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Personnel de direction ou de confiance : droit à des heures supplémentaires ?

Commentaire de Trib. trav. Liège ( div. Marche-en-Famenne), 12 décembre 2024, R.G. 22/246/A

Mis en ligne le samedi 31 mai 2025


Trib. trav. Liège ( div. Marche-en-Famenne), 12 décembre 2024, R.G. 22/246/A

Résumé introductif

La liste de de l’arrêté royal du 10 février 1965 désignant les personnes investies d’un poste de direction ou de confiance n’a pas été adaptée à l’évolution du monde des entreprises.

Il est admis actuellement que toute personne investie d’un tel poste entre dans l’exception visée sans qu’il soit nécessaire que cette fonction figure expressément sur la liste.

Cependant, en vertu du principe d’exécution de bonne foi des conventions, ce travailleur peut prétendre à des arriérés de rémunération pour les heures supplémentaires prestées si la modicité de sa rémunération n’était supposée couvrir qu’un horaire normal. Il n’a cependant droit à aucun supplément.

Dispositions légales

  • Loi du 16 mars 1971 sur le travail, articles 3, §3, et 19
  • Arrêté royal du 10 février 1965 désignant les personnes investies d’un poste de direction ou de confiance dans les secteurs privés de l’économie nationale pour l’application de la loi sur la durée du travail - article 2

Analyse

Faits de la cause

Une société active dans le secteur automobile a licencié un travailleur pour motif grave le 17 juin 2022. Il s’agit d’un employé ayant une longue ancienneté, ayant occupé des fonctions importantes en son sein et gérant un site d’exploitation.

Elle lui reproche une concurrence déloyale, celui-ci ayant présenté, parallèlement à ses fonctions exercées pour son employeur, des véhicules au contrôle technique, et ce pour son propre compte.

La société a introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Liège (division Marche-en-Famenne) en vue d’obtenir des dommages et intérêts vu le préjudice subi.

Objet des demandes en justice

La société demande que soit reconnu le fait que l’employé s’était rendu coupable d’actes de concurrence déloyale pendant son occupation en qualité de salarié, vu ses activités parallèles d’intermédiaire et de présentation de véhicules au contrôle technique, activité qui a nécessairement empiété sur le temps de travail qu’il était tenu de consacrer à la société et qui lui a causé préjudice. Elle postule sa condamnation à une somme provisionnelle de 40 000 €, en considération de la perte du chiffre d’affaires, du manque à gagner et de cette fraude au temps de travail.
Ce montant a été majoré en cours d’instance.

L’employé postule reconventionnellement la condamnation de la société à une indemnité compensatoire de préavis, à une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable ainsi qu’ à des arriérés de rémunération (heures supplémentaires et journées non payées).

Les jugements du tribunal

Le tribunal a rendu à ce jour deux jugements.

Le jugement du 25 avril 2024

Le tribunal a admis dans ce jugement l’existence d’actes de concurrence déloyale et a condamné l’employé à payer à la société un montant provisionnel de 2 500 € au titre de réparation du dommage subi à ce titre.

Le tribunal a estimé ne pas pouvoir apprécier l’étendue du préjudice dont la société postule la réparation, non plus que la date et les circonstances dans lesquelles elle a pris connaissance des faits litigieux.

La réouverture des débats a dès lors été ordonnée aux fins de compléter le dossier, le tribunal exposant qu’il semblait opportun de recourir à une mesure d’expertise (qu’il n’ cependant pas ordonnée dans la décision).

Le jugement du 12 décembre 2024

Le tribunal tranche d’abord la question du motif grave, étant en cause le respect du délai de trois jours à partir de la connaissance des faits pour licencier.

Tout en rappelant la distinction légale entre la connaissance et la preuve du motif grave, il s’attache à vérifier la chronologie des faits, l’employeur ayant été amené à demander des informations au contrôle technique par rapport à certaines plaques de véhicules.

Il constate également que le travailleur a poursuivi ses prestations durant plusieurs jours après son licenciement (ce qui ressort de l’échange d’e-mails), ayant continué à se rendre au garage et à disposer de ses accès informatiques.

