Commentaire de C. trav. Bruxelles, 1er octobre 2024, R.G. 2023/AB/454
Mis en ligne le mardi 13 mai 2025
C. trav. Bruxelles, 1er octobre 2024, R.G. 2023/AB/454
Résumé introductif
La clause sur préavis conclue avant le 1er janvier 2014 et applicable après cette date est valable si elle est plus favorable au travailleur.
Si une convention est proposée en cas de licenciement, contenant les modalités de rupture et qu’elle ne constitue pas une transaction, les parties peuvent être restées liées en outre par une disposition contractuelle contenant une clause sur préavis. L’employé peut dès lors solliciter le paiement des deux.
Les deux contrats sont clairs et le juge ne peut refuser d’en faire application. Il s’agit du principe d’exécution de bonne foi des conventions.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Un employé engagé en 2006 par une entreprise pharmaceutique pour occuper des fonctions supérieures dans son département des ressources humaines y a gravi les échelons, assumant en 2019 la direction de plusieurs sites et faisait partie des « N-1 » de son comité exécutif.
A cette époque, une réflexion d’ensemble a été entamée en vue de restructurer la partie supérieure de l’organigramme de la société.
Des discussions sont alors intervenues en ce qui le concernait personnellement. Il lui fut demandé de prester encore 15 mois, avant le transfert de la direction du site et les conditions et modalités de rupture de son contrat de travail ont été envisagées.
Une convention a en fin de compte été signée, prévoyant que le contrat prendrait fin le 31 décembre 2020 et qu’une indemnité compensatoire de préavis de 15 mois serait payée, ainsi que divers montants qui devraient être calculés « au moment de la sortie ».
Une autre convention fut signée près de trois mois avant la fin de la durée des prestations, en vue d’une dispense de celle-ci pour la période du 19 octobre au 31 décembre 2020.
Un projet de calcul des montants lui revenant lui a alors été transmis, ce qui a donné lieu à de nouveaux échanges.
Un courrier recommandé lui fut envoyé le 31 décembre 2020, précisant certains points (obligation de confidentialité, procédure d’outplacement ainsi que possibilité de poursuivre individuellement son assurance DKV).
Un échange de courriels intervint encore en ce qui concerne les montants et un texte final de convention de « fin de collaboration » lui fut envoyé le 12 janvier 2021 signé par l’employeur – convention qu’il ne signera pas en ce qui le concerne.
L’intéressé demandera ultérieurement que lui soit communiqué une copie de son contrat de travail, ce que la société refusera.
La demande en justice
Une requête fut introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles.
Le demandeur invoque l’article 19, alinéa 3, du Code judiciaire et sollicite qu’il soit fait injonction à la société de produire le contrat de travail ainsi que tous les avenants éventuels intervenus.
Cette production sera ordonnée par un jugement du 30 novembre 2021, avec astreinte.
La décision au fond interviendra par jugement du 18 avril 2023.
Le jugement dont appel
Le tribunal a fait droit aux demandes de l’intéressé, qui réclamait un complément d’indemnité compensatoire de préavis équivalent à 15 mois de rémunération, soit un montant de l’ordre de 573 000 € (montant très légèrement modifié par le tribunal), la société étant également condamnée à une indemnité de procédure de 28 000 €.
Elle interjette appel.
La position des parties devant la cour
La société sollicite la réformation du jugement intervenu et la condamnation de l’intimé au paiement des dépens des deux instances. À titre subsidiaire, elle estime le comportement de l’intéressé abusif et demande sa condamnation à des dommages et intérêts à concurrence du coût patronal du complément d’indemnité de rupture à laquelle elle serait condamnée, avec compensation des dépens. Elle développe encore des arguments à titre infiniment subsidiaire.
Quant à l’intimé, il demande la confirmation du jugement ainsi que la condamnation de la société aux indemnités de procédure et introduit une demande de capitalisation des intérêts sur le montant en principal.
La décision de la cour
La demande, telle que circonscrite par la cour, tend à l’octroi d’un complément d’indemnité compensatoire de préavis, sur la base d’une disposition du contrat de travail. Le contrat signé en 2006 contient en effet une condition particulière au cas où la société viendrait à procéder au licenciement, étant qu’elle garantit le versement d’un préavis équivalent à 15 mois de salaire (avantages inclus), plus un mois par année complète d’ancienneté calculée au moment du départ (clause excluant le licenciement pour faute grave).
Le litige entre parties porte sur la validité de cette clause sur préavis, conclue avant 2014 et quant à son application effective après l’entrée en vigueur de la loi du 26 décembre 2013 concernant l’introduction d’un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d’accompagnement.
