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Supplément d’allocations familiales en faveur d’un enfant souffrant d’une affection : méthode d’évaluation

Commentaire de C. trav. Mons, 18 avril 2024, R.G. 2023/AM/151

Mis en ligne le jeudi 22 mai 2025


C. trav. Mons, 18 avril 2024, R.G. 2023/AM/151

Résumé introductif

L’évaluation du handicap d’un enfant atteint d’une affection se fait par le recours à trois piliers : incapacité physique ou mentale, activités et participation de l’enfant ainsi qu’incidence de cette affection sur son entourage familial.

Malgré les difficultés de la cotation, les personnes doivent être traitées de manière identique et doit être envisagée une situation moyenne.

Pour ce qui est plus particulièrement des conséquences sur la vie familiale, l’interruption par la mère de ses activités professionnelles doit intervenir dans l’évaluation du troisième pilier. Il ne s’agit en effet pas d’un point d’évaluation médicale mais d’un comportement social. Si la mère doit s’occuper de son enfant handicapé, il s’agit d’une conséquence du handicap sur les conditions de la vie familiale.

Dispositions légales

  • Arrêté royal du 28 mars 2003 portant exécution des articles 47, 56septies et 63 des lois coordonnées relatives aux allocations familiales pour travailleurs salariés et de l’article 88 de la loi–programme (I) du 24 décembre 2022 - article 6
  • Arrêté du gouvernement wallon du 23 mai 2019 déterminant les conditions d’octroi du supplément d’allocations familiales en faveur d’un enfant atteint d’un handicap en exécution de l’article 16 du décret du 8 février 2018 relatif à la gestion et au paiement des prestations familiales – article 3
  • Analyse

Faits de la cause

Une allocataire introduit en décembre 2012 une demande d’allocations familiales majorées pour sa fille, atteinte d’une affection (dysphasie et dyspraxie visuo-spatiale). Le médecin du SPF Sécurité sociale conclut, sur la base de l’échelle médico-sociale, à neuf points, portés à onze à partir du 1er février 2013, dont moins de quatre dans le premier pilier. Une décision du 16 septembre 2013 accorde e conséquence un supplément de l’ordre de 245 € par mois.

Suite à un nouvel examen en 2014, le supplément est réduit, le nombre de points totalisés étant ramené à sept.

Cette décision est contestée auprès du Tribunal du travail de Mons et Charleroi (division La Louvière) par requête déposée le 17 juillet 2014. Ce recours vise également la décision rendue en date du 16 septembre 2013 suite au premier examen du SPF.

Après le dépôt du rapport de l’expert qu’il avait désigné (rapport qui avait conclu à un total de 11 points à partir du 1er avril 2018 - le taux ayant varié pour la période antérieure), le tribunal du travail statue le 14 janvier 2021. Il entérine celui-ci et condamne la caisse au paiement des suppléments d’allocations correspondants. Une expertise complémentaire est ordonnée pour la période antérieure (1er octobre 2007 – 31 mars 2012), s’agissant de déterminer la perte d’autonomie de l’enfant pour celle-ci et de préciser en outre l’évolution de la situation à partir du 1er août 2019.

L’expert dépose son rapport complémentaire le 6 avril 2021. Le tribunal va entériner celui-ci, qui retient à partir du 1er août 2019 douze points, dont un dans le premier pilier.

La caisse interjette appel, demandant d’écarter le rapport complémentaire de l’expert judiciaire et de désigner un nouvel expert.

La décision de la cour

Aucun appel n’ayant été interjeté pour la période tranchée dans le jugement du 11 janvier 2021 (1er octobre 2007 – 31 mars 2012), la cour limite les débats à l’appréciation de l’expert pour la période postérieure au 1er août 2019.

Elle reprend, ensuite, les règles permettant de déterminer les conséquences de l’affection de l’enfant en vue de l’octroi du supplément d’allocations familiales.

Elle rappelle les trois piliers, étant (1) l’incapacité physique ou mentale de l’enfant, (2) son activité et sa participation ainsi que (3) l’incidence de l’affection sur l’entourage familial.

Les points du premier pilier sont obtenus en convertissant le pourcentage d’incapacité physique ou mentale retenu en points. Le maximum est de six.

Pour le deuxième pilier, sont établies des catégories fonctionnelles, éventuellement subdivisées. Les points sont attribués en fonction de critères gradués, touchant divers domaines : l’apprentissage (éducation et intégration sociale), la communication, la mobilité et les déplacements et enfin les soins corporels. Les points sont totalisés et peuvent être d’un maximum de 12.

