Commentaire de C. trav. Bruxelles, 16 octobre 2024, R.G. 2023/AB/401
Mis en ligne le samedi 31 mai 2025
C. trav. Bruxelles, 16 octobre 2024, R.G. 2023/AB/401
Résumé introductif
N’entrent pas dans le champ d’application de la loi les personnes occupées par des autorités publiques étrangères, entendues notamment comme étant les établissements publics et les organismes d’intérêt public qui dépendent des Etats étrangers (hors exceptions, visant essentiellement les missions diplomatiques).
Cette exclusion, expressément formulée dans la loi du 5 décembre 1968 depuis la modification intervenue en 2018, visait déjà auparavant implicitement les personnes occupées par les autorités publiques étrangères.
En matière de reclassement professionnel, le remboursement des quatre semaines de rémunération pouvant être retenues par l’employeur sur l’indemnité compensatoire de préavis ne peut être obtenu par le travailleur que si l’employeur n’a pas offert de procédure de reclassement professionnel conforme à la loi.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Un journaliste a conclu avec une agence de presse étrangère un contrat de travail à durée indéterminée en octobre 2010.
Celle-ci est établie en Chine et se présente comme l’agence de presse nationale de ce pays.
Lors de son engagement, l’intéressé est placé en commission paritaire n° 218.
En 2012, une modification d’indice de catégorie O.N.S.S. de l’employeur a été demandée par l’agence et l’O.N.S.S. a classé le personnel en conséquence dans la catégorie 0.11 (catégorie générale de type non commercial, l’employeur n’étant redevable d’aucune cotisation de sécurité d’existence à un fonds social et/ou n’étant pas repris dans une autre catégorie particulière). Cet indice a ensuite été modifié.
L’employé ayant interrogé l’O.N.S.S. en 2021, celui-ci donnera alors toutes explications quant à la modification, rappelant que vu la création au cours du troisième trimestre 2017 d’une cotisation spéciale au fonds social auxiliaire du non-marchand (CP n° 337) l’indice 0.11 est devenu indice 139. L’O.N.S.S. précisait que cette modification était le fruit d’une erreur, l’employeur, organisme étranger, ne relevant d’aucune commission paritaire pour son personnel recruté en Belgique. Le code précédent fut réattribué.
Un avenant au contrat de travail fut proposé au travailleur le 1er janvier 2012, afin d’acter l’appartenance à partir de cette date à la commission paritaire n° 337 (secteur non marchand).
L’employé refusa et fit intervenir l’Association des journalistes professionnels, afin de maintenir les avantages existants au sein de la CP 218, étant le 13e mois, les éco- chèques et l’indexation des salaires).
Aucune autre contestation ne fut par la suite émise par l’employé entre septembre 2012 et février 2020.
Celui-ci fut licencié le 23 juin 2020 moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis, dont furent déduites les quatre semaines correspondant à l’accompagnement en vue du reclassement professionnel.
Le motif du licenciement était la réduction des opérations eu égard à la pandémie de COVID-19.
Le 29 juin 2020, il procéda à la réclamation de sommes (13e mois, éco-chèques et ajustement de l’indemnité compensatoire de préavis), en vain.
Rétroactes de la procédure
Une procédure fut introduite devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, qui statua par jugement du 25 avril 2022.
L’intéressé y postulait notamment le paiement du 13e mois pendant une période de huit années, ainsi que les éco-chèques, la rectification de l’indemnité compensatoire et le remboursement des quatre semaines retenues sur l’indemnité.
Le tribunal a alloué les arriérés de 13e mois, les éco-chèques et la rectification de l’indemnité compensatoire.
Il a condamné l’employeur aux dépens.
Ce dernier interjette appel.
Position des parties devant la cour
L’appelante sollicite la réformation du jugement et plaide en outre la prescription des demandes pour la période de plus de cinq ans précédant la requête introductive.
L’intimé postule pour sa part la confirmation pure et simple du jugement, introduisant pour le surplus un appel incident relatif au poste sur lequel il a été débouté, étant les quatre semaines de rémunération déduites de son indemnité compensatoire.
La décision de la cour
La cour examine en premier les trois demandes faisant l’objet de l’appel principal eu égard à la question du champ d’application de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires.
Elle en reprend l’article 2, soulignant l’évolution du texte légal, qui a connu plusieurs modifications.
À l’origine il contenait une exclusion visant les personnes occupées par l’État, les communes et les provinces. L’exclusion a été étendue en 2005 au personnel des Communautés et Régions et en 2018 aux personnes occupées par les autorités publiques étrangères (hors exception concernant essentiellement les missions diplomatiques et assimilées). La cour rappelle que cette dernière modification est le fruit d’un ajout à l’article 2, § 3, alinéa 1er, de la loi du 5 décembre 1968 par l’article 5 de la loi du 15 janvier 2018 portant des dispositions diverses en matière d’emploi.
