Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 novembre 2024, R.G. 2023/AB/477
Mis en ligne le jeudi 29 mai 2025
Cour du travail de Bruxelles, 20 novembre 2024, R.G. 2023/AB/477
Terra Laboris
Résumé introductif
En matière de licenciement pour motif grave, la connaissance suffisante ne s’identifie pas avec la possibilité pour l’employeur de se procurer les moyens de preuve.
Dès lors que le délai de trois jours entre la connaissance et le licenciement n’est pas respecté, les griefs n’ont pas à être examinés. Ils le seront, par contre, si une demande d’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable a été introduite.
Le comportement d’un travailleur pendant une période d’incapacité de travail peut, même s’il ne constitue pas un motif lié à sa conduite au sens de la CCT 109, être pris en compte pour limiter le quantum de l’indemnité.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Une aide-ménagère, prestant pour une société de titres services à temps partiel, a connu une période d’incapacité de travail en 2022, période prolongée pour atteindre une durée de 10 semaines. Le diagnostic est un épuisement professionnel et un état dépressif (la cause de l‘incapacité ne figurant cependant pas sur le certificat remis à l’employeur).
Il a été procédé à un contrôle de l’incapacité, l’intéressée étant invitée (par lettre recommandée) à se présenter auprès du médecin contrôleur. Elle ne s’est pas présentée, expliquant dans un mail adressé immédiatement à son employeur, qu’elle n’avait pas entendu le facteur sonner à sa porte vu qu’elle dormait. Elle avait en effet récupéré le courrier recommandé plus tard et n’avait dès lors pas pu se rendre à temps à la convocation.
Elle s’est présentée d’initiative le lendemain auprès du médecin contrôleur, sur conseil de son propre médecin traitant mais ne le rencontra pas. Elle reprit contact avec son employeur demandant des instructions.
La société n’a pas réservé de suite à cette demande.
Le 16 août 2022, soit plus d’un mois plus tard, elle fut licenciée pour motif grave, le courrier précisant que les faits étaient connus de l’employeur depuis le samedi 13 août.
Il s’agissait, outre du contrôle médical, essentiellement de posts sur les réseaux sociaux pour différentes activités dont elle était « la principale actrice », avec démarchage publicitaire (participation à des activités culinaires, sorties à Walibi, etc.), et ce « tout en bénéficiant de l’indemnité de maladie ». Pour la société, il s’agissait d’une faute grave.
Le licenciement a été contesté par l’organisation syndicale à laquelle la travailleuse est affiliée, avec demande d’une indemnité compensatoire de préavis.
Le Tribunal du travail du Brabant wallon (division Wavre) a été saisi, vu l’absence de solution.
La décision du tribunal du travail
Le tribunal a statué par jugement du 6 juin 2023, allouant à l’intéressée une indemnité de rupture ainsi qu’une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable de 17 semaines.
L’appel
La société interjette appel postulant la réformation du jugement et à titre subsidiaire la réduction de l’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable au minimum légal (trois semaines de rémunération).
La travailleuse forme un appel incident sur les montants, majorant légèrement les sommes réclamées.
La décision de la cour
La cour insiste, dans son examen des principes, sur la question des délais, rappelant que le licenciement pour motif grave doit être notifié dans les trois jours ouvrables suivant le jour où l’employeur a eu connaissance du fait qui le justifie, le dimanche ne constituant pas un jour ouvrable.
Des décisions de la Cour de cassation sont rappelées, sur la question du point de départ du délai, étant que l’employeur doit avoir pu prendre une décision en connaissance de cause quant à l’existence du fait et aux circonstances de nature à lui attribuer le caractère de motif grave, s’agissant d’une « certitude suffisant à sa propre conviction et aussi à l’égard de l’autre partie et de la justice » (avec renvoi à Cass., 14 mai 2001, S.99.0174.F).
En outre, la notion de connaissance suffisante ne s’identifie pas avec la possibilité pour l’employeur de se procurer les moyens de preuve (la cour renvoyant ici Cass., 22 janvier 1990, n° 8681). En conséquence, si subsiste une incertitude à la suite d’une production d’une preuve, d’où qu’elle vienne, celle-ci doit nécessairement être retenue au détriment de celui qui devait l’apporter (avec renvoi ici à Cass., 17 septembre 1999, Pas., 1999, I, p. 1164). Le Code civil prévoit actuellement des règles identiques, en ses articles 8.4 et 8.5.
La cour constate assez rapidement que l’employeur n’établit pas qu’il aurait eu connaissance des faits à la date du 13 août 2022, aucun élément du dossier ne permettant de retenir que le délai de trois jours a été respecté.
Ce constat fait que d’office l’indemnité compensatoire de préavis est due et la cour n’examine dès lors pas les griefs.
C’est au stade de la demande d’indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable que ceci intervient.
Un rappel des principes est également fait sur celui-ci, la cour reprenant les règles générales de la convention collective n° 109. Elle s’attarde légèrement sur la fourchette de l’indemnité, précisant que le critère d’appréciation (de 3 à 17 semaines) est « loin d’être évident ». Si les partenaires sociaux ont fait dépendre le montant de « la gradation du caractère manifestement déraisonnable », la cour énonce qu’une situation est manifestement déraisonnable ou qu’elle ne l’est pas. Et de préciser qu’ « il est difficile d’apprécier si une situation est faiblement manifestement déraisonnable, moyennement manifestement déraisonnable ou fortement manifestement déraisonnable ».
Après le rappel des règles en matière de preuve, elle passe à l’examen des faits, rappelant que la société, non informée du diagnostic médical (le certificat lui remis ne reprenant pas la cause de l’incapacité – celle-ci ayant été donnée apparemment uniquement à sa mutuelle), soutient avoir reçu des plaintes de collègues, qui ressentaient les agissements de l’intéressée pendant sa période de maladie injustes pour celles qui travaillaient (présence sur les réseaux sociaux en vue de vente de produits, vidéo sur un parc d’attraction concernant une activité sportive,…).
Elle constate qu’il ressort des extraits des posts sur Facebook ou Instagram que la travailleuse avait effectivement vanté des produits alimentaires ou invité des personnes à participer à une activité sportive.
Elle reprend les éléments de fait afin de vérifier si la conduite de l’intéressée a été conforme à ses obligations eu égard à sa période d’incapacité.
Elle écarte en premier lieu toute responsabilité de celle-ci pour la question du contrôle médical. Par ailleurs, l’employeur, ignorant le diagnostic médical, ne pouvait se suffire des publications pour en déduire qu’il n’y avait pas d’incapacité travail. Elle rejette dès lors qu’il y ait un motif de conduite au sens de l’article 8 de la convention collective n° 109.
La cour limite cependant le quantum de l’indemnité au minimum légal, au motif que l’intéressée a manqué de prudence en affichant sur les réseaux sociaux des publications relatives aux activités sportives pendant cette incapacité de travail, précisant que ceci pouvait donner le sentiment à ses collègues et à son employeur (dans l’ignorance du diagnostic médical) qu’elle n’était pas réellement malade.