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Absence de déclaration d’un travailleur : conséquences sur le plan judiciaire en cas d’accident travail

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 28 octobre 2024, R.G. 2022/AB/669

Mis en ligne le mardi 13 mai 2025


C. trav. Bruxelles, 28 octobre 2024, R.G. 2022/AB/669

Résumé introductif

Lorsque la situation examinée est antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 25 août 2012 et qu’elle n’a pas des effets qui se prolongeraient encore au moment où celle-ci a été adoptée, les présomptions légales d’existence d’un contrat de travail ne peuvent pas valoir et il y a lieu de se référer aux critères généraux de la qualification de la relation de travail fixés par la loi du 27 décembre 2006.

Le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal s’impose à toutes les parties à la procédure devant le juge civil. Sa portée a cependant été restreinte notamment à l’aune du droit à un procès équitable, une partie devant pouvoir bénéficier des éléments de preuve réfutant les éléments déduits du procès pénal qui seraient fournis par un tiers à la procédure.

Dispositions légales

  • Loi-programme (I) du 27 décembre 2006 - article 337/2
  • Loi du 25 août 2012 modifiant le titre XIII de la loi programme (I) du 27 décembre 2006 en ce qui concerne la nature des relations de travail
  • Arrêté royal du 7 juin 2013 pris en exécution de l’article 337/2, § 3, de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006 en ce qui concerne la nature des relations de travail qui se situentxxxxx dans le cadre de l’exécution de certains travaux immobiliers
    Analyse

Faits de la cause

En 2008, un ouvrier peintre, de nationalité polonaise, était occupé à faire des travaux de peinture d’une façade pour le compte d’un entrepreneur, lorsqu’il fit une chute de plusieurs mètres d’une échelle.

Il resta seul et sans soins jusqu’en début de soirée, lorsque le client, rentré à son domicile, constata qu’il gisait sur le sol. L’entrepreneur fut appelé et embarqua l’intéressé à l’hôpital dans sa propre voiture.

Il y fut constaté que le travailleur avait subi une fracture de la quatrième vertèbre lombaire.

Le FAT (actuellement Fedris) mena une enquête mais, vu les déclarations contradictoires des parties, ne put constater d’infraction à la législation en matière d’accident du travail.

L’inspection sociale effectua par la suite une enquête sur les conditions de l’occupation de l’intéressé. Son rapport fut transmis à l’O.N.S.S. aux fins de régularisation.

L’Office contacta l’entrepreneur par courrier du 26 mars 2010, communiquant le décompte des cotisations dues, suite à la conclusion de l’enquête qu’il y avait contrat de travail.

Il rappelait que, dans le cadre de l’enquête sociale, le travailleur avait confirmé qu’il travaillait pour le compte de l’entrepreneur depuis plusieurs années sans être déclaré alors qu’il n’avait pas le statut d’indépendant.

Les déclarations faites par ce dernier confirmaient en outre l’occupation habituelle et l’absence de toute démarche aux fins de régulariser le statut de l’intéressé.

Aucun recours n’a été introduit contre cette décision.

Rétroactes de procédure

Une procédure pénale a été initiée par l’auditeur du travail devant le Tribunal correctionnel de Nivelles par citation du 7 juillet 2010.

L’O.N.S.S. a pour sa part lancé citation devant le tribunal du travail du Brabant wallon (division Nivelles) le 20 août 2010, en vue d’obtenir le paiement des cotisations ainsi que les majorations et intérêts. Le FAT (actuellement Fedris) a également introduit une procédure.

Par jugement du 18 mai 2011, le tribunal correctionnel a considéré que la preuve du lien de subordination n’était pas apportée à suffisance de droit.

Appel a été interjeté de ce jugement et par arrêt du 11 février 2014 la cour d’appel de Bruxelles a confirmé celui-ci sur la question de l’absence de contrat de travail.

La décision de la cour du travail

La cour statue dans le cadre de l’affaire O.N.S.S.

Elle rappelle en premier lieu les principes en matière d’assujettissement au régime de sécurité sociale des travailleurs salariés ainsi que ceux guidant la qualification de la relation de travail.

Sur ce second point, elle reprend l’apport de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006 ainsi que les travaux préparatoires et les présomptions légales. Des présomptions de contrat de travail ont été instaurées dans certains secteurs par la loi-programme du 25 août 2012 modifiant le titre XIII de la précédente afin de lutter contre la fausse indépendance dans certains secteurs sensibles. Il s’agit des travaux immobiliers, du nettoyage, du gardiennage et du transport de choses et/ou de personnes pour le compte de tiers (hors service d’ambulances et transport de personnes avec handicap).

