Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 14 octobre 2024, R.G. 23/1.294/A
Mis en ligne le mardi 13 mai 2025
Trib. trav. Hainaut (div. Mons), 14 octobre 2024, R.G. 23/1.294/A
Résumé introductif
Une plus-value de cessation peut être décomptée de la base de calcul des cotisations sociales uniquement si l’affilié clôture son assujettissement au statut social des indépendants dans l’année de la réalisation de celle-ci ou au plus tard le 31 décembre de l’année civile qui suit cette réalisation.
Le recouvrement des cotisations de régularisation et accessoires se prescrit par cinq ans à compter du 1er janvier de la troisième année qui suit l’année de cotisations.
Une société commerciale qui a cédé son fonds de commerce sans en prendre un autre est en veilleuse. Elle n’a dès lors plus la moindre activité commerciale et le fait de récupérer quelques créances ne constitue pas la preuve d’une telle activité. Il en va de même en cas d’aveu de faillite ou de mise en liquidation.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Une infirmière a exercé comme indépendante en personne physique pendant près de quatre ans (juillet 2011 – mars 2015). Pendant la même période (en réalité une période plus large allant de décembre 2008 à janvier 2017), elle a été gérante d’une SPRL active dans le même secteur.
En mars 2015, elle a cédé la patientèle de la société à une autre SPRL (soins à domicile) et a fait radier son numéro BCE en tant que personne physique. Elle est alors devenue salariée de la société cessionnaire.
Une procédure a été entamée le 2 décembre 2016 par sa caisse d’assurances sociales en vue d’obtenir le paiement de cotisations pour les 2e, 3e et 4e trimestres 2015 (procédure dirigée contre elle et contre la société dont elle était gérante).
Celle-ci a alors rédigé un ‘rapport spécial’ décidant de la liquidation de la société.
En janvier 2017, la SPRL a ainsi été dissoute anticipativement et mise en liquidation. Un pouvoir particulier lui a été donné pour clôturer tous les comptes et faire le nécessaire dans le cadre de la liquidation.
Les revenus de l’intéressée pour l’année 2015 étant alors connus, la caisse a fait une demande de régularisation des cotisations sociales, majorant le montant initialement réclamé.
L’INASTI prit position sur le dossier en mars 2018 (existence ou non d’une activité) et informa la caisse qu’il y avait eu cessation de l’activité personnelle à la date du 31 mars 2015 mais, l’intéressée ayant continué à être associée gérante dans une SPRL, qu’une cessation à la date sollicitée ne pouvait être admise.
Sur le plan fiscal, celle-ci contesta les revenus taxables retenus par l’administration fiscale. La réclamation n’aboutit pas.
En conséquence, en mai 2019, la caisse reprit contact avec elle, rectifiant une nouvelle fois le montant réclamé, les cotisations étant fortement majorées (de l’ordre de 16 600 € avec intérêts et frais) eu égard aux revenus finalement retenus par le fisc.
Un échange de courrier intervint alors entre parties, la caisse justifiant le montant au motif que la réclamation fiscale introduite n’avait pas reçu de suite favorable, une plus-value de cessation devant être prise en compte pour le calcul des cotisations sociales.
La caisse précisait qu’une telle plus-value peut être décomptée de la base de calcul uniquement si l’affilié clôture son assujettissement au statut social des indépendants dans l’année de la réalisation de celle-ci ou au plus tard le 31 décembre de l’année civile qui suit cette réalisation. L’intéressée a clôturé, en l’espèce, son assujettissement à la date de la dissolution de la SPRL dont elle était gérante, étant le 30 janvier 2017.
La procédure initiée en 2016 fut abandonnée (étant – de l’accord des parties -considérée sans objet).
Néanmoins, le 21 octobre 2022, la caisse adressa un courrier recommandé (interruptif de prescription), demandant alors paiement d’un montant de l’ordre de 22 000 € pour l’ensemble de l’année.
Une contrainte fut décernée.
L’intéressée a fait opposition à celle-ci.
La décision du tribunal
Le tribunal rappelle l’obligation faite aux caisses par l’article 46 de l’arrêté royal portant règlement général en exécution de l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants du 19 décembre 1967, étant l’obligation d’envoyer à l’assujetti avant la contrainte ou avant le recouvrement judiciaire une lettre recommandée, contenant à peine de nullité certaines mentions.
Cette disposition a amené la Cour de cassation à préciser dans un arrêt du 3 mai 2010 (Cass., 3 mai 2010, S.09.0031.N) que le but de cette obligation est d’éviter le recouvrement par voie judiciaire et les dépens résultant de cette procédure. Il s’agit d’une obligation de diligence mise à charge des caisses envers les assujettis. Son non-respect peut être soumis à la sanction du juge mais ne s’oppose pas à ce que les caisses procèdent au recouvrement judiciaire des cotisations.
