Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 septembre 2024, R.G. 2021/AB/81
Mis en ligne le samedi 17 mai 2025
C. trav. Bruxelles, 10 septembre 2024, R.G. 2021/AB/81
Résumé introductif
La loi du 3 juillet 1978 ne contient pas de définition particulière de l’envoi recommandé.
Par conséquent, il faut renvoyer aux textes généraux en la matière.
Cette notion comprend non seulement les envois recommandés de BPOST mais tout envoi recommandé physique tel que défini par la loi du 26 janvier 2018 relative aux services postaux ou les envois recommandés électroniques visés par la loi du 9 juillet 2001 fixant certaines règles relatives au cadre juridique pour les signatures électroniques et les services de certification.
En d’autres termes, l’envoi recommandé peut être fait par un autre organisme que BPOST pourvu que les conditions légales soient remplies.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Une société de services avait engagé une employée en janvier 2017 dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, pour occuper les fonctions de responsable opérationnelle.
Une clause d’ancienneté conventionnelle fut reprise dans le contrat de travail, lui donnant une ancienneté supplémentaire à partir du 23 décembre 2013. Il était précisé que cette ancienneté valait pour le calcul du délai de préavis et les congés liés à l’ancienneté.
Le 18 décembre 2018, son licenciement moyennant un préavis de 18 semaines lui fut notifié, et ce par courrier express adressé via TNT.
En avril 2019, l’employé signala que le licenciement n’avait pas été valablement notifié, s’agissant d’un courrier express envoyé de l’étranger. Elle déclara en conséquence considérer le préavis comme nul, le contrat étant censé se poursuivre.
Elle reprit dès lors le travail à l’issue d’une courte période de congé, ce dont elle informa l’employeur par mail le même jour.
Un courrier recommandé lui fut alors envoyé par le conseil de la société, confirmant la cessation du contrat suite au courrier du 18 décembre 2018. Était précisé qu’un nouveau courrier lui avait d’ailleurs été envoyé en ce sens début avril 2019, courrier qu’elle semblait ne pas avoir réceptionné.
L’intéressée chargea alors son propre conseil d’intervenir, ce que celui-ci fit immédiatement, réclamant, vu le caractère irrégulier du licenciement, le paiement d’une indemnité compensatoire de préavis ainsi que d’autres sommes.
Les motifs concrets du licenciement furent demandés et une mise en demeure en vue d’obtenir un outplacement fut également adressée à la société.
Malgré une nouvelle mise en demeure, celle-ci ne réagit pas.
L’employée introduisit, par conséquent, une procédure devant le Tribunal du travail du Brabant wallon (division Wavre) par requête du 13 août 2019.
La demande
Etaient postulées une indemnité compensatoire de préavis, l’amende civile (CCT n° 109) et une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable. L’employée demandait également la condamnation de la société à lui octroyer un outplacement ainsi que la délivrance des documents sociaux.
La décision du tribunal du travail
Le tribunal fit droit à une partie de la demande, allouant pour l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable le quantum demandé par l’employée. Il considéra que la rupture du contrat était intervenue le 16 avril 2019 et non auparavant. Il refusa cependant de reconnaître l’ancienneté conventionnelle prévue au contrat.
L’affaire fut renvoyée à une réouverture des débats pour ce qui est du reclassement professionnel ainsi que d’éventuels arriérés de rémunération. La société fut d’ores et déjà condamnée aux dépens.
L’objet des appels
L’appel principal de la société tend à mettre à néant le jugement rendu et à débouter l’employée de ses demandes en totalité, la condamnant ainsi aux dépens des deux instances.
Celle-ci forme un appel incident sur le quantum de l’indemnité compensatoire de préavis, qui avait été limitée et qu’elle entend voir fixée à trois mois et 18 semaines de rémunération et non simplement aux 18 semaines allouées par le premier juge. Sur les chefs de demande non tranchés, elle estime que le préjudice subi du fait du non octroi de l’outplacement doit être fixé à 1500 €. Elle forme également une demande détaillée d’arriérés de rémunération et sollicite la condamnation de la société aux entiers dépens.
La décision de la cour
Se pose, pour le premier chef de demande, la question de la validité du préavis.
Le courrier de TNT n’a en effet pas été envoyé, pour l’appelante, selon un procédé d’envoi recommandé et elle n’a d’ailleurs pas accusé réception de celui-ci.
La cour rappelle dès lors les principes fixés à l’article 37, § 1er, alinéa 4 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. Lorsqu’il est donné par l’employeur, le congé doit être notifié à peine de nullité par lettre recommandée à la poste (celle-ci sortissant ses effets le troisième jour ouvrable suivant la date de son expédition) ou par exploit d’huissier. Cette nullité ne peut être couverte par le travailleur et elle doit être constatée d’office par le juge, la cour rappelant le but du législateur, qui est d’éviter que les préavis soient antidatés aux fins de pouvoir prétendre immédiatement à des allocations de chômage.
En cas de préavis nul, l’arrêt rappelle qu’en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation le juge peut décider à partir des constatations de fait qu’en cas de poursuite des relations de travail pendant un délai raisonnable après le licenciement il y a renonciation tacite au droit d’invoquer la nullité avec effet immédiat. La nullité du préavis n’entache en effet pas la validité du congé et aucune disposition légale ne soumet la validité de celui-ci au respect de formalités particulières. En outre, la renonciation à invoquer le caractère immédiat du congé n’implique pas celle relative à la nullité absolue du préavis (avec renvoi notamment à Cass., 28 janvier 2008, S.07.0097.N et Cass., 11 avril 2005, S.04.0113.N).
