Commentaire de C. trav. Bruxelles, 26 septembre 2024, R.G. 2021/AB/107
Mis en ligne le samedi 17 mai 2025
C. trav. Bruxelles, 26 septembre 2024, R.G. 2021/AB/107
Résumé introductif
En cas de protection contre le licenciement d’un travailleur ayant fait une demande de congé parental, non seulement le motif doit être suffisant, c’est-à-dire que sa nature et son origine doivent être étrangères au congé parental mais encore faut-il que le juge reconnaisse ce caractère suffisant. Le contrôle judiciaire porte non seulement sur l’existence du motif mais également le lien de causalité.
Le motif peut être d’ordre économique ou technique (restructuration, perte importante de clientèle, baisse du chiffre d’affaires, …) ou se situer dans le comportement du travailleur (insubordination, absences injustifiées, manquements,…).
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Une société spécialisée dans les procédés d’hygiène à base d’enzymes et active dans plusieurs secteurs (industrie agroalimentaire, restauration, secteur médical et hygiène de la maison) avait engagé une responsable de comptabilité en 2012.
Celle-ci a eu un premier congé de maternité, suite auquel elle a repris le travail en janvier 2014, étant alors affectée à un autre département, nouvelle affectation qui a été acceptée.
Étant à nouveau enceinte, elle a été écartée par le médecin du travail en septembre 2014 et a ensuite été en congé de maternité (suivi d’un congé parental) jusqu’en janvier 2016.
Elle a alors repris le travail et l’employeur a proposé de la réaffecter dans un département R&D avec compensation financière suite à la perte de l’usage privé d’une voiture. Cette proposition a été rejetée par l’intéressée, qui est, en conséquence, restée à son poste.
En octobre 2017, elle a de nouveau été écartée suite à une troisième grossesse et a pris après l’accouchement et le congé de maternité un congé d’allaitement.
Elle est ensuite tombée en incapacité de travail du 13 septembre 2018 au 31 janvier 2019.
En novembre, elle avait demandé à bénéficier d’un congé parental à raison d’un cinquième temps.
Lors de sa reprise du travail en février 2019, des discussions sont intervenues à propos de sa fonction, l’employeur souhaitant qu’elle soit affectée à des tâches d’ordre purement administratif pour la suite.
Le licenciement de l’intéressée a finalement été envisagé ainsi que la signature d’une convention.
Lui furent alors reprochées des ‘erreurs flagrantes inacceptables’ dans son travail.
Les discussions n’aboutissant pas, l’employeur a notifié le 6 mars 2019 le licenciement moyennant préavis à prester à partir du 11 mars.
Le conseil de l’intéressée a alors pris contact avec la société sur divers points, dont la communication des motifs concrets du licenciement et la formulation d’une offre de reclassement professionnel.
Il a également réclamé l’indemnité de protection sur la base du congé parental, l’intéressée estimant qu’il n’y avait pas de motifs suffisants à la base de son licenciement ainsi que des dommages-intérêts pour licenciement abusif eu égard aux circonstances de la rupture.
Par courrier en retour, le conseil de la société a donné de nombreuses explications sur l’évolution des relations contractuelles ainsi que sur les performances de l’intéressée.
Celle-ci étant retombée en incapacité de travail, la société a rompu en juin 2019 moyennant paiement d’une indemnité compensatoire correspondant au solde du préavis notifié.
Une procédure a été introduite devant le Tribunal du travail du Brabant wallon, division Wavre, par requête du 7 juin 2019.
Celle-ci contient plusieurs demandes : indemnité de protection, indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable ainsi que des dommages et intérêts pour licenciement abusif.
La décision du tribunal
Par jugement du 17 novembre 2020, le tribunal a rejeté la totalité de la demande et a condamné l’intéressée à l’indemnité de procédure (3 600 €).
Elle interjette appel.
La décision de la cour
La cour rappelle les deux fondements légaux du droit au congé parental, étant d’une part la convention collective du travail n° 64 du 29 avril 1997 conclue au sein du Conseil national du travail instituant un droit au congé parental et l’arrêté royal du 29 octobre 1997 relatif à l’introduction d’un droit au congé parental dans le cadre d’une interruption de la carrière professionnelle.