En l’espèce, le rappel avant contrainte n’a pas été adressé par voie recommandée. Le tribunal ne peut que conclure au non-respect de l’article 46 ci-dessus. Néanmoins celui-ci n’interdit pas le recouvrement par voie de procédure, aucune autre conséquence ne pouvant être tirée de ce manquement.
Le tribunal vérifie ensuite la prescription de la demande, rappelant que, en vertu de l’article 16, § 2, de l’arrêté royal n° 38, celle-ci peut être interrompue (notamment) par lettre recommandée émanant de l’organisme chargé du recouvrement ou de l’INASTI.
En l’espèce, la contrainte vise uniquement les cotisations de régularisation et accessoires. Le recouvrement de celles-ci se prescrit par cinq ans à compter du 1er janvier de la troisième année qui suit l’année de cotisations. La demande n’est dès lors pas prescrite, et ce pour l’entièreté de la période.
Après le rappel des principes en matière d’assujettissement, le tribunal s’attache à la question des mandataires de société. Pour échapper à la présomption légale, ceux-ci doivent démontrer la gratuité « de fait » et « de droit » du mandat.
Il reprend assez longuement la doctrine (M. VERWILGHEN, C. WATTERCAMPS et S. GILSON, « L’assujettissement au régime des travailleurs indépendants des mandataires de société commerciale : le caractère simple des présomptions et le renversement », in J.T.T., 2016/19, n° 1253, pp. 295 – 302) sur les conditions de la gratuité de fait et de droit ainsi que sur l’étendue de la preuve à apporter.
Il s’agit en l’espèce du renversement de la présomption portant sur l’exercice d’une activité professionnelle de travailleur indépendant et plus spécifiquement de l’établissement de la preuve du caractère non lucratif de celle-ci, cette doctrine précisant que le renversement peut également intervenir sur la base des autres critères sociologiques, étant notamment l’absence d’exercice effectif et habituel de l’activité.
Il renvoie à une déclaration du ministre, selon laquelle la jurisprudence estime qu’en principe l’exercice d’un mandat social constitue toujours une activité régulière et habituelle et qu’il ne sera dès lors pas possible de fournir la preuve contraire, sauf dans des cas exceptionnels.
Le tribunal cite à ce propos un arrêt particulièrement documenté rendu par la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège (sect. Namur), 16 octobre 2007, R.G. 8.357/2007) sur l’exercice (ou non) de l’activité professionnelle en cas de cession du fonds de commerce.
La cour y a en effet précisé qu’une société commerciale qui a cédé son fonds de commerce sans en prendre un autre est en veilleuse. Elle n’a dès lors plus la moindre activité commerciale et le fait de récupérer quelques créances ne constitue pas la preuve d’une telle activité. Il en va de même en cas d’aveu de faillite ou de mise en liquidation, cette situation n’étant pas en elle-même un acte révélateur de l’exercice d’une activité professionnelle commerciale mais un acte isolé de gestion, ainsi lorsqu’il est posé plusieurs mois, voire plusieurs années, après le dernier acte commercial.
Par ailleurs, vu le caractère d’ordre public de la législation, si une activité n’est plus exercée, il n’y a plus lieu à assujettissement, et ce même si les formalités exigées par le droit commercial n’ont pas été remplies ou l’ont été tardivement.
En l’espèce, l’intéressée a conservé sa qualité de gérante jusqu’au 30 janvier 2017 et le mandat entraîne la présomption d’exercice de l’activité indépendante.
Cette présomption pouvant être renversée, le tribunal examine d’abord le critère de l’absence de lucre, étant que celle-ci devrait établir qu’il n’y a pas eu de revenus (gratuité en fait) et que ce mandat ne pouvait pas davantage en produire (gratuité en droit). Or elle a perçu des revenus d’indépendant pour cette période.
Par ailleurs, le jugement ne retient pas qu’il n’y aurait plus eu d’activité effective, et ce eu égard à toute une série d’éléments, ainsi le fait d’avoir conservé la qualité de gérante, d’avoir signé une convention de cession de patientèle, d’avoir approuvé les comptes, de les avoir déposés, d’avoir rédigé un rapport spécial décidant de la mise en liquidation et encore d’avoir tenu une assemblée générale). Il souligne également que les comptes pour cette année font apparaître, malgré une perte d’exploitation, des actifs circulants pour un montant très élevé.
L’activité de gérante a dès lors été effectivement exercée. Elle n’a pas été limitée à la liquidation de la société, le tribunal retenant en outre que la volonté de dissolution n’est apparue qu’un an plus tard.
Il fait dès lors droit à la demande de la caisse.