Ainsi, un arrêté royal du 7 juin 2013 a été pris en exécution de l’article 337/2, § 3, de la loi programme (I) du 27 décembre 2006 en ce qui concerne la nature des relations de travail dans le cadre de l’exécution de certains travaux immobiliers (dont les travaux relevant de la commission paritaire de la construction - CP 124).

La cour se saisit ensuite d’un point important, eu égard à la décision rendue par la cour d’appel sur le plan pénal. L’appelant s’appuyait, en effet, en première instance, sur l’autorité de la chose jugée de l’arrêt du 11 février 2014, qui a considéré qu’il n’y avait pas contrat de travail.

La cour reprend dès lors les principes applicables à l’autorité de la chose jugée au pénal.

Elle en souligne le caractère erga omnes mais rappelle que la Cour de cassation a restreint la portée de celui-ci, eu égard notamment à l’article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui consacre la notion de procès équitable.

Pour la Cour de cassation, l’autorité de la chose jugée au pénal ne fait en effet pas obstacle à ce que, lors d’un procès civil ultérieur, une partie ait la possibilité de contester les éléments déduits du procès pénal, dans la mesure où elle n’était pas partie à l’instance pénale ou dans la mesure où elle n’a pu librement y faire valoir ses intérêts (avec renvoi notamment à Cass., 7 mars 2008, C.06.0253.F et Cass., 24 avril 2006, S.05.0075.N).

Par ailleurs, dans un important arrêt du 14 février 2019 (C. Const., 14 février 2019, n° 24/2019), la Cour constitutionnelle s’est également prononcée en faveur d’une extension de la relativisation de ce principe à toutes les parties à la procédure devant le juge civil, et ce, comme la cour du travail le souligne, même à l’égard des parties qui ont pu faire valoir librement leurs moyens de défense devant le juge pénal, dans la mesure où elles doivent également pouvoir bénéficier des éléments de preuve réfutant les éléments déduits du procès pénal qui seraient fournis par un tiers à la procédure.

La cour note que l’appelant a abandonné cet argument en degré d’appel.

Elle passe dès lors à l’examen des présomptions légales. S’agissant en effet de travaux exécutés dans le secteur immobilier, la présomption de l’article 337/2 joue.

Cependant, la période d’occupation est antérieure - celle-ci allant de 2006 à 2008 et la décision de l’O.N.S.S. étant prise en mars 2010.

Aussi faut-il vérifier la question de l’application de la loi dans le temps.

En droit, la cour rappelle que ce n’est pas parce qu’une loi s’applique à des faits antérieurs à son entrée en vigueur qu’elle est rétroactive. Ceci ne pourrait arriver que dans trois hypothèses étant quand elle s’applique (i) à des situations juridiques instantanées produites avant son entrée en vigueur, (ii) aux effets passés d’une situation juridique toujours en cours ou (iii) à des situations successives qui sont nées, se sont développées et se sont éteintes avant son entrée en vigueur.

En l’espèce, la situation en cause étant née avant son entrée en vigueur et n’ayant pas des effets qui se prolongeraient encore au moment où elle a été adoptée, la loi nouvelle ne peut s’appliquer.

Par ailleurs, même s’il s’agit de lutter contre la fraude sociale, la loi de 2012 n’a pas d’effet rétroactif. Les présomptions ne peuvent dès lors pas jouer.

En conséquence, la cour procède à l’analyse des critères généraux.

Pour ce qui est de la volonté des parties, elle puise dans leurs déclarations respectives qu’elles ne semblent pas aller dans le sens d’une volonté de collaboration dans cadre d’une relation indépendante. En outre, le travailleur n’avait aucune liberté d’organiser son temps de travail, ainsi que ceci ressort de diverses déclarations. L’organisation du travail était, de même, de la seule compétence du commettant, le travailleur devant exécuter les prestations demandées et utilisant les outils de travail de son employeur. Enfin, celui-ci pouvait exercer un contrôle hiérarchique.

La cour suit donc la position de l’O.N.S.S., qui a qualifié la relation de travail de contrat de travail salarié devant faire l’objet du paiement de cotisations à l’ONSS.

La décision administrative est dès lors confirmée, ainsi que le jugement.

Les indemnités de procédure sont taxées à 2 200 € pour la première instance et 3 000 € pour l’instance d’appel.


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