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Conditions du droit pour un étranger aux allocations familiales dans le cadre de l’Ordonnance bruxelloise du 25 avril 2019

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 14 novembre 2024, R.G. 24/327/A

Mis en ligne le jeudi 29 mai 2025


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 14 novembre 2024, R.G. 24/327/A

Terra Laboris

Résumé introductif

Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, lorsqu’une instruction a été donnée par l’Office des étrangers à une commune d’inscrire un étranger au registre des étrangers et de le mettre en possession d’une attestation d’immatriculation de modèle A, celui-ci est, fût-ce de manière temporaire et précaire, autorisé à séjourner dans le Royaume.

En cas de demande de protection internationale, une attestation d’immatriculation constitue un titre de séjour valable au sens de l’Ordonnance bruxelloise du 25 avril 2019.

En cas de demande d’autorisation séjour pour motif médicaux, aucune disposition de l’Ordonnance ne s’oppose à l’octroi d’allocations familiales à la date à partir de laquelle le bénéficiaire doit vu l’introduction de cette demande obtenir une attestation d’immatriculation.

Dispositions légales

  • Ordonnance du 25 avril 2019 réglant l’octroi des prestations familiales en Région de Bruxelles-capitale - article 4, 2°
  • Décret wallon du 8 février 2018 relatif à la gestion et au paiement des prestations familiales - article 4, § 1er, alinéa 2

Analyse

Décision contestée

Le tribunal du travail est saisi d’une décision prise par Iriscare le 5 septembre 2023 refusant les prestations familiales en faveur d’une bénéficiaire étrangère (non européenne). La décision est fondée sur l’article 4, 2° de l’Ordonnance du 25 avril 2019 réglant l’octroi des prestations familiales en Région de Bruxelles-capitale. En vertu de celle-ci, l’enfant étranger doit bénéficier d’une admission ou d’une autorisation à séjourner en Belgique ou à s’y établir conformément à la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. La bénéficiaire n’étant pas en possession d’un tel document, il y a refus d’octroi de la prestation.

Faits de la cause

Madame B. a fait le 14 octobre 2020 une demande de protection internationale. Elle est titulaire d’une attestation d’immatriculation depuis le 26 novembre 2020. Sa demande a été rejetée par décision du CGRA du 30 août 2023, décision contre laquelle elle a introduit un recours.

Parallèlement, elle a fait une demande d’autorisation de séjour pour motifs médicaux en date du 10 janvier 2023. Cette demande a été acceptée le 20 septembre 2023.

Ayant suivi des cours pendant les années académiques 2021–2022 et 2022–2023, elle a introduit le 31 août 2023 une demande de prestations familiales. Iriscare y a opposé un refus par décision du 5 septembre 2023.

Position des parties devant tribunal

Pour la demanderesse, l’attestation d’immatriculation dont elle bénéficie est un titre de séjour valable. En outre, à supposer que sa demande de protection internationale aboutisse, le statut de réfugié qui lui serait octroyé aurait un effet déclaratif, entraînant le droit aux prestations familiales à partir de la demande. Elle plaide également que l’article 6 de l’Ordonnance est contraire aux normes internationales relatives aux réfugiés, dans la mesure où elle dispose que le séjour légal n’est admis qu’à partir de la date de délivrance du titre de séjour.

Elle développe une thèse à titre subsidiaire, étant que sa demande d’autorisation de séjour pour motif médicaux a un effet déclaratif.

Quant à Iriscare, elle considère que l’intéressée n’était pas en séjour légal avant le 20 septembre 2023 (date d’acceptation de son autorisation de séjour pour raisons médicales) et que l’attestation d’immatriculation ne constitue pas un titre de séjour valable.

La décision du tribunal

Le jugement fait d’abord le rappel de la disposition litigieuse (article 4, 2°, de l’Ordonnance) et relève que l’exclusion de l’attestation d’immatriculation n’a pas été reprise dans celle-ci, et ce contrairement au Décret wallon du 8 février 2018 relatif à la gestion et au paiement des prestations familiales (article 4, § 1er, alinéa 2, de celui-ci).

Il souligne qu’il a été jugé, à propos de la condition relative au titre de séjour, que la délivrance d’une annexe 35 est un titre de séjour valable au sens de ce décret wallon (C. trav. Liège (div. Liège), 22 juin 2023, R.G. 2022/AL/478) et, dans le cadre de la loi du 20 juillet 1971 instituant les prestations familiales garanties, la Cour de cassation enseigne dans un arrêt du 8 avril 2019 (Cass., 8 avril 2019, S.17.0086.F) que lorsqu’une instruction a été donnée par l’Office des étrangers à la commune d’inscrire un étranger au registre des étrangers et de le mettre en possession d’une attestation d’immatriculation de modèle A, celui-ci est, fût-ce de manière temporaire et précaire, autorisé à séjourner dans le Royaume.

Le tribunal reprend des extraits de l’avis de M. l’Avocat général GENICOT, qui a fait la distinction entre de titre de séjour au sens de l’article 2, 16) du Règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes et l’attestation d’immatriculation, l’objet des deux documents étant différent. Le premier permet l’entrée sur le territoire Schengen et le second vise les personnes autorisées ou admises à séjourner en Belgique au sens de la loi du 20 juillet 1971. Ces dispositions ne contiennent pas des définitions uniformes.

