Commentaire de C. trav. Bruxelles, 11 décembre 2024, R.G. 2023/AB/748
Mis en ligne le jeudi 12 juin 2025
Cour du travail de Bruxelles, 11 décembre 2024, R.G. 2023/AB/748
Terra Laboris
Résumé introductif
Il est d’usage dans les entreprises d’autoriser l’utilisation privée du GSM professionnel dans des limites raisonnables.
Il appartient à l’employeur d’établir qu’il a interdit cet usage privé, la charge de la preuve reposant sur lui.
L’utilisation excessive d’un GSM professionnel à des fins privées constitue à la fois un abus de droit et une faute légère habituelle qui engage la responsabilité du travailleur sur pied de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.
Dispositions légales
Analyse
Faits de la cause
Une ASBL d’aide à la jeunesse avait engagé un animateur en avril 2021, dans le cadre d’un contrat à durée déterminée de sept mois.
Un GSM avec abonnement fut mis à sa disposition, aucun règlement spécifique quant à l’utilisation de celui-ci n’ayant été mis par écrit.
Deux mois après l’engagement, l’employeur reçut une facture relative à l’abonnement de ce GSM, facture d’un montant de l’ordre de 1.860 €, dont 1.655 de données mobiles hors abonnement.
Il fut demandé à l’employé de rembourser ce montant, ce que celui-ci refusa.
Il fut dès lors licencié sur le champ moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de sept jours, au motif qu’il ne correspondait pas à la fonction et à la confiance mutuelle devant exister entre parties.
L’employeur introduisit une requête devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles aux fins d’obtenir la restitution de clés sous peine d’astreinte, la condamnation de l’employé à un montant de 500 € nets d’indemnisation pour remplacement de serrures et le coût de la facture correspondant à l’utilisation du GSM.
La demande a été simplifiée en cours d’instance, le problème des clés ayant été réglé.
La décision du tribunal
Par jugement du 13 juin 2023, le tribunal du travail a rejeté les demandes de l’association et a fait droit à une demande reconventionnelle du travailleur, consistant à obtenir la restitution de sommes versées à titre de remboursement des factures.
Appel est interjeté.
Moyens de l’appelant devant la cour
L’employeur fonde sa demande sur les articles 1382 du Code civil et 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. Il y a, pour lui, faute lourde ou à tout le moins faute légère habituelle, consistant en un usage « non conforme et contraire à la bonne foi »
La décision de la cour
La cour constate en premier lieu que le chef de demande relatif aux dommages et intérêts forfaitaires pour le remboursement des serrure est abandonné.
Elle est dès lors essentiellement saisie de la question de l’utilisation de données mobiles hors abonnement depuis le GSM professionnel mis à disposition de l’employé par l’association.
La cour renvoie, en droit, à un arrêt rendu par la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 21 janvier 2014, R.G. 2012/AB/252 – décision citée par B. PATERNOSTRE, La rupture du contrat de travail moyennant indemnité. Une approche pratique et jurisprudentielle, Etudes pratiques de droit social, KLUWER, Liège, 2023, page 212) selon laquelle il est d’usage dans les entreprises d’autoriser l’utilisation privée du GSM dans des limites raisonnables et qu’il appartient à l’employeur d’établir le cas échéant qu’il a interdit cet usage privé.
Ceci implique, en l’espèce, que l’appelante établisse qu’elle a interdit cet usage privé, étant tenue d’apporter la preuve des faits qu’elle allègue.
Si la limitation de l’utilisation à des fins professionnelles ne figure pas dans le contrat de travail ni dans un règlement, elle ressort cependant d’un e-mail envoyé par l’employé lui-même, qui a reconnu la chose.
Pour la cour, même si l’usage privé n’a pas été interdit par l’employeur, il doit être conforme à ce qui est attendu d’un travailleur normalement prudent et raisonnable et il ne peut être question d’abuser de ce droit.
Elle passe dès lors à l’examen des éléments de la cause, constatant que l’utilisation des données mobiles n’a pas été limitée par l’employé au seul usage professionnel et qu’elle a en outre manifestement excédé l’usage normal et raisonnable de cet outil de travail mis à disposition par l’employeur.
L’employé plaidant en outre qu’il ignorait quelle était la limite des data à ne pas dépasser, la cour retient qu’il était bien au courant de celle-ci, ayant été avisé à plusieurs reprises par l’opérateur.
Elle relève également que les 20 GB du forfait permettaient de surfer sur Internet pendant environ 400 heures par mois et que l’utilisation qui a été faite représente pour une période d’un mois un nombre considérable d’heures de surf sur Internet.
Comparé à la durée du temps de travail correspondant (164 heures de travail), le volume de surf sort manifestement du contexte professionnel.
La cour rejette encore d’autres éléments avancés par l’employé afin de tenter de justifier le caractère professionnel de la consommation.
L’arrêt conclut qu’il y a eu utilisation excessive et que celle-ci constitue à la fois un abus de droit et une faute légère habituelle qui engage la responsabilité du travailleur sur pied de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail.
La cour fait dès lors droit à la demande de l’employeur et accorde également les intérêts de retard à partir de la mise en demeure