Ceci amène la cour à reprendre les principes relatifs aux clauses sur préavis conclues avant le 1er janvier 2014. La convention relative au délai de préavis (pour employés « supérieurs ») était autorisée par l’article 82, § 5 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. La validité de cette clause a été questionnée depuis l’entrée en vigueur de la loi du 26 décembre 2013, ses articles 67, 68 et 69 contenant un mode transitoire de détermination du préavis lorsque le contrat a pris cours avant le 1er janvier 2014.
La cour reprend l’article 67 (qui additionne les deux délais) et renvoie à deux arrêts de la même cour (C. trav. Bruxelles, 9 janvier 2018, J.T.T., 2018, page 167 et C. trav. Bruxelles, 30 mars 2018, J.T.T., 2018, page 156), qui ont admis que cette clause était applicable tant pour la première partie que pour la seconde pour autant qu’elle soit plus favorable pour le travailleur que les dispositions transitoires.
La Cour constitutionnelle a été saisie sur la première partie du délai (calcul eu égard à l’ancienneté de service acquise au 31 décembre 2013). Suite à son arrêt du 18 octobre 2018 (n° 140/2018), l’article 68, alinéa 3, a été abrogé et remplacé par un texte selon lequel pour les employés supérieurs (rémunération excédant 32 254 € au 31 décembre 2013) le délai de préavis est fixé à un mois par année d’ancienneté entamée avec minimum de trois mois sauf s’il existe une clause de préavis valable à cette date, auquel cas cette clause est appliquée.
La cour du travail souligne qu’ensuite la validité des clauses de préavis a été confirmée en jurisprudence (renvoyant à C. trav. Liège (div. Namur), 23 avril 2019, R.G. 2017/AN/208 et C. trav. Bruxelles, 1er octobre 2019, J.T.T., 2019, page 459).
Si cette question est réglée, elle rappelle dans l’arrêt commenté que pour la deuxième partie du délai de préavis subsiste une controverse et que la Cour constitutionnelle n’a pas été interrogée sur la question.
Elle conclut à la validité de la clause et procède à l’examen du deuxième point en débat, étant relatif à la convention conclue par les parties en fin de contrat, qui couvre « les conditions et modalités de la fin des relations de travail ».
Pour la société, il s’agit d’une convention de rupture d’un commun accord et cette convention est une transaction.
Ceci amène la cour à vérifier si les conditions de la transaction sont remplies et elle conclut que ce n’est pas le cas, une transaction ayant pour objet de terminer une contestation née ou de prévenir une contestation à naître. Elle doit comporter une clause de renonciation à des droits ainsi qu’un abandon de droits et contenir des concessions réciproques, ce qui n’est pas le cas.
Il a été mis fin aux relations contractuelles à la date du 31 décembre 2020, et ce tel que confirmé dans l’envoi recommandé de l’employeur.
Il en découle, pour la cour, que les parties sont liées par deux contrats distincts, valables et co-existants, dont l’un n’exclut pas l’autre et qui doivent être exécutés : d’une part le contrat de travail avec la disposition examinée et à laquelle il n’a jamais été renoncé et d’autre part la convention signée en fin de relations contractuelles, qui ne comporte pas de renonciation à un droit dans le chef de l’employé. Les deux contrats sont clairs et le juge ne peut refuser d’en faire application. L’arrêt renvoie ici au principe d’exécution de bonne foi des conventions.
Il conclut dès lors au bien-fondé de la demande. Le complément d’indemnité de préavis prévu par le contrat est dû.
La cour en vient, ensuite, à la détermination de la rémunération à prendre en compte, s’agissant de procéder à l’estimation des avantages contractuels (assurance hospitalisation, plans de pension).
Elle écarte, par conséquent, la demande de dommages et intérêts formée par la société au motif que l’intimé aurait commis un abus de droit en sollicitant l’application des deux clauses et fait droit à la demande de capitalisation des intérêts, rappelant les conditions prescrites par l’article 1154 de l’ancien Code civil.
Enfin, sur les dépens, la cour confirme le montant de l’indemnité procédure (taxée à 28 000 € par le tribunal), au motif de manquement dans le chef de la société à son obligation de collaborer loyalement à l’administration de la preuve par la production d’un document essentiel et pertinent dont elle était en possession depuis plusieurs années. Il s’agit d’une manœuvre déloyale et abusive à laquelle n’aurait jamais recouru une partie normalement prudente et raisonnable.