En l’espèce, il s’agit, pour le tribunal, de distinguer les deux demandes faites par l‘intéressée et d’examiner le droit aux prestations familiales dans le cadre de chacune de celles-ci.

Pour ce qui est de la demande de protection internationale, le tribunal a considère qu’une attestation d’immatriculation constitue un titre de séjour valable au sens de l’Ordonnance. La demanderesse disposait dès lors d’un titre de séjour depuis le 26 novembre 2020.

L’article 6, alinéa 2 de l’Ordonnance accorde le bénéfice des prestations familiales à dater de la décision de reconnaissance du statut d’apatride, de réfugié ou de l’attribution du statut de protection subsidiaire. En conséquence, même si elle disposait d’un titre de séjour valable, elle n’avait pas droit aux prestations familiales tant qu’elle n’avait pas encore le statut de réfugié.

Le tribunal vérifie ce qu’il en est dans le cadre du Décret wallon du 8 février 2018 et en examine les travaux parlementaires – dont il retient qu’ils sont « nettement plus instructifs » que ceux précédant l’Ordonnance bruxelloise. Il les reproduit dès lors, ainsi d’ailleurs que l’avis de la Section de législation du Conseil d’État du 22 février 2024 (avis 75.183/2). Celui-ci renvoie sur la question à une déclaration faite par le délégué de la ministre, étant que, dans la pratique, l’enfant ne perçoit pas les allocations familiales dès l’introduction de la demande mais les paiements sont régularisés a posteriori, lors de l’obtention du statut, avec effet à la date de la demande, cette pratique s’inscrivant dans la continuité de la pratique fédérale antérieure.

La Région wallonne s’est ainsi alignée dans une optique de cohérence sur la pratique des autres entités fédérées.

Renvoi est également fait à l’avis donné par la Section de législation (avis 67.060/1) à propos d’une disposition similaire adoptée par l’Autorité flamande, où il a été précisé que compte tenu du caractère déclaratif de la reconnaissance du statut de réfugié, celui-ci doit être considéré rétroactivement comme ayant satisfait à la condition de réfugié résidant régulièrement sur le territoire. Pendant la période entre la demande d’asile et la reconnaissance en tant que réfugié, celui-ci a dès lors droit, avec effet rétroactif, à l’égalité de traitement au sens des articles 23 et 24 de la Convention sur les réfugiés.

Le tribunal reprend également les débats relatifs à la possibilité d’un double financement, étant d’une part l’octroi des allocations familiales et de l’autre l’aide matérielle octroyée, celui-ci n’étant, toujours selon la Section de législation du Conseil d’État, pas établi, ces deux interventions répondant à des logiques différentes et le droit de l’enfant devant primer. Il s’agit, avec les allocations familiales, de couvrir les besoins spécifiques de celui-ci, à la libre appréciation de la famille, au-delà des besoins matériels de base.

Le jugement résume ensuite la position du Conseil d’État, qui s’est interrogé à propos du Décret du 8 février 2018 sur sa constitutionnalité et sa conformité avec les articles 23 et 24 de la Convention de Genève, dans la mesure où il traite différemment les réfugiés et les nationaux. Il a cependant relevé qu’il ne disposait pas des éléments nécessaires pour déterminer s’il y avait équivalence entre les allocations familiales et l’aide matérielle fournie par Fedasil.

Le tribunal vérifie ensuite ce qu’il en est de la jurisprudence en matière de prestations familiales garanties, renvoyant ici à un arrêt de la Cour constitutionnelle du 10 mars 2016 (n° 40/2016), selon lequel l’article 1er de la loi du 20 juillet 1971 n’est pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Il est dès lors admis que lorsqu’un demandeur d’asile et sa famille bénéficient de l’aide matérielle dans une structure d’accueil, ils n’ont pas droit aux allocations familiales garanties (C. trav. Liège (div. Namur), 16 juin 2020, R.G. 2019/AN/121).

L’Ordonnance bruxelloise ne contient cependant pas cette condition.

Il ordonne dès lors une réouverture des débats sur la question, dans la perspective éventuelle d’interroger la Cour constitutionnelle.

Le jugement reprend ensuite l’examen du droit aux prestations familiales vu la demande d’autorisation séjour pour motif médicaux, demande introduite le 10 janvier 2023. Aucune disposition de l’Ordonnance ne s’oppose à l’octroi d’allocations familiales à la date à partir de laquelle l’intéressée aurait dû (vu l’introduction de cette demande) obtenir une attestation d’immatriculation (ce qu’elle n’a pas eu, bénéficiant déjà d’une telle attestation sur la base de sa demande de protection internationale).

Ceci permet déjà au tribunal de trancher la question des allocations familiales à partir du premier du mois suivant celui où la demande a été introduite, étant le 1er février 2023.

Intérêt de la décision

La question abordée par le tribunal est d’un intérêt évident vu les textes adoptés dans le cadre de la régionalisation du secteur.

Le jugement devrait pouvoir intervenir avant la fin de cette année judiciaire.


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