Avant cette dernière modification, il a été jugé par la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 24 avril 2012, J.T.T., 2012, p. 361) que l’énumération légale ne doit pas être interprétée de manière littérale et restrictive, l’intention du législateur étant d’exclure a priori l’ensemble du secteur public.
Cet arrêt a été rendu à propos d’une organisation internationale, la cour avait relevé que ces organisations sont des personnes morales de droit public instituées par la voie de Traité par des Etats et qu’elles constituent des éléments de service public communs à plusieurs d’entre eux.
Pour la cour dans l’arrêt commenté, sont exclues du champ d’application de la loi les personnes occupées par des autorités publiques étrangères, entendues notamment comme étant les établissements publics et les organismes d’intérêt public qui dépendent des Etats étrangers. La cour, s’appuyant sur l’Exposé des motifs de la loi du 15 janvier 2018, qui annoncent que celle-ci « clarifie » le texte, considère que cette exclusion, expressément formulée dans la loi du 5 décembre 1968 depuis la modification intervenue en 2018, visait déjà auparavant implicitement les personnes occupées par les autorités publiques étrangères.
En conséquence, elle pose a question de savoir si en l’espèce la loi trouve à s’appliquer, s’agissant d’une agence de presse qui soutient être un organisme de droit public étranger.
Elle examine les statuts de celle-ci, constatant qu’elle est l’agence de presse nationale et a pour première mission de ‘publier de manière unifiée les lois, règlements, annonces, documents importants et actualités nationales sous l’autorisation de l’État’ (13e feuillet de l’arrêt) et qu’elle est financée exclusivement par des fonds provenant des recettes publiques. En outre, elle exerce des activités officielles sous l’autorité directe des autorités nationales.
Elle conclut qu’il s’agit d’un organisme d’intérêt public chargé d’une mission de service public, étant ainsi une autorité publique étrangère exclue du champ d’application de la loi du 5 décembre 1968.
La cour renvoie également aux explications données par l’O.N.S.S. dans son courrier du 9 septembre 2021, qui ont confirmé que l’employeur est un organisme de droit public étranger (ne relevant ainsi d’aucune commission paritaire pour son personnel).
Les conventions collectives conclues au sein de la CP 218 (actuellement 200) ne sont dès lors pas applicables.
La cour examine ensuite si l’employé peut se fonder sur des dispositions autres et constate que non, le travailleur ne pouvant bénéficier de la règle de l’incorporation des dispositions normatives individuelles des conventions collectives au contrat de travail, du fait de la même exclusion.
Par ailleurs, dès lors que l’on admettrait que le retrait des avantages applicables eu égard aux dispositions des conventions collectives prises au sein de la commission paritaire 218 constituerait une modification d’un élément essentiel du contrat de travail (rémunération), l’intéressé aurait dû réagir.
La cour retient qu’il a effectivement contesté en août 2012 (avec un rappel en septembre via son organisation professionnelle) mais qu’il a poursuivi l’exécution du contrat sans autre protestation pendant plus de huit ans et qu’aucune disposition pénalement sanctionnée n’a été enfreinte, l’employeur n’ayant pas commis de délit continué.
Elle rencontre encore d’autres arguments de l’intimé (mentions sur les fiches de paie,…) et réforme le jugement en ce qu’il a admis le bien-fondé de la thèse de l’employé.
Elle en vient à l’examen de l’appel incident, étant la demande de paiement de quatre semaines de rémunération retenues pour outplacement. Elle rappelle ici les dispositions légales, étant l’article 11/2,11/ 7 et 11/11 de la loi du 5 septembre 2001 visant à améliorer le taux d’emploi des travailleurs.
En vertu de ces dispositions, le remboursement ne peut être obtenu par le travailleur que si l’employeur n’a pas offert de procédure de reclassement professionnel, hypothèse qui n’est pas rencontrée en l’espèce, l’employeur plaidant qu’il a adressé cette offre. L’employé contestant l’avoir reçue, la cour constate qu’il n’a pas fait de mise en demeure en bonne et due forme ainsi que le prévoit l’article 11/7 de la loi.
Elle rappelle ici encore le mécanisme légal, étant que le travailleur doit envoyer une mise en demeure et que ce n’est que si l’employeur propose une offre non conforme ou qu’il n’a pas effectivement mis la procédure en œuvre que le remboursement des quatre semaines peut être obtenu.
La cour réforme dès lors le jugement, l’intimé succombant dans la totalité de sa demande.