Elle souligne que l’arrêté royal a étendu l’effet obligatoire de la convention collective et que le droit prévu par celle-ci est moins large que dans l’arrêté royal (condition d’âge de l’enfant, exercice du congé), le travailleur sollicitant ainsi généralement un congé parental sur pied de l’arrêté royal. Celui-ci prévoit en outre le paiement d’allocations d’interruption, qui ne figurent pas dans la CCT.
L’arrêt aborde ensuite la question de la protection contre le licenciement dans le cadre de ce régime particulier de suspension du contrat, rappelant que la limite à la protection contre licenciement est (outre le motif grave) l’existence d’un motif suffisant, à savoir « le motif qui a été reconnu tel par le juge et dont la nature et l’origine sont étrangères à la suspension du contrat de travail ou à la réduction des prestations de travail du fait de l’exercice du droit au congé parental ».
L’arrêté royal du 29 octobre 1997 se référant également à l’interruption de carrière, trouve dès lors aussi à s’appliquer l’article 101 de la loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales. Ici également se trouve une définition du motif suffisant, qui vise les mêmes hypothèses.
La fin de la protection est cependant différente, puisque dans la CCT n° 64 elle intervient deux mois après la fin de la suspension du contrat et que dans le cadre de la loi du 22 janvier 1985, il s’agit de trois mois.
Afin de déterminer le régime applicable, la cour précise qu’il faut se référer à la formulation de la demande introduite par le travailleur.
Elle souligne encore à propos du motif lui-même, renvoyant à une abondante jurisprudence, que non seulement celui-ci doit être suffisant, c’est-à-dire que sa nature et son origine doivent être étrangères au congé parental mais encore qu’il faut que le juge reconnaisse ce caractère suffisant.
Enfin quant au contrôle judiciaire, la cour renvoie à la doctrine de F VERBRUGGE, « Le dédale juridique du congé parental : CCT n° 64 ou arrêté royal du 29/10/1997 ? », Ors., 2015/5, page 5), selon qui c’est non seulement l’existence du motif qui doit être vérifiée mais également le lien de causalité. Le motif peut être d’ordre économique ou technique (la cour citant les hypothèses d’une restructuration, d’une perte importante de clientèle, d’une baisse du chiffre d’affaires) ou se situer dans le comportement du travailleur (étant visés des actes d’insubordination, des absences injustifiées, des manquements,…).
En l’espèce, la cour va donc, après avoir vérifié l’existence de la protection – point sur lequel il n’y a pas de discussion entre les parties - constater que des allocations d’interruption ont été demandées à l’ONEM et qu’il s’agit dès lors d’une protection au sens de la loi du 22 janvier 1985.
Elle se livre dès lors à un long examen des griefs faits par la société quant à la qualité des prestations de l’intéressée et ne peut que constater au travers de toute une série de documents et pièces produites (dont des évaluations) qu’il y a souvent eu des griefs tant sur le plan du suivi des dossiers que sur celui des relations professionnelles.
Le motif suffisant est dès lors présent et il n’y a pas lieu d’octroyer à la travailleuse une indemnité de protection.
Pour ce qui est de la demande d’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable, point sur lequel la cour fait également un rappel des principes, elle relève que le critère de légalité est rempli (motif d’aptitude), que le motif est réel et qu’il constitue la cause réelle du licenciement.
Un dernier point d’attention est réservé au critère de proportionnalité, le licenciement ne pouvant selon le texte être ‘manifestement’ déraisonnable, à savoir qu’il n’aurait jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable. Tel n’est pas le cas, vu les divers constats posés dans le dossier quant aux difficultés de la société à trouver pour l’intéressée des fonctions qui lui correspondaient.
Est également rejetée la demande de licenciement abusif, l’employée ne satisfaisant pas à la charge de la preuve.
Enfin, sur les dépens, la cour constate que la réduction de l’indemnité de procédure (article 1022, alinéa 3 du Code judiciaire) n’a pas été demandée. Elle fait dès lors droit à la position de la société, qui sollicite la condamnation de son ex employée à 3 600 € pour la première instance et 3 750 pour l’appel.