Enfin, pour le troisième pilier, celui-ci comprend trois catégories, étant de savoir si un traitement est dispensé à domicile, si sont exigés des déplacements pour surveillance médicale et traitements et s’il y a des adaptations du milieu de vie et des habitudes de vie nécessaires. Le nombre maximum est ici de 18, les points étant multipliés par deux.

Un minimum de points est requis, étant un total de six pour l’ensemble des trois piliers ou un total de quatre dans le premier pilier.

La cour rappelle que les dispositions correspondantes sont d’une part l’article 6 de l’arrêté royal du 28 mars 2003 portant exécution des articles 47, 56septies et 63 des lois coordonnées relatives aux allocations familiales pour travailleurs salariés et de l’article 88 de la loi-programme (I) du 24 décembre 2022 ainsi que l’article 3 de l’arrêté du gouvernement wallon du 23 mai 2019 déterminant les conditions d’octroi du supplément d’allocations familiales en faveur d’un enfant atteint d’un handicap en exécution de l’article 16 du décret du 8 février 2018 relatif à la gestion et au paiement des prestations familiales.

L’annexe à l’arrêté royal du 28 mars 2003 donne certaines balises pour ce qui est du pilier 3, pour lequel l’évaluation doit se faire non seulement par un examen médical mais également par la collecte de diverses informations auprès de la famille, de l’enfant, des médecins spécialistes, du personnel scolaire, paramédical, etc.

L’évaluation des efforts spécifiques qui doivent être consentis vu le handicap doit tenir compte des efforts qui seraient accomplis de manière raisonnable par des parents en bonne santé se trouvant dans une situation sociale moyenne.

La doctrine a bien souligné, à cet égard, les difficultés de cette cotation, rappelant que le juge doit veiller à ce que globalement les personnes soient traitées de manière identique, malgré les spécificités de leur situation respective (D. DESAIVE et M. DUMONT, « L’incapacité, l’invalidité et l’appréciation de la perte d’autonomie en sécurité sociale des travailleurs salariés et indépendants ainsi qu’en risques professionnels », in F. Étienne et M. Dumont (dir.), Regards croisés sur la sécurité sociale, CUP, Anthémis, 2012, page 308 et jurisprudence citée).

Doit également être envisagée une situation moyenne, ce qui pourrait inclure des crises si elles sont régulières (mais non si elles ne sont que très occasionnelles et n’affectent dès lors pas la moyenne).

La cour va plus particulièrement rencontrer les objections de la caisse (qui avait fait défaut en première instance) et qui conteste la cotation de deux rubriques, étant essentiellement la mobilité et le déplacement au sein du second pilier ainsi que l’adaptation du milieu de vie et des habitudes de vie, du troisième pilier.

Pour le premier point, est prise en compte la possibilité pour l’enfant d’utiliser des transports en commun seul ou accompagné. La cour relève que celle-ci a dû être réorientée vers une école secondaire spécialisée et que le bilan de compétences démontre des faiblesses importantes à divers niveaux, étant la mémoire de travail, la vitesse de traitement et l’indice visio–spatial. Celles-ci rendent les déplacements plus difficiles, l’usage des transports publics exigeant, pour la cour, une capacité de mémorisation, une bonne orientation dans l’espace, une capacité de traitement des informations, etc. (11e feuillet).

Par ailleurs, est examinée la situation de la mère, dans le cadre de l’évaluation de l’item relatif à l’adaptation du milieu de vie et des habitudes de vie. Celle-ci a en effet interrompu ses activités professionnelles pour suivre son enfant. La caisse contestant que la situation de cette dernière (scolarisée) soit incompatible avec la poursuite d’une activité professionnelle en journée, la cour entérine la conclusion de l’expert selon laquelle il ne s’agit pas ici d’un point d’évaluation médicale mais d’un comportement social : le choix de s’occuper de son enfant handicapé est une conséquence du handicap sur les conditions de vie familiale. Pour la cour, qui rejoint l’avis du substitut général, cette manière de voir doit être validée.

La cour examine, ensuite, plus factuellement une contestation relative aux déplacements pour surveillance médicale et traitements. Elle fait droit sur celle-ci (pour défaut de preuve dans le chef de l’allocataire) à la position de la caisse et accueille dès lors l’appel sur ce dernier point uniquement.


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