorsque la maladie ne serait pas survenue ou aurait été moins grave sans l’exercice de la profession, peu importe que coexistent d’autres causes, étrangères à celui-ci.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Un agent de police introduit le 30 juin 2021 une demande d’indemnisation pour maladie professionnelle hors liste. Ceci suite à une infection au SARS CoV-2.
La Zone de Police (ZP) refuse, au motif qu’il n’est pas établi que la maladie trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession, les premiers symptômes étant apparus vers le 21 février 2021, soit après la période de confinement complet. Le lien avec le métier de policier n’est dès lors pas établi.
La ZP précise que l’article 30bis des lois coordonnées le 3 juin 1970 suppose qu’il soit démontré de manière indiscutable que l’intéressé a contracté le Covid en raison de l’exercice de ses activités professionnelles, ce qui n’est pas établi en l’espèce.
Le jugement du tribunal
Le tribunal statue par jugement du 6 juin 2023.
Il acte que n’est pas contesté que l’intéressé ne remplit pas les conditions des codes 1.404.03, 1.404.04 et 1.404.05. N’est pas davantage contestée l’infection en cause.
Pour le tribunal, la présomption réfragable d’exposition au risque (occupation dans le secteur public) n’est pas renversée mais aucun élément ne permet de considérer que la maladie est en lien direct et déterminant avec l’exercice de la profession.
Le tribunal déboute dès lors l’intéressé, qui interjette appel.
Position des parties devant la cour
L’appelant demande que la maladie professionnelle soit reconnue dans le système hors liste et que la ZP soit condamnée à l’indemniser des incapacités temporaire et permanente ainsi que pour ce qui est des frais pharmaceutiques et médicaux.
Il considère qu’il apporte tous les éléments de fait démontrant qu’il est satisfait aux articles 30bis et 32 des lois coordonnées, la maladie ayant été contractée en exerçant son métier. Il décrit ses conditions de travail, dont l’existence de nombreuses interventions lors desquelles la distance de 1,5 m n’a jamais pu être respectée, risque accru du fait que bon nombre de personnes qu’il côtoyait ne portaient pas de masque.
Ces éléments suffisent à établir que la maladie trouve sa cause déterminante et directe dans l’exercice de la profession. À supposer que ceci ne soit pas le cas, il sollicite la désignation d’un expert.
Par ailleurs, il conteste l’absence de contamination dans son entourage professionnel, un autre collègue ayant été contaminé et ayant continué à travailler jusqu’à son écartement intervenu le 1er mars 2021, ajoutant que l’employeur n’a jamais respecté les mesures imposées par le gouvernement.
Les deux parties intimées (ZP et Fedris) sollicitent la confirmation du jugement sauf en ce qu’il a estimé que la présomption d’exposition n’est pas renversée. À titre subsidiaire, elles sollicitent la désignation d’un expert avec une mission en plusieurs temps, en fonction de la reconnaissance ou non de l’exposition au risque.
Elles rappellent que le confinement était terminé en février 2021 et que toute la population avait retrouvé des contacts sociaux, le risque subi par l’intéressé n’étant pas nettement supérieur à la population en général.
Elles contestent tout risque de contamination par un collègue et estiment en conséquence que la présomption d’exposition au risque est renversée ou à tout le moins qu’elles apportent un commencement de preuve d’absence de cette exposition.
Rien n’établit donc, selon elles, que l’intéressé a contracté le virus dans son milieu professionnel, l’origine étant plutôt à rechercher dans le milieu familial ainsi que dans les transports en commun, etc.
La décision de la cour
La cour commence par rappeler, sur le plan des faits, que l’intéressé a contacté son médecin le 20 février 2021 et qu’il a été mis en incapacité de travail jusqu’au 22, date à laquelle il a été testé positif. Ayant été plongé sous coma artificiel jusqu’au 19 mars 2021 (vu une pneumonie bilatérale compliquée d’une insuffisance respiratoire aiguë), il n’a pu reprendre le travail que le 1er septembre 2021, et ce à mi-temps, la reprise à temps plein étant intervenue le 2 janvier 2022.
L’arrêt rappelle ensuite le cadre légal, soulignant que la loi du 3 juillet 1967 ne contient aucune condition liée à l’exposition au risque, celle-ci ainsi que ses modalités figurant dans les arrêtés royaux d’exécution.
L’arrêté royal applicable (étant l’arrêté royal PjPol du 30 mars 2001 portant la position juridique du personnel des services de police) reprend la présomption selon laquelle tout travail exécuté dans des administrations, services, établissements et institutions est présumée jusqu’à preuve du contraire avoir exposé la victime au risque professionnel de la maladie.
Cette présomption n’est pas, suite à un arrêt de la Cour de cassation du 18 décembre 2018 (Cass., 18 décembre 2018, S.18.0011.F), limitée aux seules maladies professionnelles de la liste.
Pour ce qui est de la notion d’exposition au risque professionnel, la cour renvoie à une décision de la Cour du travail de Liège div. Liège, du 9 septembre 2020 (R.G. 2019/AL/344), selon laquelle cette exposition suppose que les conditions de travail puissent causer la maladie. Elle existe dès lors que la maladie a pu être provoquée par l’activité professionnelle.
La présomption peut être renversée s’il est établi que le milieu professionnel n’a pas soumis la victime au danger potentiel de contracter la maladie ou de l’aggraver, soit parce que l’influence nocive potentielle est inexistante soit qu’elle est insuffisante pour constituer un danger, et ce compte tenu des spécificités propres à la victime. La cour renvoie à la doctrine de S. REMOUCHAMPS (S. REMOUCHAMPS, " La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », R.D.S., 2013/2, page 500).
Cette auteure précise également qu’il y a causalité lorsque la maladie ne serait pas survenue ou aurait été moins grave sans l’exercice de la profession, peu importe que coexistent d’autres causes, étrangères à celui-ci. Il n’y a pas lieu non plus de prouver l’importance de l’influence de ces autres causes potentielles.
La cour rappelle encore que le lien causal doit exister entre la maladie et l’exercice de la profession, notion qui diffère de celle d’exposition au risque professionnel.
Cet exercice doit être entendu au sens large, visant à la fois l’activité professionnelle, à savoir les tâches du travailleur et le milieu professionnel dans lequel il les exerce.
En l’espèce, ne sont pas contestés ni la réalité de l’atteinte ni le fait que le débat se situe dans le cadre des maladies hors liste.
Pour la cour, la présomption légale n’est pas renversée, vu que dans l’exercice de sa profession l’intéressé était exposé régulièrement à des contacts rapprochés avec des tiers, ce qui rendait dans la pratique impossible le respect des règles de distanciation sociale. Il était, ainsi, nécessairement exposé à un risque accru de contamination.
En ce qui concerne la cause déterminante et directe visée à l’article 30bis, la cour fait grief à l’appelant de ne pas établir qu’il a été en contact avec un cas confirmé de Covid lors de ses activités professionnelles pendant la période de contamination, et ce ni par rapport à des collègues ni par rapport à des tiers.
Elle relève encore la fin du confinement complet.
L’appelant ne démontre dès lors pas que sans l’exercice de la profession il n’aurait pas été atteint par le COVID-19ou ne l’aurait pas été au même degré de gravité.
La cour refuse de désigner un expert, dans la mesure où ceci ne serait pas de nature dans le cas d’espèce à remettre en cause d’une part le fait que la profession exposait le policier à un risque accru de contamination par rapport à la population générale et de l’autre qu’il a tout aussi bien pu être contaminé dans le cadre de son activité professionnelle que dans celui de sa vie privée ou familiale.
Le jugement est dès lors confirmé.