L’employeur n’ayant pris aucune disposition pour s’assurer de l’effectivité de la cessation immédiate des prestations du travail, il conclut qu’une telle situation est « évidemment » incompatible avec la notion de motif grave. La demande d’indemnité compensatoire de préavis est dès lors fondée.
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Pour ce qui est du licenciement manifestement déraisonnable, il conclut assez rapidement que les actes de concurrence déloyale sont établis par le jugement du 25 avril 2024 et qu’il ne peut être question de faire droit à cette demande d’indemnité.

Un troisième chef de demande ayant été introduit par l’employé au titre d’arriérés de rémunération, le tribunal reprend, pour la demande de rémunération d’heures supplémentaires, l’article 19 de la loi du 16 mars 1971 sur le travail.

Il relève également son article 3, § 3, qui exclut de son champ d’application certaines catégories de travailleurs, dont ceux investis d’un poste de direction ou de confiance.

Il s’agit d’une disposition légale impérative au sens de l’article 51 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires.

Le tribunal reprend ensuite l’énumération contenue à l’article 2, de l’arrêté royal du 10 février 1965 désignant les personnes investies d’un poste de direction ou de confiance dans les secteurs privés de l’économie nationale pour l’application de la loi sur la durée du travail, liste qui n’a pas été adaptée à l’évolution de la vie de l’entreprise.

Il considère cependant avec la jurisprudence (dont C. trav. Liège (section Liège), 19 novembre 2001, R.G. 29.582/2000) et la doctrine (B. DENDOOVEN, « La durée du travail », A.E.B., Contrats de travail, Kluwer, 2008, p.3) que toute personne investie d’un poste de direction et/ou de confiance entre dans l’exception visée sans qu’il soit nécessaire que cette fonction figure expressément sur la liste.

Cette qualité doit être reconnue à l’intéressé, dans la mesure où il a été un des trois administrateurs délégués de la société, qu’il a détenu un tiers du capital social, qu’il était autonome sur le site où il prestait, raison pour laquelle, d’ailleurs, il avait pu commettre pendant de nombreux mois des actes de concurrence déloyale.

Cependant, rappelant également l’évolution jurisprudentielle sur la question (dont C. trav. Bruxelles, 20 décembre 2016, R.G. 2014/AB/912 et C. trav. Liège (div. Liège), 30 août 2021, R.G. 2020/AL/306), il expose qu’en vertu du principe d’exécution de bonne foi des conventions, un travailleur investi d’un poste de direction ou de confiance peut prétendre à des arriérés de rémunération pour les heures supplémentaires prestées dès lors que la modicité de sa rémunération n’était supposée couvrir qu’un horaire normal.

Il n’a cependant droit à aucun supplément.

Il lui appartient, en vertu des règles en matière de preuve, d’établir la réalité et l’importance des prestations, ainsi que le fait que les heures en cause ont été prestées à la demande ou avec l’approbation de l’employeur.

Ceci peut ressortir de feuilles de pointage de tout autre document contradictoire. Les éléments ressortant de documents établis unilatéralement ne constituent cependant en règle pas une preuve suffisante.

Le tribunal doit constater ici que le demandeur sur reconvention ne produit pas de pièces probantes, se bornant à postuler la condamnation de la société à produire des feuille de pointage.

La demande est dès lors rejetée.

S’il clôture ainsi son examen de la demande reconventionnelle, le tribunal ne vide cependant pas sa saisine sur la demande originaire, estimant devoir recourir à une expertise afin de pouvoir évaluer le préjudice.

La mission de l’expert est très détaillée, portant essentiellement sur la quantité de véhicules (neufs ou d’occasion) ayant pu être visés, le chiffre d’affaires dégagé par le site où l’employé était occupé, pendant et après la période litigieuse, la marge bénéficiaire moyenne réalisée, les charges fixes du site, la justification des frais de main-d’œuvre et d’achat de pièces détachées par véhicule,….

Le tribunal condamne d’ores et déjà l’employeur au paiement de l’indemnité compensatoire de préavis. Il admet également que celui-ci doit payer les journées prestées par l’employé après le licenciement.


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