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Non-respect par l’employeur de ses obligations en matière de bien-être au travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 septembre 2024, R.G. 2021/AB/643

Mis en ligne le lundi 12 mai 2025


C. trav. Bruxelles, 18 septembre 2024, R.G. 2021/AB/643

Résumé introductif

À supposer que le travailleur échoue à établir l’existence d’un harcèlement moral au travail, encore peut-il être admis que si sont constatés des manquements par l’employeur à ses obligations en matière de prévention et de protection des risques psychosociaux, il peut y avoir lieu à indemnisation.

Il appartient au travailleur dans cette hypothèse d’établir la faute, le préjudice subi et le lien de causalité.

En la matière, en effet non seulement sont protégés les travailleurs victimes de violence ou de harcèlement au travail mais également tout travailleur qui se plaint d’en être victime ou qui fait état d’une souffrance due à une charge psychosociale au travail.

Dispositions légales

  • Loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail - articles 32bis, 32decies, § 1/1 et 32undecies
  • Loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail - articles 5, 32/1, 32/2 et 32quater
  • Code du bien-être au travail - articles I.2–11, I.2–13, I.3–1 et I.3–4

Analyse

Faits de la cause

Une employée preste depuis le 1er décembre 1995 pour une association internationale. Elle appartient au personnel de cadre de celle-ci et dépend directement de la secrétaire générale.

Un nouveau secrétaire général est désigné en novembre 2016, l’association rencontrant à ce moment certaines difficultés, notamment vis-à-vis de certains partenaires.

Des tensions apparaissent rapidement entre la nouvelle personne désignée et l’employée.

Malgré ceci, l’évaluation intervenue en juillet 2017 est positive.

En fin d’année, une nouvelle organisation est mise en place, entraînant une modification des tâches de l’intéressée, qui se voit déchargée de la communication et attribuer d’autres responsabilités en matière de relations avec les organes dirigeants. La fonction semble cependant mal définie.

En décembre, l’employeur met unilatéralement fin au contrat de travail, l’intéressée devant prester un préavis de 19 mois et de 13 semaines.

Celle-ci adresse, à ce moment, divers griefs au nouveau secrétaire général.

Elle tombe en incapacité de travail le 2 janvier 2018.

Les motifs concrets du licenciement étant demandés, l’employeur répond, via son conseil, que celle-ci a adopté une attitude négative et agressive vis-à-vis du secrétaire général et que le nouveau mode de fonctionnement de l’association n’a pas permis la poursuite de la collaboration. Des précisions sont données quant à des faits concrets. Il s’agit essentiellement de motifs liés à la conduite de l’intéressée.

Celle-ci saisit le service externe de prévention et de protection au travail l (CESI)et formule une demande d’intervention psychosociale formelle à caractère principalement collectif eu égard au style de management « toxique » du secrétaire général.

Fin mars 2018, elle est dispensée de la prestation du préavis.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles.

La procédure devant le tribunal du travail

Le tribunal a, par un premier jugement du 13 décembre 2019, demandé au CESI de déposer le rapport de l’intervention psychosociale et à l’association de produire le rapport d’évaluation de son secrétaire général ainsi que celui de la demanderesse. Une enquête a été ordonnée en vue d’entendre un témoin sur un fait unique, étant que la demanderesse se serait plainte de faits de harcèlement de la part du secrétaire général.

Il a statué par jugement du 2 avril 2021 quant au fond, l’intéressée postulant des dommages et intérêts pour harcèlement, ainsi que pour violation des obligations en matière de bien-être et encore une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable. Le tribunal a condamné solidairement le secrétaire général et l’association à une indemnité pour harcèlement et cette dernière (uniquement) à 5 000 € de dommages-intérêts pour violation des obligations en matière de bien-être. Il a également fait droit à la demande d’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.

La décision de la cour

La cour réforme le jugement du tribunal en ce qui concerne la demande d’indemnité pour harcèlement, estimant que l’employée n’établit pas de fait permettant de présumer que le secrétaire général l’aurait harcelée moralement.

Ainsi, sa déclaration écrite ne peut constituer une preuve, s’agissant d’allégations unilatérales d’une partie n’étant pas appuyées par d’autres éléments. Le rapport du CESI ne révèle pas davantage des conduites abusives (même s’il contient des recommandations à destination de la ligne hiérarchique concernant les risques psychosociaux). Les autres éléments récoltés ont certes fait apparaître des difficultés relationnelles, mais l’existence d’un comportement abusif n’est pas avérée.

Par contre, la restructuration est établie, dont le retrait d’une fonction, les conditions de modification de celles-ci n’étant cependant pas étayées. La cour relève cependant qu’elle concernait toute l’association et ne visait pas exclusivement l’intéressée.

Rien ne permet dès lors de déceler dans la modification de fonctions, qui s’inscrit dans un contexte de réorganisation globale, un comportement abusif du secrétaire général susceptible de conduire à du harcèlement moral.

Pour ce qui est des dommages et intérêts réclamés pour violation par l’employeur de ses obligations en matière de bien-être au travail, la cour, renvoyant à la loi du 4 août 1996 en ses articles 5, 32/1, 32/2 et 32quater ainsi qu’au Code du bien-être au travail pour ses articles I.2–11, I.2–13, I.3–1 et I.3–4, rappelle l’économie des dispositions légales.

En matière de risques psychosociaux, non seulement sont protégés les travailleurs dont il est démontré qu’ils sont victimes de violence ou de harcèlement au travail mais également, à un stade antérieur, tout travailleur qui se plaint d’en être victime ainsi que tout travailleur qui fait état d’une souffrance due à une charge psychosociale au travail.

Elle reprend ici l’enseignement de la Cour du travail de Bruxelles dans un autre arrêt (C. trav. Bruxelles, 26 mai 2020, R.G. 2017/AB/407), rappelant également les obligations de l’employeur en matière de prévention et de protection. En cas de manquement, l’employeur peut être sanctionné par une indemnisation, pourvu que le travailleur démontre la faute, le préjudice subi et le lien de causalité.

En l’espèce, les éléments soumis à la cour lui permettent de conclure que bien qu’informé de la souffrance au travail ressentie par l’employée du fait d’une charge psychosociale importante liée à la modification de sa fonction et à sa relation conflictuelle avec le secrétaire général, l’employeur n’a pas fourni à l’employée l’accueil et le conseil requis comme prévu à l’article 32quater de la loi.

Les mesures de prévention du risque psychosocial que la cour qualifie de « pourtant évident » n’ont pas été adoptées.

Elle en vient, enfin, à l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable et, reprenant encore le même contexte factuel, elle conclut que les motifs invoqués ne sont pas établis. L’association faisant valoir que l’employée aurait tenu des « propos relativement violents », la cour souligne qu’il faut les replacer dans leur contexte, eu égard notamment à la circonstance que l’employeur n’a pas réagi en temps utile pour prévenir le risque de souffrance au travail.

Elle conclut à l’octroi d’une indemnité équivalente à 10 semaines de rémunération. Elle précise que l’intensité du caractère déraisonnable du licenciement était moyenne eu égard aux circonstances (réorganisation, difficultés d’y intégrer l’intéressée, problèmes de communication et isolement). Dans son appréciation du quantum de l’indemnité, la cour retient par ailleurs la longue ancienneté (plus de 20 ans) de l’intéressée au sein de l’association.


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