La notion de ‘lettre recommandée à la poste’ n’est pas définie dans la loi. En conséquence, renvoi doit être fait à la loi du 26 janvier 2018 relative aux services postaux et plus particulièrement à son article 27.
Celui-ci précise qu’il faut entendre par lettre recommandée ou envoi recommandé l’envoi recommandé tel que défini à l’article 2, 9°, de la loi (c’est-à-dire par un service offrant une garantie forfaitaire contre les risques de perte, vol ou détérioration et fournissant à l’expéditeur, le cas échéant à sa demande, une preuve de la date du dépôt de l’envoi postal ou de sa remise au destinataire), ainsi que l’envoi recommandé électronique conformément au Règlement (UE) n° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la directive 1999/93/CE, et ce quel que soit le prestataire de services postaux par lequel l’envoi a été délivré.
Elle poursuit par la reprise d’autres définitions données dans la loi du 26 janvier 2018, étant ce qu’il faut entendre par services postaux, prestataires de services postaux et réseau postal.
Ces définitions sont assez larges.
La question a été soumise au Conseil d’État et la cour rappelle son arrêt du 9 juin 2011 (C.E. 9 juin 2011, n° 213. 817) ainsi que son commentaire doctrinal (fait par O. COENEGRACHTS, « L’envoi par Taxipost secur et l’exigence d’un courrier recommandé à la poste en droit du travail », Rev. dr. Ulg, 2013/2, pp. 141 et s.).
Il en ressort – et ceci a été rappelé dans les travaux préparatoires - que par ‘envoi recommandé à la poste’, par exemple, il faut comprendre non seulement les envois recommandés de BPOST mais tout envoi recommandé physique tel que défini par la loi du 21 mars 1991 (qui donne la même définition que l’article 2, 9° de la loi du 26 janvier 2018) ou les envois recommandés électroniques visés par la loi du 9 juillet 2001 fixant certaines règles relatives au cadre juridique pour les signatures électroniques et les services de certification. En d’autres termes, l’envoi recommandé peut être fait par un autre organisme que BPOST pourvu que les conditions légales soient remplies.
Cette jurisprudence du Conseil d’État a été rendue à propos de ‘Taxipost secur’ et l’auteur ci-dessus de préciser que pour les autres services postaux il faut vérifier les garanties forfaitaires contre les risques de perte, de vol ou de détérioration et s’ils fournissent à l’expéditeur le cas échéant à sa demande une preuve de la date de dépôt et/ou de sa remise au destinataire.
Il ajoute que selon la ratio legis de la loi, la règle qui impose la formalité du recommandé, les garanties en cas de perte, de vol ou de détérioration ne sont « pas nécessairement requises ». En cas de notification d’un congé (avec préavis ou pour motif grave), il s’agit de vérifier la prise de connaissance d’un acte juridique unilatéral réceptif (licenciement du préavis) et d’attester le respect d’un délai (licenciement pour motif grave).
Il est donc primordial que la notification permette d’obtenir les preuves requises au niveau de la date de dépôt de l’envoi et/ou de sa remise au destinataire, les autres garanties (vol et détérioration) n’étant pas indispensables.
Constatant en l’espèce que le courrier est parti de Suisse et que l’article 37, § 1er, alinéa 4, n’impose pas la transmission par BPOST et vu encore les termes de la loi du 7 janvier 2018 (« quel que soit le prestataire de services postaux par lequel l’envoi été délivré »), les services postaux étrangers ne sont pas exclus.
La poste suisse a sous-traité l’envoi du courrier à TNT et la cour vérifie, dans la loi fédérale suisse, les garanties assurées. Elle reprend ensuite le fruit de recherches qu’elle a effectuées sur Internet, dont il ressort que la société TNT Suisse poste a été constituée par la Poste suisse en association avec TNT, les deux sociétés collaborant étroitement. Les conditions générales de TNT prévoient des modalités en matière de responsabilité et il existe une possibilité de ‘Tracking’ et de confirmation de la date à laquelle le courrier a été remis (saisie électronique des adresses avec un code-barres).
Le courrier en l’espèce a dès lors été envoyé par recommandé le 18 décembre 2018 et remis le 19 décembre 2018 avec une adresse correcte.
Pour la cour, enfin, peu importe que l’intéressée l’ait signé ou non.
Elle réforme dès lors le jugement.
Par ailleurs, sur la clause d’ancienneté conventionnelle, elle relève que le contrat n’a pas pris cours avant le 1er janvier 2014 et que les dispositions des articles 68 et 69 de la loi du 26 décembre 2013 ne trouvent dès lors pas à s’appliquer, devant dès lors être pris en compte uniquement le délai de préavis prévu par la loi du 26 décembre 2013 sur la base du seul critère de l’ancienneté pour les contrats conclus à partir du 1er janvier 2014. (La cour renvoyant sur cette interprétation à C. trav. Liège (div. Liège), 20 novembre 2018, J.T.T., 2019, page 457).
La cour fait cependant droit à la demande d’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, l’employeur devant fournir la preuve des motifs invoqués (n’ayant pas communiqué ceux-ci conformément aux articles 5 ou 5 de la CCT n° 109). La preuve n’est pas apportée à suffisance de droit et la cour accorde une indemnité de six semaines.
Elle accueille également la demande de dommages et intérêts vu l’absence de reclassement professionnel, la société n’ayant formulé d’offre écrite ni après la notification du préavis ni dans le délai de 15 jours suivant la fin du contrat et n’ayant pas davantage réservé de suite à la demande contenue dans la lettre recommandée adressée ultérieurement par l’employée. Le préjudice découlant de cette faute est fixé à 1 000 €.
Enfin, elle déboute l’employée de sa demande d’arriérés de rémunération et compense les dépens.